Chronique du Comté de Narbonne.

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Mardi 3 Mars, de l’an 2012.

Le temps n’est plus, mon oncle, où le dimanche des Rameaux mobilisait la ferveur du bon peuple. Ce matin là, Saint Just était pleine comme elle l’est à Noël, mais malgré les cloches qui battaient le rappel avec plus de vivacité et d’entrain que de coutume, plus nombreux encore étaient les narbonnais qui se rendaient au marché et aux halles ; des halles toujours remplies, elles, et toujours ouvertes à toutes les envies de table, notamment celle d’y goûter un bon verre de vin chez Bébel , ce comptoir à la mode où se côtoient petites et grandes notabilités locales.

Le plus laconique des évangélistes ne prétend-il pas que les ardeurs de la chair sont plus fortes que celles de l’esprit ! De surcroît, le ciel était bleu et l’air doux, et les oriflammes de Marguerite Marie Hélène de Fadre y flottaient paresseusement dans la partie la plus haute du mail dévastée par les gigantesques travaux engagés par le comte de Labatou. Autour de ces totems de draps, ses admirateurs, apprêtés dans le style négligé qui sied aux précepteurs de collèges et certainement  enivrés par une lancinante musique aux accents exotiques, distribuaient sans grande conviction des poulets à la gloire de leur gente dame et de son saint patron candidat au royaume de France, le si bien nommé François de Gouda. Le religieux quitte les églises, mon oncle ! il s’exprime à présent sous des formes vulgaires et profanes tout en mobilisant les mêmes passions humaines; les pires et les meilleures, la pompe en moins, me disais je. Quant aux arts ! Faisons plutôt silence.

J’en étais là de mes vagues et anachroniques réflexions d’après dîner sur la course du monde et l’évolution des moeurs, quand mon brave commis vint me remettre la gazette du jour ; gazette dans laquelle j’appris, sans grande surprise, que le sieur Lemaillet, l’ancien maître du palais du duc de Lemonyais, avait décidé de « fendre l’armure » et d’oxygéner de son air celui du Comté, passablement pollué ; un air plus frais et avenant si j’en juge par sa nouvelle allure d’où semble désormais exclue son ancienne vêture toute de rigueur cléricale qu’agrémentait épisodiquement de surprenants jabots colorés. En verve, comme seuls de vrais timides peuvent l’être, il se lâche dans les colonnes du « Dépendant » pour y dénoncer l’incompétence, l’amateurisme et le copinage des escouades mises en place par le sieur Labatou. Il est vrai qu’avec des figures vaudevillesques comme celles d’un Sainte Claque, magistrat égaré dans les affaires municipales, qui perd tous les procès qu’il engage, un comble ! ou d’un Ortas, banquier perdu dans les comptes publics, qui présente un budget aux chiffres fautivement inversés, quand ce n’est pas le Comte Labatou, lui même, qui s’empêtre à l’infini dans des déficits qu’il ne contrôle plus, Lemaillet à de quoi plaider pour un changement radical d’atmosphère. A commencer, dit-il, par l’envoi de la favorite du Comte, non pas au Parlement du Roi, comme elle le voudrait, mais, plus prosaïquement, à ses ménages administratifs. Plus personne en effet ne comprend plus rien aux variations politiques qui affectent notre Comté, autrefois pourtant si stable et si serein. J’observe aussi, mon oncle, que, dans ce même numéro de cette même gazette, (un curieux hasard ! de ceux inventoriés par l’éminent Descartes, à l’évidence !) le Prince de Gruissan, autrefois adoubé par le parti floral et présentement en guerre contre lui, par de petites touches savamment appuyées, prône une ouverture qu’il qualifie, selon un jargon à la mode, de citoyenne ; jusqu’à laisser dire par ses  mousquetaires qu’il ne ferait rien, en l’an 2014, s’il était élu demain à la place de sa concurrente , pour contrarier le sieur Lemaillet dans sa conquête du Comté et du fauteuil de son actuel locataire. C’est ce que laissent entendre aux oreilles exercées à ces sortes de subtilités, par leur ostentatoire et muette présence aux grandes  messes du  petit Prince, l’ancien Président du club des cigares et membre du « parti oxygéné », le sieur Fraise, et son ami Labombe, qui fut, en d’autres temps, le mousquetaire en chef des forces royales en terres comtales. Pour compléter ce tableau un brin baroque, sache, mon oncle, que des membres notoirement connus pour appartenir à ces « sociétés », que tu connais bien, venues du Royaume d’Angleterre et forts bien dotées en demi-soldes de la politique et prétendus philosophes, semblent s’orienter dorénavant vers les Lumières de la tour de Barberousse. Ah, mon oncle, que de manœuvres, manipulations, chausses-trapes et coups tordus dans cette engeance politique, qui me rappellent cette saisissante et pénétrante observation de notre grand Sophocle, si peu lu hélas! : « Il faut haïr son ennemi comme s’il pouvait un jour devenir ami, et aimer son ami comme s’il pouvait devenir un ennemi. » Admirable, éternelle pensée qui traverse tous les siècles! et si souvent plagiée, notamment par ton opportuniste ami Voltaire…Source inépuisable de méditations ! Je ne t’en dirai pas plus des petites et grandes affaires du Comté, et cette missive tu ne la liras pas, comme à nos anciennes habitudes épistolaires, ce vendredi. En cette semaine pascale, celle du sacrifice de tous les sacrifices, il eût été incongru, même pour un esprit éclairé par la raison comme le tien, que je vinsse interrompre par mes commentaires sur l’ordinaire d’une vie somme toute banale ton jeûne intellectuel et spirituel. Mythe ou pas, tu me l’as souvent fait remarquer, l’ensemble des faits ou des symboles qui ordonnent ces rituels véhiculent plus de sens que n’en possèderont jamais la vulgate de nos envahissants publicistes. N’est ce pas, mon très cher oncle ? Bonnes fêtes !

 

 

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