Comment échapper au conformisme intellectuel de notre époque?

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Je viens de lire la critique de Philippe Dagen dans la Matinale du Monde de ce jour. Il nous présente l’œuvre de Mona Hatoum, dont certaines de ses « productions » sont exposées en ce moment même à Beaubourg. Obscur comme il convient quand rien ne peut être dit que de vagues clichés formant le capital intellectuel des amateurs de « performances » ; et inutile, notre critique, spécialiste de l’art contemporain et chroniqueur attitré du Monde, reproduisant dans ses « livraisons » toujours le même texte.  Mais commode ! Il suffit en effet à qui veut parcourir toutes les FIAC du monde et en rapporter ses impressions pour les offrir à ses amis et voisins de bureaux. Un minimum de mots, trois références au surréalisme et à la « vision » forcément révolutionnaire des « créateurs » exposés, et le tour est joué. Voici un échantillon de sa prose lue ce matin:

Ces propos se vérifient sans cesse dans l’exposition. S’y côtoient des instruments ménagers de métal devenus menaçants grâce à quelques manipulations ou à leur agrandissement ; des cartes de divers formats en billes de verre, en laine tissée ou en pains de savon ; le globe terrestre d’acier sur lequel les contours des continents sont tracés au néon rouge ; des meubles détournés de leur usage ; les cages en fer, pas nécessairement carcérales ; et encore une collection de grenades en verre de Murano dans une vitrine façon pharmacie. Elles ont des couleurs exquises et on dirait des fruits. « Si on appelle les grenades ainsi, c’est bien parce que le fruit du même nom, quand il s’ouvre, projette des grains, comme la grenade des éclats de métal… Mais on peut aussi y voir une sorte de peinture, une nature morte aux fruits. – Un Matisse ? – Oui, pourquoi pas ? Je veux me servir des contradictions, jouer de l’ambiguïté. Ne jamais rien prendre au premier degré.

Le hasard a fait que je lisais la semaine dernière « Le Confort intellectuel » de Marcel Aymé¹ :

À présent, les gens distingués qui hantent les vernissages et font les réputations littéraires et artistiques auraient honte de justifier leurs préférences par des raisons et ils en sont du reste incapables la plupart du temps. Leur choix s’élabore dans une région de la sensibilité où l’intelligence n’a pas accès. Les impressions qui leur tiennent lieu de jugements sont si personnelles, si secrètes à eux-mêmes, et pour tout dire si incommunicables qu’elles n’ont pas besoin, pour s’exprimer, des ressources du langage. Au lieu de prononcer les mots formidable, inouï et autres consacrés, l’amateur de peinture pourrait se contenter de pousser un rugissement. Ce serait encore suffisant pour traduire ce qu’il éprouve d’indéfinissable, d’impossible à situer et qui n’a à mes yeux pas plus d’importance, s’il n’apporte rien à l’esprit, qu’une démangeaison au doigt de pied. À force d’être personnelles, de telles impressions finissent d’ailleurs par devenir parfaitement impersonnelles. Du moment où tout le monde les traduit par les mêmes qualificatifs, on n’est pas fondé à croire qu’elles diffèrent d’un individu à l’autre. En fait, notre bourgeoisie cultivée se montre peu curieuse de comprendre et ne se soucie guère que de sentir. En matière d’art et de poésie, par exemple, ses critères sont l’originalité, l’étrangeté et l’obscurité, toutes qualités qui sollicitent fort peu l’intelligence. Les œuvres qui se recommandent à son attention se distinguent en cela qu’il est à peu près impossible d’en expliquer les intentions autrement que par des mots vagues tels que profondeur, finesse, distinction, puissance, poésie, mystère et, bien entendu, la kyrielle des adjectifs équivalents à formidable.

Bref ! S’il vous prenez l’envie d’allez voir Mona Hatoum à Beaubourg, lisez donc  Marcel Aymé avant, plutôt que la critique de  Philippe Dagen…

¹Extrait de : Aymé, Marcel. « Le confort intellectuel. » 

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Commentaires (2)

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    Gauthier LANGLOIS

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    Dans le même genre je me souvient des artistes invités il y a quelques années par une administratrice du château comtal de Carcassonne : concert où l’on croyait entendre un piano dégringoler d’un escalier; « performance » d’une espèce de chaman récitant des litanies en écrasant des tomates, « accrochages » d’œuvres…
    Depuis, quand avec ma femme nous étendons le linge je dis, en contemplant les chemises et les chaussettes alignées sur le fil, que nous sommes des créateurs « d’art éphémère » et que notre « installation » lingère mériterait d’être exposée à la Foire Internationale d’Art Contemporain. De plus, recréer toutes les semaines cette « installation » est une véritable « performance » (au sens premier cette fois-ci). Cette « création » pourrait s’accompagner d’un discours du genre : « Ces chaussettes et chemises vides montrent toute la vacuité de la société contemporaine. L’accrochage est une métaphore de la pseudo-liberté dont croyons disposer. Telles ces chemises qui bougent sur le fil nous nous croyons libres mais nous ne sommes que ballotés par le vent de la mode et retenus par les pinces à linge de notre éducation et nos préjugés… »
    Mais comme nous sommes, ma femme et moi, des artistes rebelles, nous réservons nos créations originales à notre seule famille.

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      Michel Santo

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      Excellente métaphore lingère Gauthier… Bonne journée à vous!

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