« Du monde entier au coeur du monde » (Cendrars)

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Gil Jouanard

Ce texte, offert hier par mon ami Gil Jouanard:

Xavier de Maistre nous en a administré la preuve évidente : le voyageur n’a nullement besoin d’avion, de bateau ou de caravane, pour partir à l’aventure dans vingt mètres carrés ; sa chambre lui suffit. Jean Henri Fabre n’en a besoin que de deux ou trois centaines pour entreprendre son exotique exploration de l’univers des insectes ; quant à Henri Michaux, c’est dans sa tête qu’il part à la découverte de sa virtuelle Grande Carabagne. Ainsi tout écrivain authentique est voyageur ; l’un le sera au long cours, l’autre usera du moyen-courrier ; un troisième se contentera, sédentaire, de parcourir l’infini planisphère de la langue, avec ses accidents de vocabulaire, ses chemins de traverse grammaticaux, ses incidentes et ses déviations, ses subtiles et fertiles polysémies, les appels du pied de son intenable mémoire. Son texte sera d’abord un bouillon de culture où auront infusé, macéré, bouilli, des bribes venues de tous les continents confondus de l’imaginaire sapiens-sapiens, celui qui remue et gronde dans le corpus pâteux du cortex et du néocortex confondus, dont chaque texte sera venu libérer le séisme latent.

Diogène aura voyagé en son tonneau, Pascal aura souhaité le faire en sa chambre (comme le Savoyard de Turin), Jules Verne aura transité par les voies détournées des atlas et des globes terrestres ; Baudelaire sera monté à bord de fictives péniches sur le canal de l’Ourcq, Rimbaud sur celui d’improbables embarcations jusqu’aux sources de l’Orénoque ou du Saint-Laurent, tandis que le partage des eaux aura confiné l’imaginaire de René Char au périmètre d’une énigme, celle de l’origine cachée de « sa » Sorgue. C’est que, vagabond ou casanier, explorateur ou scrutateur immobile, l’écrivain est avant tout celui qui aura tenté de prendre les mots au mot. Au mot près. A demi-mot quand il le lui aura fallu ou qu’il en aura eu la patience. Et il y en a tellement, des mots, dans chacune des langues de la Terre, que, chacun contenant une galaxie de sens, parmi lesquels tant d’inédits, le premier écrivain venu, fût-il le plus laconique, y trouvera sans peine matière à découvrir de l’inconnu. L’Eldorado qu’il aura cherché, à coup de machettes, de plumes d’oies, de claviers azertyuiop, il se peut qu’il découvre, un jour de grande lucidité, qu’il se situait en fait au centre de lui-même. Oui mais voilà : où se situe-t-il donc, ce Graal, ce centre rayonnant et sans cesse en mouvement, qui échappe constamment aux doigts qui avaient cru le saisir ? N’est-ce pas lui que l’on aura tenté d’étourdir de mots, de saouler pour l’envoyer se coucher au milieu des rêves désordonnés, afin de s’efforcer de n’y plus penser ?

 

via Gil Jouanard.

On trouvera, ici, en cliquant sur le tag Jouanard , d’autres textes  de cet auteur…

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Commentaires (2)

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    ducalme

    |

    Cher Michel,
    Superbe texte offert par ton ami Gil Jouanard…je ne sais pas pourquoi, comme je suis tombé ce matin sur un poème de Machado, j’ai envie de le passer en commentaire :
     » Caminante, no hay camino, el camino es el andar » pour lequel je m’aventure à te proposer, à toi l’éminent hispanisant , cette traduction:
    Promeneur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant..
    Abrazo fuerte

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    • Avatar

      Michel Santo

      |

      Si lo conozco, amigo! Cheminant, il n’y pas de chemin, le chemin se fait en marchant… Voyageant, on ne quitte jamais son monde intérieur. Voyager c’est partir à la recherche de soi… qui échappe constamment aux « doigts » qui avaient cru le saisir, comme l’écrit si justement Gil… Abrazo, amigo mio!

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