« Finissons en avec la vieille classe politique! » par Baptiste Rossi

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Cette tribune de Baptiste Rossi, publiée dans le Monde (La Matinale du 14 décembre 2015: édition abonné), m’a réjoui. Je la reproduis ici, en intégralité.

Au Canada, un jeune premier ministre, certes héritier mais novice absolu, vient de se faire élire. Il est quadragénaire, moderne, et suscite un grand espoir. En Espagne, deux partis sortis du néant proposent des alternatives totales et démocratiques, ne comptent dans leurs rangs nul professionnel de la politique, parlent au peuple d’une voix forte et avec des mots justes. Ils suscitent un grand espoir. En Italie, les électeurs ont un jeune premier ministre, certes roublard et un peu confus mais inconnu voilà cinq ans. Il a envoyé à la casse tous les dinosaures de l’ancien monde, parle au peuple d’une voix forte et avec des mots justes. Il propose une alternative démocratique et enthousiasmante et suscite un grand espoir. Dans ces pays, les partis populistes et extrémistes sont insignifiants, inexistants, tenus en laisse.

En France, les futurs candidats à l’élection présidentielle de 2017 seront, selon toute vraisemblance, un président en exercice, un ancien président, ou bien un ancien premier ministre, ou bien encore un ancien ministre, un autre premier ministre, ou, de toute façon, l’un de ceux qui rêvent d’être président depuis une trentaine d’années, et qui, pour patienter, ont été ministre, secrétaire d’Etat, député, depuis des temps où Michel Platini jouait encore au football et quand le mur de Berlin tenait debout. Et, à la stupéfaction totale de tous les observateurs, les Français ne ressentent pas un immense espoir.

Les discours après le premier tour des élections régionales reflétaient cette inquiétante propension de la classe politique républicaine à ne pas saisir l’ampleur du rejet. La gauche pointait, justement, le manque de crédibilité d’une droite ayant été renvoyée dans les cordes en 2017 et ne disposant d’aucun leader prometteur qui n’ait pas écumé les palais du pouvoir et portant donc une part de responsabilité dans la situation sociale et économique actuelle. La droite répliquait, à bon compte, sur l’amertume d’un pays après trois ans et demi de gestion socialiste, sur les manquements et les promesses.

EXTRÉMISTES POUSSIÉREUX

En réalité, comme dans le film Sixième sens, ces dirigeants avaient l’air de réagir à la façon du psychanalyste joué par Bruce Willis : ils ne savaient pas qu’ils étaient déjà morts. Aujourd’hui, et l’on doit s’en réjouir, le Front national ne dirigera pas de région. Mais son vote progresse ; sa candidate va aborder le premier tour de la présidentielle comme une formalité : elle gagne de nouveaux électeurs, notamment à droite. Et il faut que la France soit bien lasse de ses hommes politiques pour envisager de voter autant et de manière si répétée pour un parti manifestement incompétent, composé d’arrivistes bavards et d’extrémistes poussiéreux, dirigé par un clan brutal et des lieutenants préoccupés par leurs futurs bureaux de ministre, leurs salaires de député, et la jouissance égoïste du pouvoir.

Les uns sont vieux, usés, fatigués ; les autres sont déjà repus de leur importance, pas franchement démocrates, avec un programme que tout le monde né après 1925 jugerait objectivement absurde et rétrograde. Voilà où en est la situation politique de notre pays, ce que ces élections ont démontré. Elles ont prouvé que les Français étaient encore républicains, et qu’ils ont fait gagner des candidats courageux au Nord et au Sud. Mais elles ont prouvé que cet état d’esprit était déjà fragile et que peut-être, par lassitude et amertume, les Français pourraient voter encore et toujours plus fortement pour un parti qui n’apporterait que la ruine et le goût de cendres.

Le vote du 6 décembre a marqué la fin d’un monde, mais ses acteurs peuvent, avec un peu de chance et d’habileté, lui survivre. Beaucoup d’efforts seront consentis pour oublier cette soirée embarrassante. Mais il ne faut surtout pas perdre ce souvenir, qui est comme un présage. Le système est vieux, usé, fatigué. Il faut alors s’employer à inventer les alternatives qui aboutiraient à ce miracle, depuis longtemps inconnu sur le sol de France : un vote qu’on ne fasse pas le pistolet sur la tempe.

Nous avons une société civile incroyablement imaginative, beaucoup d’élus de talent, une majorité acquise en principe à l’ouverture et à l’Europe, une ferveur politique, qui, si elle est patiemment massacrée par les gouvernants successifs, ne demande qu’à se réveiller. Un manque d’imagination doublé d’un désengagement gouverné par la déception condamnerait avec certitude à d’autres 6  décembre. C’est à de nouvelles classes d’âge qu’il appartient d’inventer cette chose qu’on tient pour exorbitante et qui ne l’est sans doute pas, une politique qui parle au peuple et fasse croire en l’avenir.

Ce qui se passe au Canada, ce qui va peut-être arriver la semaine prochaine en Espagne, ce qui a des chances de réussir en Italie, tout cela nous montre qu’il existe une envie pour des forces progressistes de changement. A condition, sur la forme, de montrer des visages neufs, des curriculum qui ne sentent pas si obstinément l’ambition et l’usure. Et, sur le fond, de proposer des révolutions, de droite ou de gauche, mais rendant plus lisibles les institutions, plus directe la pratique du pouvoir, plus simple et compréhensible la forme de l’Etat, plus concrète l’égalité des droits et des opportunités.

La France ne sait pas changer si ce n’est au bord du gouffre. Nous y sommes. Il faut que de nouvelles générations et de nouveaux acteurs imaginent, chacun depuis son camp, des projets neufs et suscitent l’espoir. Le Front national est un tigre de papier, qui ne prospère que sur l’anémie d’idées et d’enthousiasme de la classe politique française.


Baptiste Rossi est écrivain, il a publié son premier roman, La vraie vie de Kevin (Grasset, 2014) alors qu’il avait 19 ans. Son deuxième roman paraîtra aux éditions Grasset en 2016.

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Commentaires (6)

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    Alphonse MARTINEZ

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    Encore un jeune qui s’exprime comme un vieux . Il fait partie de ces brillants intellectuels qui ont produit ce géant de papier qui grandit en se nourrissant de l’incompétence des élus de tout bords qui n’ont pas eu et n’ont toujours pas une vision de ce qu’est devenu notre pays . Est-ce vraiment notre pays ,ce pays laïc été à chaque élections ou l’on veut interdire des traditions séculaire ; au nom de quoi ? Mr Baptiste Rossi devra peut être un jour prendre les armes ,à moins qu’il ne s’expatrie, ce n’est que ce jour là qu’il comprendra « ce bien pensant » pourquoi deux sorte d’extrémisme sont nés en France . Le nationalisme extrême et le prosélytisme aveugle. L’un de ces deux gouffres va s’ouvrir ,cela fait 40 ans que nos politiques et super intellectuels ont fabriqué la machine infernale qui l’a creusé. Le FN n’est que le produit de la connerie humaine et Mr Rossi devrait dénoncer avec son extraordinaire talent les responsables de cette gabegie plutôt que de que de rabâcher et nous abreuver de certaines évidences. Désolé Michel si dans ce coup là je ne suis pas de votre avis.

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      Michel Santo

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      Heureusement que mes lecteurs ne sont pas toujours d’accord avec moi Alphonse. Comme je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce que je mets en ligne, et dans ce blog, qui n’est pas signé de moi. Cependant, quant il m’arrive de reprendre un texte dans son entier, c’est parce qu’il me semble utile à la réflexion, où qu’il témoigne d’un état d’esprit propre à nous permettre de mieux comprendre le contexte politique, social ou intellectuel dans lequel nous sommes. Ce texte de ce jeune et brillant auteur me semble correspondre à ces deux critères. En tout cas, après que j’aie rédigé mon billet, le lire m’a réjoui…

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        Martinez

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        Il serait temps dans ce pays de porter surtout une réflexion sur la réalité . Nos grands penseurs insufflent un vent de panique en agitant un épouvantail jusqu’au jour où quelques cretins tenterons de le brûler et nous aurons la guerre civile . Le màl réel , évident pourtant , le régime de terreur qui nous est annoncé dans les faits comme l’exemple des130 morts du Bataclan , celui-là on le marginalise. Il faut rassurer le petit peuple et puis il est tellement plus confortable intellectuellement d’occulter le danger et de combattre avec un clavier d’ordinateur . En fait Michel dans ce débat de société qui agresse qui ? Qui sème la terreur ? Pourquoi en sommes – nous arrives là et à cause de qui ? C’est cela que l’histoire retiendra quand les responsables ne seront plus .

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