Lisez pour vivre!

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Mes lectures: encore et toujours la correspondance de Flaubert...

L’humanité maintenant est exactement comme vous. Le sang du moyen âge palpite encore dans ses veines et elle aspire le grand vent des siècles futurs, qui ne lui apporte que des tempêtes. Et tout cela, parce qu’on veut une solution . Oh  ! orgueil humain. Une solution  ! Le but, la cause  ! Mais nous serions Dieu, si nous tenions la cause, et à mesure que nous irions, elle se reculera indéfiniment, parce que notre horizon s’élargira. Plus les télescopes seront parfaits et plus les étoiles seront nombreuses. Nous sommes condamnés à rouler dans les ténèbres et dans les larmes.

Quand je regarde une des petites étoiles de la Voie Lactée, je me dis que la Terre n’est pas plus grande que l’une de ces étincelles. Et moi qui gravite une minute sur cette étincelle, qui suis-je donc, que sommes-nous  ? Ce sentiment de mon infirmité, de mon néant, me rassure. Il me semble être devenu un grain de poussière perdu dans l’espace, et pourtant je fais partie de cette grandeur illimitée qui m’enveloppe. Je n’ai jamais compris que cela fût désespérant, car il se pourrait bien qu’il n’y eût rien du tout derrière le rideau noir. L’infini, d’ailleurs, submerge toutes nos conceptions et, du moment qu’ il est, pourquoi y aurait-il un but à une chose aussi relative que nous   ?   Imaginez un homme qui, avec des balances de mille coudées, voudrait peser le sable de la mer.   Quand il aurait empli ses deux plateaux, ils déborderaient et son travail ne serait pas plus avancé qu’au commencement. Toutes les philosophies en sont là. Elles ont beau dire : «Il y a un poids cependant, il y a un certain chiffre qu’il faut savoir, essayons» ; on élargit les balances, la corde casse, et toujours, ainsi toujours  ! Soyez donc plus chrétienne et résignez-vous à l’ignorance. Vous me demandez quels livres lire. Lisez Montaigne, LISEZ-le lentement, posément  ! Il vous calmera. Et n’écoutez pas les gens qui parlent de son égoïsme.   Vous l’aimerez, vous verrez. Mais ne lisez pas, comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire.   Non, lisez pour vivre . Faites à votre âme une atmosphère intellectuelle qui sera composée par l’émanation de tous les grands esprits. étudiez à fond Shakespeare et Goethe. Lisez des traductions des auteurs grecs et romains, Homère, Pétrone, Plaute, Apulée, etc. Et quand quelque chose vous ennuiera, acharnez-vous dessus, vous le comprendrez bientôt. Ce sera une satisfaction pour vous. Il s’agit de travailler , me comprenez-vous « 

Correspondance, 4e série. 1854-1861 (French Edition) (Gustave Flaubert)

– Surlignement Emplac. 2683-2705  | ajouté : dimanche 29 janvier 2012 08 h 19 GMT+00:00 à ma Kindle

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Commentaires (2)

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    raynal

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    Lire permet de maintenir dans l’utilitarisme du monde ce détachement vital en faveur de la pensée…(Dantzig )

    Frotter sa pensée contre celle des autres et en etre pour cela plus vivant…

    On ne lit pas specialement pour s’instruire et pouvoir montrer ensuite avec satisfaction combien on est cultivé ni pour s’amuser(il est des choses moins sérieuses)…Pour moi on lit pour etre ou
    pour mieux dire comme Flaubert pour vivre,pour se dissoudre aussi, peut etre, dans l’humus de la pensée des autres et en renaitre plus fort…Pour etre heureux enfin…Oublier les contingences…

     »Je ne connais pas de tristesse qu’une heure de lecture n’ait pu dissiper en moi »

    Je crois que c’est de Montesquieu.

    La poésie est aussi indispensable a l’homme que l’air qu’il respire ou que le pain qu’il mange(ça, c’est Baudelaire…)

    Tant qu’il y aura des livres et surtout des hommes assez fous pour les ecrire la vie restera supportable…Non ? Qu’en pense tu…?

    Bien a toi.

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    Michel Santo

    |

    Bien entendu, cher Jacques…Aussi, hier ou avant hier, je ne sais plus, lisant cette lettre de Flaubert , je te recommande vraiment sa correspondance ( merveille de ma liseuse électonique, eh
    oui j’ai fait le saut…) et sachant ne pouvoir l’écrire comme il le fit, je me suis contenté, avec le plus grand plaisir, d’en extraire ce passage pour le présenter à la réflexion de ceux qui me
    font le plaisir de me lire… Bien à toi! 

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