Contre-Regards

par Michel SANTO

Matisse, pour les yeux, et pour le coeur.

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Revenant de Nice et de Vence, ce texte écrit par mon ami blogueur Pierre-Henry Thoreux s’imposait!

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Deux choses définissent à mes yeux l’art de Henri Matisse (1869-1954): la couleur et les formes.

En peinture, c’est bien là l’essentiel. C’est même, pourrait-on dire, la quintessence de l’expression picturale.

De là sans doute ce pouvoir étrange d’attraction qu’ont ces paysages, ces portraits et ces natures mortes, en apparence si simples et pourtant si difficiles à imiter ou à égaler. En dépit de leur désarmant dépouillement, on a le sentiment qu’on n’avait rien vu de tel avant, et qu’après, il n’y a plus rien à ajouter…

D’emblée l’artiste manifesta une audace et une force sauvages. Révélées en premier lieu dans l’effervescence du courant fauviste, elles évoluèrent au gré de puissantes compositions dans lesquelles le jaillissement des couleurs semble écraser les canons classiques du dessin, abolissant notamment la profondeur de champ et la gravité.

Pour aboutir aux silhouettes monochromes, aux épures délicatement contrastées, produites durant les dernières années de sa vie, l’artiste parcourut un long chemin. Mais le fait est que Matisse qui vécut 85 ans, fut un créateur inspiré jusqu’au bout. Et d’une étonnante fraîcheur. D’une vitalité inépuisable.

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Il suffit pour s’en convaincre, de s’arrêter devant une de ses dernières œuvres : La Tristesse Du Roi. Quelle merveilleuse simplicité ! Quelle grâce, quelle élégance et paradoxalement, quelle magnifique joie dans l’affliction !

Dans ce qui est qualifié d’autoportrait, l’artiste, réduit à l’état de symbole, n’est plus qu’une ombre obscure, une sorte de trou noir central d’où s’échappent des mains blanches et une guitare. Autour, vibrionnent des taches de couleurs avec légèreté et apparente insouciance. Une silhouette probablement féminine semble saluer celui qui s’engloutit dans la nuit. Tandis que de l’autre côté, une forme galbée paraît danser avec des bras s’élevant vers les cieux comme des oiseaux. Le tout baigne dans une ambiance peuplée d’étoiles et de fleurs.

 

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A ce doux adieu à la vie, à cette entrée sereine dans l’au delà, les vitraux de la Chapelle du Rosaire de Vence donnent un écho mystique. Les arabesques bleues découpent la lumière en douces flaques, qui créent une atmosphère mêlant une intense modernité à un ineffable mysticisme.

 

 

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Le vrai mystère est qu’avec un art aussi humble, aussi simple, Matisse parle autant aux yeux qu’au cœur. Dans chaque tableau il y a quelque chose qui vous interpelle. Un mur se confond avec le ciel, dans leur bocal, des poissons rouges semblent jouir d’une étrange liberté, dans un arrière plan, un jardin sans perspective se dissout en délicieuses volutes végétales, et dans de merveilleux décors, fusionnent doucement les lumières, les odalisques et les moucharabiehs de l’Orient, avec les impulsions lumineuses de l’Occident moderne, inspirées par les trépidations du jazz et même les bariolages publicitaires…

A l’inventivité d’un Picasso, à l’intense symbolique d’un Braque, Matisse ajoute une incandescence spirituelle qui vibre même dans les plus schématiques découpages.

Comme pour mieux extraire la quintessence de ses sujets, il revenait souvent sur des thèmes déjà travaillés, pour les traiter différemment, pour en apurer les contours ou bien en styliser toujours plus les formes.

Le Musée Beaubourg ( texte rédigé le 16 mars 2012 ) lui consacre une intéressante exposition, explorant la manière récurrente qu’avait l’artiste d’exprimer ses points de vues picturaux. Intitulée Paires et Séries, elle rapproche de manière saisissante des tableaux réalisés parfois à plusieurs années d’écart, mais centrés sur des motifs communs. Une entreprise fascinante qui tente de percer le mystère de la genèse artistique. Et un envoûtement garanti autour de ce thème et variations…

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Ah, mon oncle dans quel étrange monde vivons nous ! Le Dieu des chrétiens peut être offensé ici sous toutes les formes et ses adeptes tués en terre d’islam, nos autorités morales, médiatiques et politiques se taisent. Comme elles se taisent ou s’expriment si peu, quand des foules ignares et fanatisées  cassent et tuent dans les rues de Benghazi du Caire parce que le leur aurait été insulté. Tu me le faisais remarquer dans ta dernière lettre, il ne peut plus être émis de critiques dans le Royaume envers certains actes et pratiques de mahométans « intégristes » résidant ici (certes minoritaires) ou ailleurs (ils le sont moins)  sans que leurs auteurs soient mis, par la caste régnante sur les consciences, au banc de l’infamie. Islamophobes et racistes seraient ces esprits libres ne supportant plus qu’ « on » les assigne à un silence surveillé et honteux. Pour nos gardiens du camp de la bien pensance, leur liberté ne serait que le masque hideux d’un conservatisme ranci, d’une réaction pathologique et nuisible, d’une haine maladive de la « diversité ». Ainsi, va l’esprit du temps, mon oncle, la liberté de critiquer les religions est revendiquée par les antipapistes militants, qui ne l’exercent guère envers d’autres traditions, l’islam fondamentaliste, notamment, il est vrai beaucoup moins « pacifiste ». Dans le Royaume, récemment, un Christ plongé dans l’urine, une pièce de théâtre ridiculisant le messie des chrétiens, n’ont évidemment déclenché que des réactions pacifiques et sévèrement stigmatisées au nom de la liberté d’expression. Espérons, tout de même, que la manifestation organisée à Paris par « ces fous de Dieu » près de l’ambassade du « Nouveau Monde » saura redresser – un verbe prononcer en boucle par tous les conseillers du Roi – nos esprits amollis par trente ans d’arrogance intellectuelle et de lâcheté morale perpétuellement touillées dans la marmite de la repentance coloniale et de la haine de soi. A l’exemple de Manolo Valsez, le solitaire chef rosien de nos pandores royaux, que des bouffons accrédités auprès de gazettes gardiennes du Bien caricaturent en l’affublant d’un bonnet bleu tricoté par  feu Roi Tarkoly ! Faut-il que je te précise, mon cher oncle, afin d’éviter toute ambigüité à mon propos de ce jour, que j’ai toujours gardé à l’esprit tes leçons sur cet Islam des lumières et ses  savants du Moyen-Âge, sans qui nous aurions oublié Platon et Aristote, et une grand part de notre propre culture ; ce dont l’identité française ne peut  à l’évidence se passer. Est ce donc trop demander que les mots cernent enfin les faits et l’histoire plutôt que de remplir le vide d’une plate et peureuse pensée prétendument moderne ? A ce sujet, des mots et du vide, les fortes paroles de dame Ripittiti , en charge de la culture (!!!), à « L’Univers », sonnent comme un marteau pilon dans un bain de vapeur notre entrée dans l’ère du creux. Il lui faut montrer, dit-elle, « que la culture est le disque dur de la politique, du point de vue de la citoyenneté et de l’économie. » Passons sur le style d’une élégance atavique et proprement lorraine, pour le reste, c’est à dire l’essentiel, j’ai beau tourner la phrase dans tous les sens, j’avoue n’y rien comprendre. Des mots sans queue ni tête, lourds et grossiers,  pour colmater  son  néant conceptuel. Une forme de mensonge somme toute banale et grossière, et du plus haut comique, me faisais tu remarquer dans ta dernière lettre,  tout en m’invitant à traquer sans pitié la colonisation de notre langue par ces pernicieux euphémismes inventés tous les jours par nos professeurs de vertus. Ainsi Mme Delaniaise, chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie qui, ne pouvant redresser nos « anciens » forts courbés, veut ajouter aux désormais classiques « jeunes des banlieues, banlieues sensibles et sans papiers »,  « avancer en âge et « monter amoureux » : vieillir et tomber amoureux étant chargés de connotations négatives, affirme-t-elle sottement. Ce qui pourrait donner d’épicés dialogues : « Mademoiselle, je suis éperdument monté amoureux de vous ». « Quoi ! Vous voulez me monter ? ». Et ton ami Christian Millau, qui n’écrit pas que de savoureuses chroniques gastronomiques, de proposer la modification d’urgence par l’Académie de l’expression  chômeur par «  en situation de rupture de la chaîne citoyenne du travail » ou clandestin renvoyé dans son pays par «  nomade interrompu dans son projet de société ». Tout un programme ! Ne changeons pas le monde, changeons les mots et l’histoire sera plus belle, n’est ce pas mon oncle ? Pour la petite, histoire, t’ai je dit que j’avais cheminé sur le sentier de Nietzsche, à Eze, dans le Comté de Nice, où j’ai séjourné quelques temps ? C’est là, sous le ciel alcyonien de Nice, qu’il trouva le troisième Zarathoustra, cette partie décisive de son oeuvre qui porte le titre : « Des vieilles et des nouvelles Tables ». Il dormait bien et riait beaucoup ; et vivait dans un parfait état de vigueur et de patience. C’est là qu’il écrivit aussi cette phrase, que je récitais sans cesse sur ce sentier autrefois emprunté par lui : « Frotte tes yeux, afin d’en chasser le sommeil, toute myopie et tout aveuglement. Écoute-moi aussi avec tes yeux: ma voix est un remède, même pour ceux qui sont nés aveugles »… Bonne nuit mon oncle !

 

 

La caverne de Platon racontée à ma petite fille…

 

 

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A   Elisa aimée, afin qu’elle ouvre toutes grandes les fenêtres et laisse entrer la lumière.

 

Je voudrais te raconter une histoire vieille de 2400 ans.

Celui qui l’a écrite était ce que l’on appelle un philosophe (philosophe cela veut dire « qui aime la sagesse ») et, tu vois, si je tiens beaucoup à te la raconter c’est que, bien que très, très ancienne, elle est de tous les temps…Les choses vraies qu’elle exprimait a cette époque sont tout aussi vraies aujourd’hui et les leçons que l’on peut en retenir pour  enrichir sa vie en sont aussi précieuses aujourd’hui qu’autrefois… Parce que la philosophie, tu vois, se moque des modes, des tendances… Les sociétés évoluent, le monde change, les hommes sont, certes, de plus en plus savants, ils pensent de plus en plus dominer leur destinée…Tu en rencontreras beaucoup, pleins d’assurance, d’autorité paraissant pleins de certitude sur tout et surtout sur eux-mêmes, mais en réalité, ils sont faibles, ils ont peur… Parce qu’ils ne peuvent pas répondre aux seules questions véritablement importantes auxquelles personne encore n’a jamais répondu… Qui suis-je et pourquoi suis-je ici…?

Tu l’a déjà compris, les hommes ont évidemment besoin de nourriture pour vivre et aussi d’amour et de tendresse mais il y a surtout autre chose dont ils ont tous besoin (même s’ils en parlent peu), c’est de savoir qui ils sont et pourquoi ils vivent.

Les philosophes sont des gens qui essaient de répondre a ces questions… La plupart  (les plus sérieux) savent qu’ils n’y arriveront pas. L’un d’entre eux, qui s’appelait Socrate et qui était le maitre de Platon, l’auteur de l’histoire que je vais te raconter, l’avait même énoncé en disant… « Je sais seulement que je ne sais rien »…

Cela parait bizarre de dire ça, hein ?…Alors que l’on sait bien qu’il connaissait des tas de choses…Et pourtant, en réfléchissant bien, tu vas t’apercevoir qu’en disant cela, il disait l’essentiel de ce que l’on doit savoir…Que l’on ne sait rien, même si on se croit très savant, parce que, pour un problème qu’on arrive a résoudre  dix autres viennent tout de suite se poser auxquelles on n’a pas de solution. Mais que cependant, il faut toujours chercher parce que, devant ce monde qui nous parait tellement incompréhensible, la seule dignité qui nous est offerte, c’est de chercher quand même à comprendre.

On t’a donné à ta naissance un merveilleux outil, ton esprit…Tu dois t’en servir, c’est un devoir, sinon ce serait du gaspillage, comme un beau jouet qu’on t’aurait offert et que tu laisserais dans un coin sans jamais t’en servir.

Depuis le début des temps, les hommes vivent dans une sorte d’obscurité et d’ignorance…Un grand poète Anglais qui s’appelait Shakespeare a écrit que «  leur vie était une histoire pleine de bruit et de fureur racontée par un idiot et qui n’avait aucun sens ».

Et c’est vrai que souvent, tu le verras, nous avons un peu l’impression d’être comme des petits esquifs ballotés par la tempête sur une mer démontée. Il nous faut une lumière pour nous guider et pouvoir accoster dans un port et cette lumière, tu pourras, si tu le veux et si tu sais exercer ta pensée, l’apercevoir chez les philosophes, les poètes, les artistes, chez tous ceux qui se font une autre idée de la vie que celle des bovins que tu vois dans les prés ruminer leur brin d’herbe avec le regard vide de l’autosatisfaction.

Et, tu vois, parmi tous ces gens qui te rendent fière d’être leur semblable et que tu vas découvrir peu à peu (et tu vas voir le bonheur que c’est) Platon est un des plus grands… Il est le plus illustre représentant, avec Aristote son élève, de la civilisation la plus étonnante, la plus brillante, la plus géniale que l’humanité ait jamais connue… La civilisation Grecque.

Cela va peut être t’étonner mais depuis ce temps là, on n’a rien trouvé de réellement nouveau qui touche a la condition humaine et, malheureusement dans beaucoup de domaines on a même fait machine arrière (surtout depuis que les religions on été inventées)

Raison de plus, donc, pour aller s’y ressourcer.

Mais, j’y arrive enfin, voilà l’histoire que je voulais te raconter.

Imagine donc une caverne creusée dans la montagne et des hommes (ou des femmes, comme tu veux, c’est pareil)…Ces hommes (ou femmes) sont assis devant une paroi, le dos tourné a la lumière qui émane d’un grand feu derrière eux. Ils sont là, cou enchainé, pieds et poings entravés et ils ne peuvent voir que ce mur devant eux…Derrière, derrière le feu, évoluent des formes, des objets, on ne sait pas trop qui projettent leur ombre vacillante sur le mur de la caverne…La seule chose qu’ils peuvent donc voir c’est ce théâtre d’ombres mouvantes et, comme ils n’ont pas bougé de là depuis qu’ils sont nés, ils pensent , bien entendu, que ces ombres sont la seule réalité au monde (un peu comme, si tu regardais la télé du matin au soir, tu penserais que le monde est seulement ce que tu y vois )

Alors, la première chose que l’on peut se dire à ce stade du récit, tu vois, c’est que nous comprenons le monde comme nous le percevons et que peut être, nos sens (la vue, l’ouïe, l’odorat etc.) ne nous donnent qu’un reflet déformé de la réalité et que peut être, après tout, il pourrait exister toute une échelle de perceptions…Hein ?

C’est déjà une première question très importante de la philosophie, mais on ne va pas l’explorer maintenant, cela serait encore un peu compliqué pour toi.

Maintenant, imagine que, on ne sait trop comment, un des habitants de la caverne parvienne à se libérer… D’abord la tête, ensuite les mains, puis les pieds… Pouvant enfin regarder derrière lui, il va d’abord se demander d’où proviennent ces ombres projetées sur le mur et il va voir le feu…Bien sur, il va être ébloui, il aura un peu peur aussi de ces formes dont, jusque là, il n’avait vu que des ombres.

Supposons toujours que, dominant sa crainte, il réussisse à franchir le feu  et a sortir a l’air libre…Il va être encore toujours plus ébloui, cela faisait si longtemps qu’il vivait dans l’ombre ! Alors, tout en se frottant les yeux, il va être frappé par la beauté de tout ce qui l’entoure, il va distinguer pour la première fois des formes et des couleurs aux contours nets et précis, il va comprendre qu’il est dans un monde dont l’ombre, dans la caverne, n’était qu’une pale copie et surtout, il va voir le soleil, dispensateur de lumière, qui permet la vie et la contemplation de tout ce qui existe alors que le feu, dans la caverne, ne permettait d’apercevoir que l’ombre de cette rayonnante réalité…

Maintenant arrêtons nous un instant, veux tu, et voyons un peu ce que cela veut dire…

D’abord, que l’on n’est prisonnier de l’ombre que si on le veut bien ; notre condition n’est ni désespérée ni figée, on peut toujours se libérer a condition de le vouloir…

Mais se libérer de quoi, vas-tu me dire, hein … ?

Eh bien, des idées toutes faites (tu sais, celles que l’on répète par habitude sans trop y réfléchir), de la paresse intellectuelle quand on se contente de penser ce que pense le plus grand nombre, de la torpeur abêtissante, de l’engourdissement de l’esprit.

Subitement, on fait basculer les certitudes, on s’éveille et surtout, on prend conscience que tout ce que l’on prenait pour la réalité n’était peut être qu’une illusion dansante sur un mur…On est seul, on a quitté les autres là bas, en bas, mais on est libre enfin, et on respire…

Mais revenons en à notre aventurier, il n’en est encore qu’aux balbutiements… Certes, il est debout, il a fait quelques pas (en titubant un peu) mais il n’a fait qu’apercevoir le chemin et il est seul pour prendre cette route… Il a encore plein d’ombres dans le regard et pour voir bien comme il faut, il faut, justement se libérer des opinions, des préjugés, de la facilité…Il a un peu peur, c’est normal, il ne sait pas avec certitude ce qu’il y a au bout de ce parcours. Il est tenté de revenir en bas, avec les autres, après tout, c’est vrai que c’était sécurisant, qu’on était bien tranquille !

Il voit maintenant que deux choix existent, celui de l’ombre et celui de la lumière…Il sait aussi qu’il est libre de son choix…Parce que, d’abord et avant tout, et ce sera une autre des grandes questions de la philosophie, on est fondamentalement libre de devenir ou pas ce que nous sommes, l’homme est ce qu’il se fait (ça c’est un autre grand philosophe plus récent, qui s’appelait jean Paul Sartre, qui l’a dit).

Mais c’est vrai, également, que cette lumière si nouvelle et si crue peut faire mal aux yeux, c’est vrai aussi que de connaitre désormais ces choses rend notre homme plus solitaire ; et il a évidemment besoin des autres, ces ex compagnons d’esclavage qui sont restés en bas… Bien sur, il a compris que tout ce a quoi il croyait précédemment n’était qu’une illusion… Mais tellement sécurisante et, qu’au moins il pouvait la partager avec ses compagnons d’infortune.

La tentation est grande de tout abandonner, de redescendre… C’est difficile et il faut du temps pour s’habituer a la lumière… Mais il domine sa faiblesse et, bravement, il emprunte le chemin abrupt et là, tu vois, plus il monte plus il se sent bien, il découvre de nouveaux et splendides territoires dont il n’imaginait pas qu’ils puissent exister, il jouit avec délectation de sa liberté reconquise, il est dès lors immensément, formidablement heureux…

Puis soudain, il se met à penser aux autres demeurés là bas et il veut leur faire partager son bonheur.

Donc, empli de bonnes intentions, il redescend et essaie de les convaincre que ces ombres qu’il regardent sur le mur ne sont que les reflets pales et vacillants d’une autre réalité éblouissante de beauté que lui, désormais, connait… Mais personne ne le croit, ils le prennent même pour un fou, ils montrent le mur du doigt et les ombres qui s’y meuvent, en affirmant que cela est la seule chose vraie au monde, que le reste n’est qu’une chimère de malade et, devant son insistance, ne supportant plus qu’il perturbe ainsi leurs certitudes, eh bien, ils le tuent… Carrément.

Là, tu vois, Platon pense sans doute a son maître Socrate que les Athéniens (la ville ou il vivait s’appelait Athènes, en Grèce) ont obligé a se suicider en avalant un poison, la cigüe, parce qu’ils ne pouvaient plus supporter de l’entendre sans cesse leur rappeler des choses qui les dérangeaient… Tu le verras, l’histoire des hommes est pleine de gens qui voulaient porter a leurs semblables une vérité de lumière et que ceux-ci ont préféré tuer parce qu’ils ne pouvaient pas supporter d’entendre cette vérité (Jésus Christ, entre autres, est l’un d’entre eux)

Alors, tu vas peut être me dire, tout cela est un peu triste et un peu décourageant, non…?

Tu sais, tu dois comprendre que cela n’est qu’une allégorie, une parabole…C’est-à-dire un court récit imagé destiné à te faire comprendre certaines choses très compliquées de la façon la plus simple.

Ce qu’il faut comprendre dans tout ceci c’est d’abord et avant tout deux choses :

La première c’est qu’il faut s’affranchir des préjugés pour gagner sa propre liberté, et cette démarche est d’abord solitaire, elle demande donc beaucoup de courage…

La seconde est que l’on doit partager, quel qu’en soit le prix, cette connaissance et cet acquis avec ses semblables parce que l’on n’est jamais seul… Un grand poète Anglais John Donne a écrit « nul n’est une île », nous sommes toujours rattachés aux autres, nos semblables, nos frères. Que nous le voulions ou pas.

Donc, pas d’égoïsme, pas de nombrilisme, on ne vit jamais seul, il n’est de progrès pour l’homme que collectif… Mais pas d’illusions non plus, tout le monde n’avance pas au même rythme et beaucoup  préfèrent même ne pas bouger du tout… C’est leur choix, tant pis pour eux, mais tu ne dois ni les mépriser ni les ignorer, ils sont tes semblables…

Et puis, il faut en avoir conscience, et c’est une autre leçon, celui qui revient de la lumière vers l’obscurité s’expose a une autre forme d’aveuglement, se retrouver maladroit, décalé devant la vie au quotidien avec toutes les obligations que cela comporte… On peut aussi, s’il oublie d’adopter une bonne attitude de gentillesse et de simplicité lui reprocher cette lucidité que l’on prendra pour de la prétention ou de l’orgueil mal placé…

Mais cependant il est nécessaire de ne rien garder pour soi et si tu as pu acquérir un peu plus de sagesse et de compréhension que les autres en faire offrande a ceux qui sont restés dans la nuit…même si ceux-ci n’en veulent pas.

Vois tu, la vraie sagesse doit conduire a l’humilité… Si tu penses pouvoir tirer gloire des quelques bribes de connaissance que tu as pu acquérir c’est que tu n’as rien compris…Et tu peux tout recommencer !

Rappelle toi de Socrate « Je sais seulement que je ne sais rien » …Et, même si tu as vu (ou cru voir) le soleil, n’oublie pas que tu ne sais toujours pas par quel miracle il est là, ni pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien,  ni même ce que veut dire ta présence en ce monde… Si ce n’est pour que l’on puisse t’aimer, moi le premier.

Voilà, mon petit bouchon, J’arrive à la fin de ce que je voulais te dire aujourd’hui…

Je voudrais te demander de réfléchir a cette merveilleuse phrase d’un grand sage Africain qui s’appelait Amadou Hampaté Ba…

« Tout ce que tu as gardé pour toi est perdu a jamais,

Tout ce que tu as donné est a toi, pour toujours »

Et puis, essaie de toujours te rappeler de ce que te dis Platon a travers cette histoire…

Il faut essayer de vivre autant qu’il est possible dans la vérité, même si c’est difficile… et la vérité, sa vérité, c’est de se reconnaitre comme l’on est, sans déguisement, sans mensonges, sans illusions ou tromperies…Il faut essayer d’appliquer dans sa vie les valeurs ou les principes que l’on a pu comprendre.

La philosophie se juge dans la vie du philosophe. La vérité des livres est certes précieuse mais stérile (et pourtant tu sais comme j’aime les livres !), elle n’est pleine et entière que lorsque on vit sa vie conformément a cette vérité.

Il nous faut toujours croire que nous sommes tous, nous les êtres humains, beaucoup plus que ce que la majorité se contente d’être par résignation ou par paresse.

Tu vas prendre ta canne et t’avancer d’un pas ferme sur le chemin de ta propre découverte… Ne t’arrête pas à la première difficulté… elle est longue et quelquefois rude la route qui conduit a soi même mais elle est si belle … !

Si je peux t’aider à parcourir ce merveilleux chemin de lumière que doit être toute vie, j’aurais fait et ce, pour mon plus immense bonheur, mon métier de grand père.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le grand bleu à Narbonne!

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Les F.R.A.C ont été créés par Jack Lang pour soutenir le  » marché de l’art contemporain  » . J’ai vu naître celui de la Région Languedoc-Roussillon. Quelques achats de toiles  et  installations à des artistes déjà passablement reconnus ( on se demande encore pourquoi un Pierre Soulages, qui l’était déjà grandement, figure dans ce catalogue! ) puis très rapidement du grand n’importe quoi. Un immense bazar où s’expose, comme le dit si bien Olivier Cena,   » le blanc souci du rien «  . Aujourd’hui, le problème posé est celui du stockage de ces 1200  oeuvres ! réalisées par 425  artistes !!! Des millions d’Euros d’impôts stérilisés. A multiplier par 22 régions! Une gabegie  » progressiste  » que seule la France s’offre encore . A Narbonne, cet été, pour faire moderne  et soulager la bonne conscience de nos élus soucieux de  culture , on a sorti quelques  » machins « ,  présentés par un nommé Latreille – ça ne s’invente pas! – dans un pathos à la mode vide de sens, sur le thème: du grand bleu. Un gros bluff et un grand  » Plouff! « . En témoigne le livre d’or, si on peut dire, où des visiteurs en colère ont consignés leur exaspération devant tant d’arrogance et de coupable légèreté quant à l’usage fait de leurs impôts. Comme cette dame, le nez collé au mur, j’ai pourtant, et désespérément, cherché le sens de cet invraisemblable déballage. Pour n’y  trouver que le signe de l’ omniprésente bêtise de nos commissaires politiques de la culture et le triomphe d’un relativisme esthétique qui marque la fin de l’art tout court…  

Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

 

 

Enfin de retour, mon oncle ! Dix jours dans le Comté de Nice sans pouvoir écrire une seule ligne sur les grandes et petites affaires de celui de Narbonne, m’ont rendu encore plus désireux de t’en rapporter promptement les derniers échos parus dans le « Tirelire » narbonnais, que j’ai pu lire samedi soir ; le Dépendant, lui, n’en disant mots… J’aurais certes pu t’adresser quelques cartes pittoresques de ces terres où chantent des patronymes aux accents italiens, mais l’envie d’en jouir dans la plénitude d’un temps enfin retrouvé m’a conduit à cette petite infidélité épistolaire. Je te promets néanmoins de t’en rapporter quelques impressions dans une prochaine correspondance, elles témoignent encore de leur immuable et sereine beauté. Et, miracle du calendrier, le calme me fut de surcroît donné, aucune fête n’ est en effet venue à moi dans ce vieux village de Roquebrune pour me rappeler le traumatisme subi lors des grandes orgies estivales concoctées par la favorite du Comte de Labatout ; une dame dont l’imagination et la culture semblent se limiter à la quantité de décibels qu’un cerveau normalement constitué est capable de recevoir sans risquer l’enfermement psychiatrique ; mais qui recueille, hélas et sans surprise, les louanges débiles de la foule et ceux intéressés de l’influente clique des bistrotiers. C’est donc l’esprit léger que, sitôt installé à ma table de travail pour prendre connaissance des gazettes comtales soigneusement classées par Albertine, je tombai sur un article du gazetier en chef du « Tirelire » narbonnais, faisant état d’un contrôle de la Mission royale d’inspection du logement social sur la gestion, notamment et surtout par le Comte et ses amis, de l’habitat collectif de nos pauvres paroissiens. On y lit que, non content de grever la situation financière de l’Office Comtal de l’Habitat et de miner le moral du personnel, l’incurie, l’amateurisme et l’incompétence des hommes mis en place par le sieur Labatout : le président Baffe et l’intendant Baba Gaffot seraient à l’origine de profonds dysfonctionnements. Ainsi apprend-on anecdotiquement, mon oncle,  que six mois de travail à 1 500 € nets par mois, soit 9 000 €, ont été dépensés pour une étude sur les mahométans et le logement qui n’a jamais vu le jour… Si ces élus avaient tenu un emploi dans une administration privée, on s’en serait évidemment tout de suite aperçu; mais force est de constater qu’il est beaucoup plus difficile de reconnaître la démence ou le délire dans l’administration des affaires du Royaume et des Comtés. Ah ! que j’aimerais voir la vertueuse tête catogannée de ton ami Patrick de la Natte, mon oncle, lui qui, désormais, a troqué l’indignation morale du nouvelliste qu’il fut contre la soumission politique du propagandiste en chef qu’il est. Ce doit être un supplice pour cette fière âme que de lire sous la plume de son successeur au « Tirelire » la liste des trahisons aux principes les plus élémentaires d’une bonne gestion publique. A moins qu’il ne soit devenu aveugle aux dérives d’une caste moins soucieuse d’efficacité que de libéralités envers quelques parvenus de la politique rosienne travestis en petits bourgeois à costumes rayés et fumant des havanes. Monsieur de la Brindille, m’assurait ce matin en avoir coopté quelques uns dans son club des « fumeurs de cigares » ; une obligation, m’avouait-il dans un éloquent  soupir, tout en pestant contre les manières grossières de ces néo convertis à la culture des puissants. A propos de tabac, mon oncle, un événement d’importance cruciale pour l’avenir du Comté est rapporté dans le « Dépendant » : Madame de Fade élue à la Cour et le sénateur à vie Longvin sont dorénavant à « l’écoute des buralistes ». Un travail épuisant et de longue haleine qui justifie la mobilisation éclairée et complaisante de nos deux parlementaires joliment halés. François de Gouda, dit Normal le premier, l’a annoncé hier dans nos étranges lucarnes : la crise nécessite que l’on passe à la vitesse supérieure. Voilà qui est dorénavant fait dans nos contrées, mon oncle ! Sans rire!

Aujourd’hui, le ciel était sombre et la pluie menaçait; les rues, vides, sentaient le moisi; des volets claquaient sur des murs sans poèmes. Ce soir, on parle dans le fond et des bêtes s’étonnent.T’ai je dit que les yeux de Mila ont aussi éclairé ce jour et que les miens, sur son visage endormi, ont emprunté quelque chose de son innocence ? Bonne nuit, mon oncle, toi qui me lira demain en plein midi…

 

Post scrimptum:

Ah ! mon oncle, dois je t’avouer que je fais tenir à ton cher de la Brindille des propos tout droit sortis de mon imagination. M’en voudra-t-il de l’avoir laissée courir ainsi à ma fantaisie? Les volutes d’un Hoyo de Monterrey, que je fume en solitaire, ont cet étrange pouvoir de tordre la réalité. De la tordre seulement…