Terrorisme islamiste: il ne faut pas nous en prendre à nous-mêmes !

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La sélection de la semaine: cette tribune de Gérard Bensussan, philosophe, professeur à l’Université de Strasbourg parue dans « la Matinale du Monde » du 23 juillet (édition abonnés): « Terrorisme islamiste: non, il ne faut pas nous en prendre à nous-mêmes! » Pour lui, en effet, la réponse adéquate au «Vive la mort» poussé par les terroristes islamistes n’est sûrement pas de battre notre coulpe, par réflexe conditionné, pour notre passé colonial…

Le nihilisme, après la tuerie survenue sur la promenade des Anglais à Nice le 14 juillet, se révèle comme l’aboutissement d’un mouvement de longue durée qui porte les valeurs à n’avoir plus aucune valeur et les hommes à s’abîmer dans la déploration, soit en versant dans un pessimisme profondément désespéré, soit en donnant dans un ressentiment qui n’en finit pas de ressasser sa revanche, les deux pouvant aussi bien alterner que se cumuler.

Comme le vieux fascisme, son cru le plus récent, qu’on appellera par commodité « l’islamofascisme », relève en effet de ce que notre tradition de pensée thématise depuis longtemps sous la notion de nihilisme. Que l’on songe seulement à ce furieux Viva la muerte ! (vive la mort), qui n’épargne rien ni personne et que partagent à bien des égards toutes les formes politiques et toutes les figures historiques du terrorisme.

Si ce diagnostic est pertinent, on conviendra que le nihilisme est la condensation la plus aiguë de notre histoire occidentale, son destin, sa fin.

Mais pourquoi et comment l’islamisme en relèverait-il ? La réponse la plus convenue, et peut-être la plus répandue, consiste à faire du nihilisme une essence omni-englobante où tout est dans tout et rien dans rien.

A la fin des fins, le terrorisme islamiste est noyé dans les attendus de notre propre histoire – coloniale en particulier – et placé sous la responsabilité de notre planète mondialisée : tout est le même, c’est-à-dire nous-mêmes, réglé par un système linéaire de causes et d’effets. La maladie contemporaine de bon nombre d’intellectuels consiste en un causalisme absolument débridé : le crime est quasiment absous dès lors qu’on tient sa «cause».

Mélancolie morale

Comment ne pas voir que le comble du nihilisme, un nihilisme qui déborde, sur sa gauche en général, consiste à penser «qu’ils ne savent pas ce qu’ils font» et que «tout est de notre faute», que rien ne leur revient, qu’ils ne font que mimer sans même en être conscients ce que nous avons nous-mêmes créé.

Des politiques, des idéologues, des tacticiens «révolutionnaires» à la petite semaine envisagent sans broncher, les bonnes âmes, une alliance stratégique de long terme avec ce qu’ils croient être l’expression politique d’un néoprolétariat formé des nouveaux «damnés de la Terre».

Le nihilisme porte en lui une mélancolie morale, la nostalgie d’un monde de valeurs dont la perte porte à conclure que la vie ne vaut rien, celle des autres pour l’islamisme, du côté du ressentiment, la nôtre pour nous, les derniers des Occidentaux, du côté d’un désespoir sans rivage.

Les larmes de l’Occident dessinent le paroxysme quasi christique de notre nihilisme, lequel consiste moins à ne croire en rien qu’à ne pas croire à ce qui est, comme disait Camus. Or ce qui est, dans le cas présent, c’est le crime, ce crime qu’il serait impardonnable de nier, de tempérer, voire de camoufler, d’une façon ou d’une autre, pour des «causes» idéologiques et politiques aussi bien que pour des motifs civilisationnels.

Une gauche si souvent pavlovienne

Nous sommes au contraire requis de le nommer, ce crime, dans sa consistance propre, pour tenter d’en mieux comprendre les vrais ressorts. Il nous faut trouver, je ne sais pas trop comment je dois l’avouer, une réflexion, une attention, un geste entièrement nouveaux qui ne répètent pas les habitudes et les tics de pensée d’une gauche si souvent pavlovienne.

«S’en prendre à nous-mêmes», concluait récemment Jean-Luc Nancy dans un texte publié dans Libération (du 18 juillet). L’amitié qui me lie à lui n’empêche nullement l’expression d’un profond désaccord sur ce point, elle m’en fait au contraire obligation.

Car «s’en prendre à nous-mêmes» après le massacre de Nice représente selon moi la pointe la plus acérée, et la plus funeste, de notre nihilisme, la posture suicidaire qu’il est urgent d’essayer de défaire. Peut-être pourra-t-on alors saisir pourquoi «ils veulent tous nous tuer», mais autrement que sur le mode du déni, de l’évitement ou du mea maxima culpa.


Sur Gérard Bensussan, lire son interview dans le blog « Un philosophe » en cliquant sur (ici)

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Commentaires (4)

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    Elle

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    Je ne connais rien de plus beau que ce fabuleux pouvoir des mots, la façon dont on les utilise, le sens qu’ils transmettent, ou ne transmettent pas.

    Nous serions donc requis de le nommer, ce crime ?
    requis : exigé, nécessaire (de nommer le crime)
    requis : civil désigné par les pouvoirs publics pour exercer 1 emploi détermine qu’il ne peut refusé en temps de guerre (de nommer le crime)
    personne qui collabore à 1 service public à la suite d’une réquisition (de nommer le crime)

    Nous ne sommes donc pas requis, pas encore, après tout nous ne sommes pas vraiment en guerre, nous sommes victimes d’une lame de fond mondiale, surgie des ténèbres. Non, pour l’instant nous blablatons sans fin pour « comprendre » pourquoi les loups ne sont pas des agneaux, et les tigres de mignons chatons. Et comment le camion a t-il pu passer ? Et pourquoi ils viennent dans nos églises égorger des curés alors que nous ne nous permettrions jamais d’entrer dans leurs mosquées égorger leurs imams ?
    Et oui, on a plutôt l’impression que nous pouvons nous en prendre à nous mêmes, à notre couardise, notre lâcheté, notre complicité face à la démence (qu’il faut comprendre et expliquer, c’est vital) pendant que d’autres n’ont aucun état d’âme pour écrabouiller des gens, égorger des curés dans les églises, poignarder des fillettes, massacrer sans raison.
    Asseyons nous sur des commodités, collaborons avec le mal, polémiquons en prenant le thé, nos cous n’en seront que plus parfumés pour les couteaux des bouchers, qui sont déjà in situ, rejoints tous les jours par des centaines d’autres qui ne rêvent que de participer à leur fête sanglante, alors que nous les accueillons sous couvert d’humanité, de générosité, d’amour pour son prochain…
    Peut être pourrons alors saisir pourquoi « ils veulent nous tuer » . Pourquoi ? Ils nous ont promis des massacres, tous méthodiquement annoncés, ils tiennent leur promesse. On devrait peut être voter pour eux non ?

    Fichu bavard de philosophe. !

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      Michel Santo

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      Oui nous sommes aussi dans une guerre des mots et des idées Elle! Et ce philosophe combat à sa manière ceux qui voudraient capituler devant la menace en refusant de la nommer…

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    Le Maître G.

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    Mr Santo,
    Seriez vous un censeur ou un moralisateur ?
    Mes observations dérangent ?
    Merci de me donner une explication.

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      Michel Santo

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      Votre référence à un site complotiste dans votre dernier commentaire n’a pas sa place ici…

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