Ce que cache l’expression polémique : « suppression » de l’ENA !…

La question qui, aujourd’hui, est posée dans le débat public, n’est pas celle, démagogique, de la suppression* de l’ENA, mais celle du mode de recrutement de l’élite administrative et de sa formation ; de son organisation en « corps » ensuite et, de manière plus générale, du déroulement des carrières de ceux qui en sortent…
Sur le premier point, la critique publique et journalistique faite sur l’homogénéité sociale des élèves de l’ENA : même milieu d’origine, même filière de formation initiale, même origine géographique, pour la plupart d’entre eux, est incontestablement fondée, comme l’est, conséquemment, une certaine imperméabilité intellectuelle de ses futurs hauts fonctionnaires, à certains aspects de la réalité sociale et politique du pays.
Certes, il existe un troisième concours qui s’adresse aux actifs du secteur privé, aux personnes exerçant un mandat au sein d’une assemblée élue d’une collectivité territoriale ainsi qu’aux personnes justifiant d’une ou de plusieurs activités en qualité de responsable, y compris bénévole, d’une association, mais, à l’expérience, il s’avère insuffisant pour remédier à la situation précédemment décrite**. Aussi, l’idée envisagée par le président de la République, d’appliquer ce que Richard Descoings avait adopté, en 2001, pour l’institution qu’il dirigeait, Sciences Po Paris : les très décriées à l’époque « conventions ZEP » (Il s’agissait de réserver des places, par un concours spécifique, aux élèves issus des zones d’éducation prioritaire.), mérite d’être examinée.
Pendant la scolarité ensuite, ne pas bloquer les carrière à vingt-cinq ans, selon le rang de classement obtenu, me semble tout aussi nécessaire ; et la suppression du rang de classement et des grands corps administratifs s’imposer. Mais pas les organismes « on peut très bien conserver le Conseil d’État, la Cour des comptes, etc. – mais la structure en corps crée des complications juridiques invraisemblables. C’est une usine à gaz. Cela interdit complètement la mobilité entre la fonction publique de l’État, la territoriale et l’hospitalière. Cela génère automatiquement toutes sortes de classements sociaux entre les grands corps et les autres. » (Cf Luc Rouban, dans la revue Dalloz.actualités : cliquer sur ici)
Introduire de la diversité sociale et intellectuelle dans ce milieu très homogène et « casser » la captation des emplois de direction et de cabinets ministériels par les « ENA Grands corps », notamment, exige aussi l’ouverture des emplois de direction aux contractuels. Le risque d’une déclassification de l’ENA par une arrivée massive de cadres du privé dans la fonction publique étant limité en raison, notamment, des différences de rémunération.
Dernier point enfin et non des moindres : il faut supprimer le « tour extérieur du gouvernement » fondé sur le choix politique de personnes, sans qualification, nommés sur des critères partisans ou d’amitiés personnelles. Insupportable à l’opinion, comme aux fonctionnaires qui les composent. Et pour les mêmes raisons, mettre fin au pantouflage (ces aller-retour public-privé), qui contribue, comme le note mon ami Alexandre Moatti « à la notion d’oligarchie public-privé » (Cf son article du 7/04/2019 : cliquer sur ici)

PS : Pour la petite histoire, parce que plus personnelle, dans les années précédent 1981, pendant notre scolarité commune, Jean-Paul Tran-Thiet et moi avions travaillé à une « réforme » de la formation et de la sélection des « cadres » de la fonction publique dans laquelle ces principaux thèmes avaient été exposés… Ce document de travail avait été remis (et discuté) à Thérèse Hirszberg, alors secrétaire générale de l’UGFF…

 

*  Le choix de Frédéric Thiriez pour conduire cette mission de « suppression » de l’ENA (il s’est illustré en tant que président de la Ligue de football professionnel) peut, à première vue, étonner. Ce serait oublier qu’il est un pur produit de cette école et d’un de ses grands corps (le Conseil d’État) et  qu’il fut le conseiller de Michel Rocard (« il se définit lui-même comme un socialiste de droite, tandis que son épouse, Marie-Claire Carrière-Gée, ancienne secrétaire générale adjointe de l’Élysée lors du second quinquennat de Jacques Chirac et membre de la Cour des comptes (autre grand corps) depuis 2007, se définit comme « gaulliste de gauche » : voir ici . Un profil de ménage (et de carrières) emblématique de tout ce que l’ENA et les grands corps produisent d’effets pervers pour piloter cette « suppression » ! Et qui peut légitimement faire douter de profonds changements )

 

** Voici ce qu’en dit, aujourd’hui, Anicet Le Pors (un des quatre ministres communistes qui fut ministre de la fonction publique et de la réforme administrative des deuxième et troisième gouvernement Mauroy) « Cette novation déclencha la révolte de l’aristocratie bourgeoise. Michel Rocard, premier ministre, rendit la réforme inopérante en 1990, mais plusieurs dizaines d’ « énarques du 3e type » eurent néanmoins le temps de prouver leur valeur et qu’une autre ENA était possible… »

 

 

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Commentaires (7)

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    Pfister Thierry

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    Ne serait-ce pas l’occasion d’en finir avec un archaïsme français qui permet aux fonctionnaires, et singulièrement aux plus hauts d’entre eux, d’effectuer des carrières politiques tout en continuant à préserver leur fonction administrative ? Ils peuvent la retrouver en cas d’échec, bénéficier de l’ancienneté et de la retraite même sans avoir exercé la fonction. Comme bien d’autres, pour quelques mois au Conseil d’Etat à l’aube de sa vie professionnelle Laurent Wauquiez bénéficiera d’une retraite complète de cet organisme s’ajoutant à celles dont il jouira comme élu. Que ceux qui font le choix d’une carrière politique, d’une élection, quittent la fonction publique comme il est de règle dans les démocraties voisines.

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    Didier

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    Le problème n’est pas l’homogénéité sociale des élèves de l’ENA. C’est celui de l’homogénéité sociale des étudiants liée à la faiblesse du niveau des bacheliers conséquence d’un niveau déplorable a l’entrée en 6eme car l’école primaire ne fait plus le job. Recommençons par le commencement et nous aurons des étudiants dignes de ce nom capable de réussir AUX différents concours ENA, X, Mines, Supelec, ENAC …….

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    Aimé COUQUET

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    En citant Anicet Le Pors, ancien ministre communiste de la Fonction Publique dans les gouvernements Mauroy, je crois que vous vous référez à son article paru dans le journal « L’Humanité » du 25 avril 2019. J’ajoute sa conclusion car elle me parait intéressante : « …Des mesures simples permettraient de régler la notion des « grands corps » en accordant à tous les fonctionnaires accédant aux corps de débouchés les mêmes régimes indiciaires et indemnitaires. La comparabilité des situations permettrait une application plus fluide de la mobilité érigée en garantie fondamentale en 83 (j’ajoute, loi du 13 juillet 1983). Des « tours extérieurs » élargis permettaient l’accès en cours de carrière à certains corps aux compétences générales. Le départ de fonctionnaires dans le privé serait rendu onéreux et irréversible. Cette orientation est l’inverse de celle du projet de loi pétri d’idéologie managériale qu’Emmanuel Macron, pur produit du système de fabrication des castes, veut faire passer en force au Parlement avant l’été en dépit de la plus large opposition. Ici, c’est moins l’ENA qui est en cause que l’avenir de nos services publics. »

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    dumas

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    Et si le recrutement se réalisé sur la compétence et l’expérience, nous n’aurions pas ce plafond de verre constitué des jeunes diplômés de l’ENA qui essaiment dans toute la haute fonction publique.
    Cette Ecole est utile dès lors qu’elle fait partie d’un cycle de formation préalable à des écoles d’application ou à l’accès au marché de l’emploi de très haut niveau.

    Elle n’a pas à être l’ouverture directe aux fonctions dirigeantes des grands corps d’Etat, et surtout pas à une fonction politique qui devrait être une interdiction absolue, sauf à perdre tous les avantages du statut de classement de sortie.
    J’ajoute que la cooptation, les amicales, les circuits confidentiels et autres fraternelles ne seront pas supprimées pour autant.

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