Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

 

 

Enfin de retour, mon oncle ! Dix jours dans le Comté de Nice sans pouvoir écrire une seule ligne sur les grandes et petites affaires de celui de Narbonne, m’ont rendu encore plus désireux de t’en rapporter promptement les derniers échos parus dans le « Tirelire » narbonnais, que j’ai pu lire samedi soir ; le Dépendant, lui, n’en disant mots… J’aurais certes pu t’adresser quelques cartes pittoresques de ces terres où chantent des patronymes aux accents italiens, mais l’envie d’en jouir dans la plénitude d’un temps enfin retrouvé m’a conduit à cette petite infidélité épistolaire. Je te promets néanmoins de t’en rapporter quelques impressions dans une prochaine correspondance, elles témoignent encore de leur immuable et sereine beauté. Et, miracle du calendrier, le calme me fut de surcroît donné, aucune fête n’ est en effet venue à moi dans ce vieux village de Roquebrune pour me rappeler le traumatisme subi lors des grandes orgies estivales concoctées par la favorite du Comte de Labatout ; une dame dont l’imagination et la culture semblent se limiter à la quantité de décibels qu’un cerveau normalement constitué est capable de recevoir sans risquer l’enfermement psychiatrique ; mais qui recueille, hélas et sans surprise, les louanges débiles de la foule et ceux intéressés de l’influente clique des bistrotiers. C’est donc l’esprit léger que, sitôt installé à ma table de travail pour prendre connaissance des gazettes comtales soigneusement classées par Albertine, je tombai sur un article du gazetier en chef du « Tirelire » narbonnais, faisant état d’un contrôle de la Mission royale d’inspection du logement social sur la gestion, notamment et surtout par le Comte et ses amis, de l’habitat collectif de nos pauvres paroissiens. On y lit que, non content de grever la situation financière de l’Office Comtal de l’Habitat et de miner le moral du personnel, l’incurie, l’amateurisme et l’incompétence des hommes mis en place par le sieur Labatout : le président Baffe et l’intendant Baba Gaffot seraient à l’origine de profonds dysfonctionnements. Ainsi apprend-on anecdotiquement, mon oncle,  que six mois de travail à 1 500 € nets par mois, soit 9 000 €, ont été dépensés pour une étude sur les mahométans et le logement qui n’a jamais vu le jour… Si ces élus avaient tenu un emploi dans une administration privée, on s’en serait évidemment tout de suite aperçu; mais force est de constater qu’il est beaucoup plus difficile de reconnaître la démence ou le délire dans l’administration des affaires du Royaume et des Comtés. Ah ! que j’aimerais voir la vertueuse tête catogannée de ton ami Patrick de la Natte, mon oncle, lui qui, désormais, a troqué l’indignation morale du nouvelliste qu’il fut contre la soumission politique du propagandiste en chef qu’il est. Ce doit être un supplice pour cette fière âme que de lire sous la plume de son successeur au « Tirelire » la liste des trahisons aux principes les plus élémentaires d’une bonne gestion publique. A moins qu’il ne soit devenu aveugle aux dérives d’une caste moins soucieuse d’efficacité que de libéralités envers quelques parvenus de la politique rosienne travestis en petits bourgeois à costumes rayés et fumant des havanes. Monsieur de la Brindille, m’assurait ce matin en avoir coopté quelques uns dans son club des « fumeurs de cigares » ; une obligation, m’avouait-il dans un éloquent  soupir, tout en pestant contre les manières grossières de ces néo convertis à la culture des puissants. A propos de tabac, mon oncle, un événement d’importance cruciale pour l’avenir du Comté est rapporté dans le « Dépendant » : Madame de Fade élue à la Cour et le sénateur à vie Longvin sont dorénavant à « l’écoute des buralistes ». Un travail épuisant et de longue haleine qui justifie la mobilisation éclairée et complaisante de nos deux parlementaires joliment halés. François de Gouda, dit Normal le premier, l’a annoncé hier dans nos étranges lucarnes : la crise nécessite que l’on passe à la vitesse supérieure. Voilà qui est dorénavant fait dans nos contrées, mon oncle ! Sans rire!

Aujourd’hui, le ciel était sombre et la pluie menaçait; les rues, vides, sentaient le moisi; des volets claquaient sur des murs sans poèmes. Ce soir, on parle dans le fond et des bêtes s’étonnent.T’ai je dit que les yeux de Mila ont aussi éclairé ce jour et que les miens, sur son visage endormi, ont emprunté quelque chose de son innocence ? Bonne nuit, mon oncle, toi qui me lira demain en plein midi…

 

Post scrimptum:

Ah ! mon oncle, dois je t’avouer que je fais tenir à ton cher de la Brindille des propos tout droit sortis de mon imagination. M’en voudra-t-il de l’avoir laissée courir ainsi à ma fantaisie? Les volutes d’un Hoyo de Monterrey, que je fume en solitaire, ont cet étrange pouvoir de tordre la réalité. De la tordre seulement… 

 

 

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