Chronique du Comté de Narbonne.

 

Jeudi 31 mai de l’an 2012,

Hier matin, mon oncle, revenant des Halles une « baguette » à la main, je me suis retrouvé au centre d’un labyrinthe de barrières en métal et de murs grillagés qui occupent désormais toute la promenade des « Barques ». Perdu, je n’ai du mon salut qu’en suivant le porteur d’une imposante tronçonneuse qui, miraculeusement, s’en allait à fortes enjambées, exsudant toutes ses eaux, vers quelque taverne située en dehors de ce sinistre chantier. Quelle désolation que d’arpenter ce mail au milieu d’engins pétaradant entre des platanes emmaillotés de grossières et  ridicules planchettes en bois blanc ! Et quel chagrin devant ces tapis de sciure noirâtre marquant de leurs sinistres présences ce qui fut la première rangée de ton mail, mon oncle, impitoyablement éradiquée ! Hécatombe prestement justifiée le lendemain de ce féroce abattage dans la gazette de Dédé de Navarre où figuraient  d’imposantes images de troncs malades et désespérément creux. Pendant trois jours, mon oncle, nos «  feuilles » locales ont exposé ces impudiques visions de platanes « pourris », comme pour assurer le « service après vente » des décisions prises par le  bon sieur Labatout. Entends moi bien, n’étant pas arboriculteur, je ne porte point de jugement sur la vérité du diagnostic posé sur ces malheureux végétaux par les jardiniers du Comté ; quoique une dame du « parti oxygéné » prétende que l’étant tous, creux , il fallait conséquemment les élimer tous. Non ! c’est plutôt de cette complaisante « couverture » gazetière étalée par nos gens de plumes dont je m’inquiète ici. Ah ! que n’aurait écrit  ton ami de la Natte, du temps du duc de Lemonyais, sur la noire misère de cabaretiers aux terrasses désertées et les pleurs de petits vieux sans sièges à l’ombre où caler leurs vénérables fessiers ? On rêve ! D’autant que nos gazetiers, obnubilés par ce massacre arboricole ne se sont guère épanchés sur la privation d’eau subie durant trois jours par des milliers de personnes des marquisats de Moussan, Marcorignan et Nevian ; pas le moindre entrefilet ! Peut être convenait-il de n’en rien dire pour ne point  peiner les puisatiers administrés par le comte de Labatout au sein de la Régie du Grand Comté, forts nombreux au demeurant, et au statut protégé. Six mois plus tôt, mon oncle, quand ce métier était confié à une compagnie fermière et privée, nul doute que nouvellistes et politiciens se seraient déchaînés ; ses dirigeants discrédités, ses profits vilipendés, et le « service public » glorifié. Ainsi va l’information, flottante au gré des affinités et des accointances de toute sorte, comme une bouteille à la mer dont le goulot seul s’offre à la vue d’un promeneur distrait.

Que je te dise aussi que le dimanche de Pentecôte où l’Esprit Saint donna aux apôtres le don des langues, une nuée de « bodorniens » revêtus d’une capote couleur «  framboise écrasée », distribuaient la profession de foi du Prince, dit le petit, de Gruissan, sur le parvis des Halles. On aurait dit de ces prosélytes joyeux, toujours bondissant et chantant, de ces nouvelles églises charismatiques. Daredare du Rocher en dirigeait le chœur, survolté par le miracle d’avoir à orchestrer, lui qui préside le microscopique « parti radinal », un aussi grand nombre de fidèles momentanément convertis à l’évangile du père, pardon!, du Prince de Gruissan ; des fidèles de circonstance et une  alliance profane autour du sieur Bodorniou pour l’envoyer siéger auprès du roi batave, dont il entend bientôt tirer partie dans sa conquête du marquisat de Coursan : son présent titulaire, Vladimir Plavich, reniflant l’ambition comme un renard les poules, l’ayant expulsé de son fief. Car il a de l’ambition notre jeune prêcheur au physique délié et gracieux, apprêté à la boboisante mode de discrète et élégante façon : ses chaussures en témoignent. Mais de cela je ne t’en dirai pas plus : il se fait tard, des lectures m’attendent. Non pour fuir ou seulement me distraire, mais, comme le disait ton ami, pour ouvrir une porte sur un monde enchanté : la lecture est une féconde amitié, n’est ce pas ?

Bonne nuit, mon oncle ; ou plutôt, bien le bonjour ! quand tu liras ces quelques lignes; demain matin, si le carrosse postal n’est point empêché par quelque attroupement de revendicatifs cochers en colère.

Ton fidèle neveu.

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