Chronique du Comté de Narbonne.

     
Narbonne: Hôtel de Ville.

Narbonne: Hôtel de Ville.

Mardi 10 avril de l’an 2012.

Mon très cher parent,

Il faisait un grand beau temps ce lundi de Pâques, mon oncle ; je remontais la rue Droite, qui ne l’est pas, quand je fus abordé par un quidam habituellement croisé lors de mes promenades urbaines ; de ceux avec qui l’on évoque facétieusement la force et le sens des vents, forts nombreux et puissants en ces terres d’Aude, comme tu le sais. Très agité, ce particulier, pourtant bien élevé et de bonne famille, à l’humeur vagabonde et aux gestes mous, brandissait furieusement comme on époussette ses souliers à grands coups de mouchoirs, une « feuille » au titre outrancièrement accusatoire, et entièrement consacrée, si je puis dire en cette fin de semaine pascale, à Patrick de la Natte, notre ex gazetier en chef du « Tirelire » comtal et présentement scripteur en chef du Comte de Labatout ; une « feuille » en forme de brûlot, qu’il me tendit sur le champ avec force commentaires auxquels je n’entendis goutte. Une véritable crucifixion, mon oncle ! une descente aux enfers sans passage compatissant par un éventuel purgatoire pour celui qui, naguère, se présentait sous les traits d’un preux chevalier de la liberté de la presse et qui, aujourd’hui, agit en mercenaire de la propagande politicienne. Si les masques finissent toujours par tomber, le sieur Loulou de la Godasse, lui qui tient plume, de la première à la dernière ligne dans ce brutal libelle, ne prend guère les gants de la civilité bourgeoise pour les arracher brutalement. Un drôle de pèlerin notre Loulou ! Un ancien et modeste gabelou très vite reconverti avec succès dans les affaires immobilières et cabaretières. Jadis patron d’une taverne flottante, il est à la tête, aujourd’hui, d’une des plus grosses fortunes du Comté ; toujours à ferrailler contre tous les pouvoirs, qu’il espère abattre et qui, toujours, le font chuter. Son style d’écriture, je te joins un extrait, est à l’image du personnage ; n’y brillent ni l’esprit de finesse ni celui de géométrie. Il le sait et en joue et surjoue, il faut le reconnaître, avec la  grasse gouaille qui tant plaît au peuple ; et de son physique et de ses costumes, dont il sait qu’ils n’en supporteraient pas le vernis, notre homme en tire avantage dans le genre plébéien et canaille qui lui sied finalement très bien.

Tout lui fait ventre, en effet ! insatiable, il n’a de cesse de vouloir imposer sa parole sulfureuse dans  l’espace public comtal ; et peu importent les moyens. Car ce soudard de la politique locale, mon oncle ; ce grognard perdu des guerres antiques menées par Hubert de Moulty, t’en souviens tu, n’a pas hésité une seconde à soutenir le Comte Labatout et son ami Patrick de la Natte afin d’abattre celui que son maître avait pourtant élu : le duc de Lemonyais.

Ainsi va l’histoire, mon oncle : la grande comme la petite. Pleine de bruit et de fureur ; de pathétiques et illusoires combats ; faite de reniements et de trahisons, à l’image de l’Iscariote et de Pierre. Qui en tire les fils ? A voir la trajectoire de ces deux êtres étrangement  réunis comme les deux faces d’un même masque dans ce vulgaire et dérisoire morceau de papier pris aux mains d’un inconnu, dans une rue Droite qui ne le sera jamais, me vient cette réflexion d’un de nos plus grands auteurs baroques qu’il te plaît de souvent citer « Oui, toute la vie est un songe; et les songes eux-mêmes, que sont-ils ? Songe! ». Pensée qui nous invite, ainsi que tu me le recommandes dans chacune de tes lettres, mon oncle, à regarder ce monde avec toute la sollicitude et l’ironie qu’il mérite. Ce que je m’efforce de faire sans mauvaise rancune ; sans jamais haïr quiconque aussi…

Ton neveu !

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