Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

Jeudi 6 décembre de l’an 2012

Mon cher  parent !

C’est de « petites phrases » que je voudrais aujourd’hui te parler. De celles que Manuel Decuel, que je t’ai déjà présenté,  collectionne et  dépose méthodiquement dans la colonne  gauche du « Tirelire », à la page deux. Ironiques ou stupides, sérieuses ou banales, elles offrent des lignes de fuites – il m’en faut peu ! – pour m’échapper du tout venant d’articles sociétaux et de réclames ménagères présentement consacrées aux viandes, dindes, poulardes et autres mets qui seront avalés en grandes quantités pendant les fêtes d’une fin d’année, paraît-il en crise. Oui, mon oncle, en crise il paraît, malgré ce que tu peux en croire, et en voir surtout, des dispendieuses festivités programmées par notre Roi, ses comtes et petits ducs dans leurs différentes collectivités. Leurs cassettes sont vides, mais aux décaissements ils ne regardent guère ! Il est vrai que leur fortune personnelle n’en est point affectée. Ici, mon oncle, on vient d’installer, au beau milieu du mail toujours démembré, un ridicule petit marché de Noël constitué de petits cabanons stéréotypés, comme on en voit dans toutes les petites et grandes cités ; quelques girandoles aussi, sur de piteux platanes ratatinés. Tout cela, et si peu, finit par donner à cette enfilade de maisonnettes un air de baraques de chantier qui, finalement, s’accordent assez bien avec la physionomie du lieu toujours occupé par des grues, tracteurs et autres engins dédiés à cette interminable entreprise de rénovation. Mais je m’égare, mon oncle, alors que de petites phrases je voulais te parler. Celle ci a retenu mon attention, d’un quidam au sieur Labatout adressée , logé au dessus d’un bistrotier à la mode sis sur le mail dont je viens de discuter: « On ne peut plus dormir, on ne peut même plus regarder la télé ». La réponse du comte ! « Il n’est pas évident de concilier les critiques fondées des riverains et l’activité légitime des taverniers … » qui, prétend-il, «  font reculer l’insécurité. » Voilà comment nos mastroquets, par notre premier magistrat, se retrouvent enrôlés dans les troupes supplétives de sa maréchaussée ; peut-être même la verra-t-on demain, elle aussi, assurer le service aux clients des estaminets. Je connaissais le goût du comte pour cette engeance bistrotière, que j’affectionne aussi, tu le sais – enfin, modérément ! – , mais à la couvrir de cette pandoresque auréole, il fallait faire preuve d’une grande autorité! Tu me permettras cependant de douter de la voir servir un jour, ou une nuit, du petit lait à la place de jus alcoolisés afin d’éviter troubles et incivilités. Enfin, tout cela présage mal, mon oncle, de l’avenir du mail une fois les travaux achevés. Je crains, en effet, qu’il ne devienne une de ces gigantesques terrasses tavernières où se rassemblent bruyamment de festives et vespérales troupes aussi désoeuvrées qu’assoiffées. Ce qui dans le langage moderne est présenté comme l’acmée de l’animation « culturelle », alors qu’il ne s’agit, dans la promotion de ce raffut généralisé, que de la manifestation rampante d’une nouvelle et insidieuse forme de barbarie. A des degrés divers, l’espace public devient hélas une zone de non-droit, intégralement remplie par la jouissance des uns et l’impuissance des autres ; il n’y a plus que des bourreaux par insouciance et des victimes sans identité. Ah ! mon oncle, qui donc osera un jour proclamer le silence patrimoine immatériel de l’humanité !

Je t’embrasse à présent, et m’en vais me coucher. Il est tard, c’est le temps de rêver ! A bientôt, mon oncle…

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Commentaires (2)

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    Gérard Plaine

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    Avez-vous lu  « Petit éloge des amoureux du silence » ,de Jean-Michel Delacomptée? Le bruit est une prison, aussi vieille que la brutalité du monde, mais l’homme s’est bien gardé de s’en
    affranchir, il s’est contenté de la « customiser »…

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    Michel Santo

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    Non Gérard, mais par contre j’ai conservé dans mes archives un article de cet auteur paru dans le monde du 7/11/2002 (déjà! ) On y trouve ceci, par exemple:  » On ne le répétera jamais assez : la
    dictature du bruit traduit la dégradation croissante du lien social. Elle ne témoigne pas seulement d’un mépris abyssal pour l’intérêt d’autrui, elle fabrique un no man’s land où tout est permis,
    comme sur la route. Ou comme dans les cités. C’est une forme de terrorisme soft, au quotidien. Et ceci encore: « A un stade supérieur, plus philosophique en quelque sorte, il conviendrait de faire
    pour le silence comme on l’a récemment proposé pour la nuit, à présent disparue derrière les lumières urbaines : proclamer le silence patrimoine de l’humanité. » Je lui ai emprunté cette dernière
    idée… Bonne soirée!

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