La bonne distance, à Lagrasse, au « Banquet du Livre »!

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Jacques Raynal était au Banquet du Livre, à Lagrasse. Il nous livre ici ses réflexions…

Une semaine à Lagrasse au banquet du livre…Banquet est bien le mot tant les agapes (toutes spirituelles, on s’en doute), y furent riches.

Que cela fait du bien ! Des gens de tous âges un peu partout, plongés dans un livre, grande et fraternelle communauté des bien lisants.D’autres, silencieux et recueillis, à l’écoute des conférenciers, dissertant, polémiquant, décortiquant leurs propos et puis ces vieilles pierres pour servir d’écrin à toutes ces joutes de l’esprit…Quelques intelligences magnifiques comme celle, entre autres, de la délicieuse Gwenaëlle Aubry, laquelle vous familiarise avec l’Un Plotinien aussi facilement que s’il s’agissait d’un vieil ami de la famille…Et puis tous les autres messieurs Hanus, Milner, Rueff etc.…Qui nous servirent chaque jour tous ces mets succulents que nous dégustâmes avec délectation ; ces gens qui nous déverrouillent le cortex, nous amènent parfois a nos limites de compréhension, mais qui, tel le randonneur découvrant un sublime panorama au bout de son effort, vous apportent cette récompense suprême qu’est la sensation d’être monté plus haut que les chemins parcourus a l’ordinaire.

Snobisme, snobinard…Me dit un ami, très cher par ailleurs, et à qui je n’en veux nullement de porter un jugement aussi péremptoire que peu flatteur sur cette manifestation. Cet ami étant au demeurant fort cultivé et nullement ignorant des choses de l’esprit, je me trouve ainsi amené a m’interroger sur le bien fondé d’une affirmation aussi définitive.

Ces animations dites culturelles  draineraient donc, en majorité, selon lui un public ou l’affectation primerait la soif réelle de connaissances, en gros il faut être là car il est de bon ton d’y être si l’on souhaite faire partie d’une certaine forme d’élite dite cultivée.

Il m’apparait, après réflexion, que cette attitude très restrictive et quelque peu méprisante constitue une autre forme de snobisme tout aussi pernicieux que celui qu’elle entend dénoncer.

C’est ainsi qu’au snobisme (incontestablement réel) de la sottise cultivée (ou qui voudrait le paraître) s’oppose la culture affectée de la sottise qui consiste a faire fruste pour faire peuple, persuadé qu’en affichant une certaine forme de rusticité de la pensée on se retrouvera plus proche du peuple en question….Alors que ce peuple que justement, par cela, on méprise, n’aspire lui justement qu’a élever sa pensée si on lui en offre la possibilité.

Mais je voudrais revenir au thème de ce banquet: Ombre et lumière de la solitude. Fut citée par Gilles Hanus dans sa remarquable intervention, la fameuse parabole du porc épic de Schopenhauer revisitée par Barthes et que, de mémoire, je vous rapporte ici.

« C’est l’hiver, il fait froid, les porcs épics se rapprochent pour avoir plus chaud…Ce faisant, bien sur, ils se piquent et s’éloignent…Ayant encore très froid, ils se rapprochent a nouveau et évidemment, après s’être encore cruellement piqués ils s’écartent les uns des autres…Et cela pourrait durer longtemps si, enfin, ils ne trouvaient la bonne distance. »

La bonne distance…être proche mais pas trop…être a distance mais pas loin…Essayer de rester aussi vrais que possible. La solitude ne se décide pas, elle est là… mais nous disait John Donne « Nul n’est une île, complet en soi même ».

On n’apprend pas, je crois, la philosophie, on apprend ou plutôt on essaie d’apprendre à devenir philosophe…C’est-à-dire, disait Montaigne, à apprendre à mourir, c’est-à-dire aussi, disait cette fois Epicure, à apprendre à vivre. !

Mais Dieu, qu’il est snob de se préoccuper de ces choses, hein ?

J’ai lu dernièrement sur ce blog le remarquable travail de Pierre Henri Thoreux sur Bergson, je voudrais ici l’en remercier et lui dire toute mon admiration et, puisqu’il est question de ce grand bonhomme, je voudrais vous livrer cette réflexion qui me vient a l’esprit.

Bergson (dont je retiens aussi qu’il a écrit sur le rire, preuve que la philo ne se préoccupe pas uniquement de sujets rébarbatifs) influença, je crois profondément toute une génération et reste la référence d’un grand nombre de penseurs et d’écrivains encore aujourd’hui (Gide, entre autres, en parle abondamment). Son plus proche et brillant disciple fut, je pense, Jankélévitch qui, à son tour, fut le maitre à penser de Lucien Jerphagnon récemment disparu, lequel forma le très médiatique Michel Onfray (auteur, il y a peu, d’un formidable travail sur Camus), personnage aux opinions extrêmement tranchées  et péremptoires que l’on peut ne pas totalement partager mais dont il n’est pas question de minimiser la haute exigence intellectuelle.

Rien en commun, à priori entre Bergson, Jerphagnon ou Onfray…Le mysticisme néo platonicien de l’un, l’agnosticisme souriant du second, l’athéisme militant et l’hédonisme épicurien du dernier semble éloigner totalement leur visions respectives du monde …Et, pourtant, Onfray (c’est lui qui le dit) descend en droite ligne de Bergson par Jankélévitch et surtout par Jerphagnon interposés.

Simplement peut on penser, Les graines furent semées qui, loin d’enfermer la pensée dans un corpus prédigéré, lui permirent, au contraire de prendre son envol vers ses propres horizons…Chacun, pensant différemment et traçant son propre chemin, prit appui sur la pensée de l’autre comme sur la  marche d’un seul et unique escabeau…

Je me souviens du Gide des « Nourritures terrestres » : « Quand tu m’auras lu, jette ce livre et sors, je voudrais qu’il t’eut donné le désir de sortir…Que mon livre t’enseigne à  t’intéresser plus a toi qu’à lui-même, puis a tout le reste plus qu’à toi.»

Jette ce livre, sors et oublies moi, deviens ce que tu es…Splendide parabole du maitre et du disciple.

Et puis, pour parler encore un peu de Bergson, j’aime assez qu’un homme soit aussi a la hauteur de son œuvre et je voudrais rappeler que Bergson, alors qu’il allait se convertir au catholicisme en 42 et que son statut de grand intellectuel le rendait intouchable, différa sa conversion et revendiqua hautement sa judéité par solidarité avec sa communauté d’origine.

Mémento magnitudinis…Souviens toi d’être grand…Chapeau et merci monsieur Bergson.

Alors, finalement, la philo, pourquoi faire ? Et penser, ça sert à quoi ?

Pourquoi se torturer inutilement la cervelle au lieu de brouter paisiblement son pré carré durant le peu de temps qui nous est imparti ?

Minuscule grain de sable parmi les minuscules grains de sable, posé là (par hasard ?) sur cette plage immense devant un océan bien plus immense encore, ce rien, ce trois fois rien que nous sommes arrive cependant a se penser et a penser l’univers (le penser…pas le comprendre et c’est là que l’aventure commence)…Miracle inouï…L’étonnement est à la base de toute la philosophie…

Lancinante et immémoriale interrogation à laquelle nous n’aurons sans doute jamais de réponse, sauf, peut être, à la fin des temps (s’il y en a une) car, paradoxe, nous comprenons d’autant mieux le monde que nous nous éloignons dans le temps de son commencement.

Crédo quia absurdum…Je crois parce que c’est absurde écrivait Tertullien, il y a quelques dix huit siècles…Après tout, pourquoi pas ? Qu’est ce qui n’est pas absurde en ce monde à commencer par moi qui écrit ces lignes inutiles et vaines ? Qu’est ce qui est le plus invraisemblable…? Qu’un Dieu, quelque part se soit incarné dans un homme qui se fera crucifier pour le salut des autres tout en ressuscitant le troisième jour…Ou bien que nous ne sortions de rien pour aller nulle part, que tout cela n’ait strictement aucun sens et qu’il n’y ait quelque chose plutôt que rien par le plus grand des hasards…Ou par on ne sait quelle nécessité ?

Ombre et lumière de la solitude face à sa propre existence et à son devenir…Plotin, encore et pour finir, commenté par Gwenaëlle Aubry.

« Il faut faire sécession d’avec ses étrangers intimes (corps, sentiments etc.) Opérer une soustraction pour un gain d’être…Moins et moins feront plus… Nous sommes traversés par toute la puissance du vivant depuis la plante jusqu’aux dieux. »

Vivement le prochain banquet !

                                 

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires (1)

  • Avatar

    phthoreux

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    Il est bien agréable de se voir cité aussi gentiment au sein d’une belle réflexion, dont j’aime les détours délicieusement existentialistes. D’une manière plus générale, c’est toujours pour moi
    un vrai plaisir de jeter un œil – si je puis dire – à ces contre-regards dont je partage très souvent les points de vue, ou qui m’apportent des lumières nouvelles. Merci et bon dimanche.

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