La politique est l’ornement de l’intellectuel, comme il est son ornement…

   

 

[…] Le phénomène des intellectuels activistes est typiquement romantique. Ce n’est pas un hasard s’il trouve en Rousseau son paradigme, encore en vigueur aujourd’hui, dans la mesure où se conjuguent en lui, pas toujours de manière heureuse, une conscience de soi exacerbée et l’affectation exhibitionniste d’une généreuse préoccupations sociale. L’égotisme peut se parer de bien des défroques… Mais l’ardeur subversive de Rousseau, comme d’ailleurs celle de Voltaire et d’autres illustres contemporains, s’exerçait impunément dans le cadre galant et aristocratique des salons bien-pensants du siècle des Lumières. L’heure n’était pas encore venue de descendre dans la rue. On traitait la politique avec le même raffinement stylistique que les œuvres d’art. On confondait délibérément les deux domaines, dans une fausse innocence que notre admiration finit par absoudre. Mais aujourd’hui l’intellectuel ne peut continuer à feindre que la politique est son ornement et qu’il est l’ornement de la politique. C’est pourquoi, s’il veut se garder de l’insincérité, il doit savoir que rarement se rencontrent en un même individu un créateurs de beauté et un homme d’État. Elle saute aux yeux, la fausseté de ces artistes persuadés qu’il y a dans leur vocation un versant social obligatoire, et qui en réalité sont seulement pleins d’eux-même. Ce n’est pas leur semblable concret qui est au centre de leurs préoccupations mais la représentation qu’ils en ont, arbitrairement conçue. […]

Miguel Torga. En Chair vive. Journal (1977-1993). Collection Ibériques chez José Corti, pages 31 et 32.

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