Les journalistes: une page de Balzac.

Lectures

 

 

 

Dans cette monographie de la presse parisienne, Balzac distingue plusieurs variétés de journalistes-hommes d’Etat. Celle qui suit est « l’Attaché ». Qui, bien entendu, est une oeuvre de pure imagination et ne saurait être confondue avec quelque personnalité qui prétendrait s’y reconnaître.J’ajoute, faut-il le préciser?, qu’il s’agit là d’un  » archétype  » social dont la vêture politique est indifférente à celle utilisée par Balzac dans cette miniature. Le propre du  » génie « , en littérature comme en d’autres domaines, étant de nous  » informer  » sur le caractère universel de certaines de nos pratiques sociales. Entre autres comportements propres à notre espèce…

 

 

…« Dans certains journaux à convictions (voyez plus bas), des gens désintéressés qui vivent, moralement parlant, par un système auquel ils ont voué leur vie, des gens à lunettes vertes,jaunes, bleues ou rouges, et qui meurent avec leurs besicles sur le nez, sont attachés au journal. On dit d’eux : « Il est attaché à tel journal. » Ces gens n’y sont souvent rien, ils en sont quelquefois les conseils, ils en sont souvent l’homme d’action. Aussi sont-ils toujours connus par l’énergie de leurs principes. Dans les journauxde l’Opposition ou radicaux,

ils inventent des coups de Jarnac à porter au pouvoir ; ils sont les chevilles ouvrières des coalitions, ils découvrent les actes arbitraires, ils se portent dans les départements aux élections menacées, ils troublent le sommeil des ministres en les taquinant. On leur doit les questions palpitantes, et les actualités : la réforme électorale, le vote de la garde nationale, des pétitions à la Chambre, etc. Ces gens de coeur sont les tirailleurs, les chasseurs de Vincennes de la presse; ils prennent des positions politiques dans leur parti, jusqu’à ce que, lassés de faire le pied de grue dans leurs positions, ils s’aperçoivent qu’ils sont les dupes d’une idée, des hommes ou des choses, et qu’il n’y a rien d’ingrat comme une idée, une chose et un parti; car un parti, c’est une idée appuyée par les choses. Il y a parmi eux des entêtés qui passent pour des hommes d’un beau caractère, des hommes solides, des hommes sur lesquels on peut compter. Quand, plus tard, on va chercher ces Attachés, on les trouve attachés à leur femme et à leurs enfants, jetés dans un commerce quelconque et tout-à-fait désabusés sur l’avenir du pays. Le parti républicain surveille ses Attachés, il les entretient dans leurs illusions. Un jour, un républicain rencontre son ami sur le boulevard, un ami que son attachement aux doctrines populaires maintenait dans une maigreur d’étique.

— Tu t’es vendu! lui dit-il en le regardant.

— Moi?

— Oui, je te trouve engraissé ! »…

 

Pages 27 et 28 de l’excellente version numérique proposée par les éditions du Boucher

TROISIÈME VARIÉTÉ

 

Rétrolien depuis votre site.

Laisser un commentaire

Articles récents