Le marché de la salle multimodale de Narbonne serait-il illégal ?

Le 8 décembre 2016, je publiais un  billet dans lequel je doutais de la légalité du marché conception-réalisation concernant l’Arena de Narbonne. Demain, Jeudi 14 Mars, le Rapporteur Public (ex-Commissaire du Gouvernement) du Tribunal Administratif de Montpellier va enfin présenter ses conclusions devant ses collègues magistrats. Leur décision sera connue quelques jours après (sous quinzaine) sachant, qu’en général, ils suivent les conclusions du Rapporteur Public – en les amendant, éventuellement…

Copie du billet du 8 Décembre 2016 :

 

Madame Nathalie Granier-Clavet n’est plus la 3e adjointe du maire de Narbonne déléguée, notamment, à l’urbanisme. Elle ne pourra pas donc pas m’éclairer, en tant que telle, en tout cas, sur certains aspects juridiques, de la procédure, très particulière, retenue pour l’attribution du marché public concernant la salle multimodale.

 

En effet, contrairement aux marchés classiques conditionnés par l’interdiction d’associer une entreprise à la conception d’un ouvrage, c’est la procédure dite « conception-réalisation » qui a été choisie par le conseil municipal par une délibération du conseil municipal en date du 24 septembre 2015.

 

Pour les non-initiés – nous entrons dans un domaine du droit administratif un peu compliqué – il faut savoir que la « conception-réalisation » est une « forme » de marché public qui permet à un maître d’ouvrage – la commune en la circonstance – de confier simultanément la conception (études) et la réalisation (exécution des travaux) d’un ouvrage à un groupement d’opérateurs économiques ou un seul. Il constitue donc une exception à l’organisation tripartite classique : maître d’ouvrage – maître d’œuvre – entreprises. Mais une exception, néanmoins strictement encadrée. En effet, seuls des motifs d’ordre technique très stricts – Cf. la circulaire n°95-58 du 9 août 1995 ¹ – peuvent être excipés pour justifier l’utilisation de cette procédure. Et des motifs analysés de surcroît très sévèrement par la justice administrative.

 

Or, à l’analyse du « cahier des charges » de la salle multimodale voulue par la Ville de Narbonne, rien ne permet d’affirmer que le chantier projeté présente des caractéristiques techniques autorisant la mise en oeuvre de cette procédure. La jurisprudence est parfaitement claire sur cette question. J’en veux pour seule preuve l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nancy (CAA Nancy, 5 août 2004, n° 01NC00110) qui a infirmé un jugement du Tribunal Administratif de Strasbourg qui, pourtant, avait considéré, dans un premier jugement, que le recours au marché de « conception-réalisation » pour la réalisation d’un complexe omnisports était autorisé. Un complexe qui, comme celui que projette la Ville de Narbonne, comprenait, lui aussi, un volet « culturel ».

 

Dès lors se posent quelques questions. Pour quelles raisons des parties ayant intérêt à agir – architectes, entreprises de bâtiments et/ou de travaux publics… ne l’ont pas fait en saisissant le juge administratif ; comment expliquer que le contrôle de légalité exercé par l’autorité préfectorale ne se soit pas intéressé à ce marché ; et, surtout, quelles sont les vraies raisons de ce choix fait par la majorité municipale. Le risque juridique étant réel, je ne vois que le souci, pour cette dernière, de réaliser cette salle dans un calendrier le plus court possible, avant la fin de son mandat. Un risque qui pourrait coûter cher…

 

Le problème est que si les délais de recours – deux mois – sont épuisés pour demander l’annulation de ce marché, tous les actes administratifs qui lui seront attachés, eux, pourraient l’être sur les fondements juridiques exposés précédemment… Les parties prenantes à ce marché ne devraient donc pas être surprises si, le moment venu, les opposants à cette salle saisissaient la justice administrative pour trancher ce débat.

 

J’ajoute, pour terminer cette rapide analyse, que le silence du Grand Narbonne sur cette affaire n’est pas sans m’étonner, lui aussi. En effet, cette salle multimodale: « sport, spectacles, concerts, conventions, événements économiques type foires, expositions ou salons », comme le précise le cahier des charges de la Ville de Narbonne, outre son volume, sa zone de chalandise, son caractère « intercommunautaire », présente des fonctions qui relèvent de la compétence, au sens juridique du terme, de la Communauté d’Agglomération. L’économie, certes, pour ce qui concerne les salons, foires, expositions, etc. Mais aussi le culturel et le sportif : le Grand Narbonne gère, en effet, des établissements culturels et sportifs tels que le Théâtre, l’Espace de Liberté, notamment.

 

Comment donc comprendre que cet « investissement » communal dans le champ de compétence de l’Agglo n’ait jamais fait l’objet d’un débat public au sein de ses instances. Là encore, le silence préfectoral est surprenant dans une situation où la Ville centre ne cesse de contester les fondements mêmes de l’intercommunalité en s’emparant de domaines et/ou de programmes qui relèvent de la compétence et de financements du Grand Narbonne…

 

Affaire à suivre !

 

¹ Cette circulaire précise que, «dans ce cadre, peuvent par exemple relever de ces motifs : certains ouvrages à grand volume impliquant une structure complexe ; – certains ouvrages en souterrains exceptionnels ; certains ouvrages dont la fonction essentielle est constituée par un processus de production d’exploitation qui conditionne sa conception et sa réalisation comme par exemple les cuisines, les blanchisseries ou les procédés de production de chaleur, lorsque ces ouvrages constituent l’essentiel de l’opération ; la réhabilitation lourde de certains ouvrages existants impliquant des techniques particulières de construction comme des reprises en sous-oeuvre, l’intervention sur des structures remettant en cause les descentes de charge».

 

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Commentaires (8)

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    Patrick Martin Uzamugura

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    Très belle analyse qui interroge sur la légalité de la DUP(erie) du dédoublement de l’A9 ou de la démolition et la construction des halles Laissac à Montpellier.

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      Michel Santo

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      Ça vient de tomber et le Commissaire reprend tous mes arguments : Je le cite : « Le marché de conception-réalisation est strictement encadré par la loi dans le cas de difficultés techniques ou de dimensions exceptionnelles notamment »… »Ni les caractères techniques, ni la dimension du bâtiment, ni l’acoustique, ni les matériaux, ni la modularité ne peuvent le justifier. » La ville de Narbonne ne pouvait pas avoir recours à ce type de marché », a-t-il souligné. Le marché public est pour lui entaché d’irrégularité. Il demande donc sa résiliation. Attendons la suite, en sachant que dans pratiquement tous les cas le tribunal suit les conclusions du Commissaire du Gouvernement…

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    Pfister Thierry

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    Une future équipe municipale pourra récupérer ce nouvel « éléphant blanc », produit par les délires des élus couplés à des calculs électoraux à courte vue, afin d’en faire un hôtel de police plus vaste.

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      POLGE

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      Une idée …………….Cela fera une attractivité supplémentaire , on pourra venir à Narbonne visiter l’hôtel de police le plus cher du pays!………..Ces procédures de conception-réalisation sont pratiques et tentantes pour les élus , mais peuvent se retourner assez facilement contre eux .A manipuler avec beaucoup de doigté et surtout avec des bases juridiques bien solides au départ .Leur simplicité d’usage masque leur bien réelle dangerosité .

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        Michel Santo

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        Exactement ! Le problème est qu’il n’y a plus de contrôle de la légalité, et que les élus ont de faibles compétences en droit administratif. Conséquemment, selon le vieux principe selon lequel ce qui n’est pas reconnu illégal dans les délais de recours est légal, on assiste à du grand n’importe quoi …

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        Michel Santo

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        Ça vient de tomber et le Commissaire reprend tous mes arguments : Je le cite : « Le marché de conception-réalisation est strictement encadré par la loi dans le cas de difficultés techniques ou de dimensions exceptionnelles notamment »… »Ni les caractères techniques, ni la dimension du bâtiment, ni l’acoustique, ni les matériaux, ni la modularité ne peuvent le justifier. » La ville de Narbonne ne pouvait pas avoir recours à ce type de marché », a-t-il souligné. Le marché public est pour lui entaché d’irrégularité. Il demande donc sa résiliation. Attendons la suite, en sachant que dans pratiquement tous les cas le tribunal suit les conclusions du Commissaire du Gouvernement…

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      Michel Santo

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      Ça vient de tomber et le Commissaire reprend tous mes arguments : Je le cite : « Le marché de conception-réalisation est strictement encadré par la loi dans le cas de difficultés techniques ou de dimensions exceptionnelles notamment »… »Ni les caractères techniques, ni la dimension du bâtiment, ni l’acoustique, ni les matériaux, ni la modularité ne peuvent le justifier. » La ville de Narbonne ne pouvait pas avoir recours à ce type de marché », a-t-il souligné. Le marché public est pour lui entaché d’irrégularité. Il demande donc sa résiliation. Attendons la suite, en sachant que dans pratiquement tous les cas le tribunal suit les conclusions du Commissaire du Gouvernement…

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    MARTINEZ

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    Oui Michel ça vient de tomber ,mais c’est trop tard? N’oublions pas que c’est un juriste qui a pris la décision de réaliser ce « machin ». Si tout s’arrête cela signifierait que ce juriste est gravement incompétent ,et c’est à lui que nous avons confié les clefs de la Ville. Il est clair que la campagne pour les municipales est lancée, attendons nous au concert de casseroles que vont se jeter les uns et les autres ,je m’en réjouis déjà.

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