« Nos interventions militaires ne sont pas la cause du terrorisme » par Bruno Tertrais.

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Pour le politologue Bruno Tertrais, nos interventions militaires ne sont pas la cause du terrorisme; et la situation au Mali, en Libye et en Syrie aurait été pire si nous n’étions pas intervenus.

Depuis le vendredi noir du 13 novembre, une petite musique se fait entendre : nous serions en partie responsables, car ce sont nos interventions militaires qui suscitent, au Moyen-Orient, réactions violentes et in fine actes de terrorisme. Est-ce vrai ?

La France a été frappée à de multiples reprises par le terrorisme moyen-oriental sans intervention dans les pays concernés : actes d’origine palestinienne dans les années 1970, iranienne dans les années 1980, algérienne dans les années 1990… Les djihadistes n’ont pas attendu le 11-Septembre : souvenons-nous du projet déjoué d’attentat contre le marché de Noël à Strasbourg en décembre 2000. Dans l’autre sens, l’équation est tout aussi erronée. A-t-on vu les Irakiens détester l’Europe après la guerre du Golfe ? Les Serbes nous poursuivre de leur vindicte après le Kosovo ? Les attentats se multiplier à cause de notre intervention en Libye ?

Dire que les bombardements conduisent à « mobiliser une partie des peuples au Moyen-Orient contre nous », selon Dominique de Villepin, est simpliste. Les « dommages collatéraux » créeraient nécessairement des rancœurs inextinguibles ? Ils sont parfois significatifs et des erreurs inexcusables sont commises. Mais les victimes civiles sont inévitables dans toute guerre et acceptables si le bénéfice attendu est supérieur au coût possible en vies humaines. Y a-t-il aujourd’hui une haine de l’Amérique en Allemagne et au Japon, alors même que les bombardements meurtriers du second conflit mondial relèveraient aujourd’hui du crime de guerre ? Les populations des villes normandes rasées par les raids américains poursuivent-elles les Etats-Unis de leur haine ?

Faire de Daech le produit inévitable des interventions occidentales est une erreur. Il y a un lien de causalité entre l’invasion de l’Irak et son émergence, mais celle-ci n’était pas écrite. Sans la dissolution de l’armée irakienne et du Parti Baas, les dix années de gouvernance sectaire du premier ministre chiite Nouri Al-Maliki et les choix de Bachar Al-Assad, la sidérante montée en puissance de Daech n’aurait pas eu lieu.

Il faut aussi parler du prix de la non-intervention. Si nous avions laissé l’Afghanistan être le sanctuaire d’Al-Qaida, croit-on que cette organisation serait moribonde ? Nous payons le prix de l’abstention de la communauté internationale en Syrie entre 2011 et 2014. Comme le rappelait Jean-Pierre Filiu, c’est à la suite de la décision américaine de ne pas intervenir (2013) que Daech a commencé à recruter en masse…

UN CHOIX DIABOLIQUE

Les attentats de Paris ont-ils été causés par nos actions en Irak et en Syrie ? Pas dans le sens où on l’entend. La campagne actuelle d’attentats peut être le signe que l’effort militaire paye : l’organisation est en difficulté. Et avec une telle justification, Daech tente de nous enfermer dans un choix diabolique : celui de la soumission ou à l’inverse de l’intervention au sol afin de refermer sur nous un « piège afghan ».

Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche n’avaient pas fait état de motivations stratégiques pour commettre leurs actes barbares. Les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher n’avaient rien à voir avec nos engagements militaires. Les attentats déjoués en Allemagne sont-ils dus à l’interventionnisme de Berlin ? On peine à reconnaître en notre voisin le « pays croisé » décrit par Daech. Notre pays est un objectif prioritaire parce qu’il héberge la plus grande population musulmane d’Europe : c’est sur notre terre que Daech espère causer la guerre civile. Et peut-être inverser le flux des migrants.

Enfin, il convient de faire un sort à l’absurde procès en déviance idéologique fait à la France : nous aurions depuis plusieurs années une politique « néoconservatrice » d’interventions tous azimuts. C’est un double contresens. D’abord parce qu’en politique étrangère, le principal marqueur du néoconservatisme est la promotion de la démocratie par tous les moyens : vu le resserrement de nos liens avec les monarchies du Golfe et l’Egypte, difficile de dire que la France s’inscrit dans cette logique. Ensuite parce qu’au Mali, en Irak et en Syrie, nous défendons d’abord des intérêts de sécurité, non une vision irénique de la démocratie et des droits de l’homme.

Les temps difficiles que nous vivons appellent des analyses subtiles et des réponses réfléchies. Gardons-nous de prendre pour argent comptant des raisonnements séduisants qui ne reflètent pas la complexité des enjeux.


Bruno Tertrais, politologue, est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Texte publié dans la Matinale du Monde, mercredi 2 décembre, édition abonnés

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