Notre temps meurt de l’oubli de ces formes symboliques où s’enseignent d’autres apprentissages…

 

Cimetière de Bages d’Aude.

     

Hier, le cimetière de Bages d’abord. Comme sa mère le faisait avant elle, devant le caveau de sa grand-mère, au bas d’une petite plaque sur sa face avant, elle y a déposé un vase de fleurs blanches. En souvenir d’une petite soeur morte : elle avait moins de deux ans ! Simone ne l’a jamais connue évidemment ; mais par ce rituel que sa mère entretînt avec ferveur, c’est à chaque fois cette profonde relation filiale, cet amour jamais éteint, qu’elle revit intensément. Dernière née d’une famille nombreuse, elle avait avec sa mère une liaison fusionnelle qui toujours encore aujourd’hui la ramène à son souvenir ; un souvenir mêlé à celui du seul nom d’une petite fille : Bernadette ! Un homme âgé circulait entre tombes et caveaux, un arrosoir à la main. (Toutes ces fleurs perdront vite leur fraîcheur : il tient à ce qu’elles gardent vie le plus longtemps possible.) Toujours aussi nous nous arrêtons devant la même photo. Celle de trois jeunes gens morts à la guerre (dite grande !). En tenue de soldat, sabre au poignet ; le regard franc, droit ; si jeunes, si fiers, si beaux… Peyriac-de-mer ensuite ! Et les trois tombes de sa famille paternelle. Et le même geste sur celle de sa grand-mère (même prénom et nom, même jour de naissance, à un jour près) ; jamais connue… Un pan d’histoire plongé dans les ténèbres. Et dans ce beau petit cimetière, une longue série de tombes individuelles sur une même rangée, toutes, sans exception, merveilleusement fleuries. Sur les stèles les mêmes photos de jeunes soldats de la même guerre. Les mêmes mots… Plus tard, la nuit venue, plongé dans un rêve éveillé traversé de toutes parts par de vagues idées, je méditais sur ces écoles du souvenir et ces « formes » rituelles aujourd’hui abandonnées (oubliées !) par le plus grand nombre ; des lieux de mémoires tenus à distance, pour ne pas dire « interdits » aux jeunes générations. École du souvenir ; et de l’histoire aussi, alors que dans le tintamarre médiatique et politique quotidien cette Europe pourtant construite au lendemain de deux guerres mondiales, pour n’en plus vivre de semblables, brimerait, exploiterait, nous dit-on, les peuples et les nations qui la composent ; et qui ferait soulever de honte et de colère contenus les dalles recouvrant les tombes de ces jeunes hommes enterrés là, dans ce cadre paisible et somptueux balayé par des vents aux odeurs de lagunes, de pins et de garrigues. Il suffirait pourtant d’aller « en famille » dans nos cimetières, « à la Toussaint », pour remplir ce « vide » de nos sociétés sans « formes », ni histoire. Mais qui osera cependant dire de l’utilité de ces rituels sociaux où s’enseignent d’autres apprentissages que les plus immédiatement utilitaires ? Notre temps meurt de l’oubli de ces formes symboliques…

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Commentaires (3)

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    Robin

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    Bonjour Michel
    Je vais aussi visiter ces tombes plusieurs fois dans l’année , en fait quand il m’en viens l’envie au cours de promenades , et bien sûr expressément celles là … Pourquoi ?

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    Jean Pierre

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    Bonjour.
    Vous avez écrit en famille, entre guillemets… Sacré réflexe qui traduit une situation propre à notre époque. Oui la famille est en voie de ringardisation, et pourtant elle est la base de notre de société ; cette cellule humaine où on devrait apprendre tout ce que l’on n’apprend pas l’école, cette cellule solide et indispensable où on discute, on débat, on s’engueule, mais que tout le monde consolide par sa présence.
    Aujourd’hui les allées du cimetière de Bages c’est un peu le reflet d’un temps révolu, une époque ensevelie que seuls les noms gravés sur des plaques de marbres se rappellent à nos souvenirs émus.
    Fini les héros… Fini les destins glorieux… La fierté et l’honneur, aujourd’hui c’est d’avoir 5000 amis sur Facebook et de porter le maillot de Neymar.
    Aujourd’hui, tout est jetable, rien ne se garde, c’est ringard de laisser sa place dans le bus à cette veille dame ; communiquer avec un(e) inconnu… c’est peut être le début du harcèlement, on ne demande plus sa route… le GPS s’en occupe, il n’y plus de guichet, les automates vous accueillent,
    on fait de moins en moins les courses…. Notre meilleur ami est en phase de devenir un écran et son clavier. On ne se parle plus, même avec le téléphone… On envoie des texto !
    Les jeunes sont désespérément numérisés, et les anciens le deviennent.
    Il est bien loin ce temps où les soir d’été on faisait le tour du village en s’arrêtant devant les pas de portes ou parfois 3 générations se racontaient des histoires et échangeaient des souvenirs…
    Certes la société évolue, c’est necessaire, la technologie devrait servir les hommes, mais pas les asservir. Il est bien difficile d’en fixer les limites.
    Emporté peut-être par une nostalgie irrationnelle exacerbée par les fêtes de la Toussaint, il m’arrive parfois de rêver d’une panne « électro-numérique » ou se retrouverait juste entre humains pour partager ces valeurs auxquelles vous faites allusion.

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      Michel Santo

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      Merci pour ce commentaire bien dans l’esprit de ce petit texte. Bonne soirée !

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