« Pas d’amalgame » : critique et contre-critique.

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Ce matin, j’ai reçu dans ma boîte de réception le dernier article de mon amie blogueuse Nathalie. Remarquable d’intelligence et d’équilibre, je le reproduis ici in-extenso. Il me semble en effet utile, dans ce temps où l’esprit d’analyse se confond souvent avec l’esprit de clocher idéologique, de donner à lire ce texte, afin de mettre un peu de clarté dans des débats aussi passionnés que volontairement obscurs. Entre bien-pensance sociétale de gauche et mal-pensance réactionnaire et identitaire, il y a, il faut, que se déploie un espace de réflexion à même de nous permettre de véritablement penser une situation d’une très grande complexité.

A la suite des attentats terroristes du Vendredi 13, indiscutablement perpétrés au cri d’Allahu akbar, c’est-à-dire « Dieu est le plus grand » dans la religion musulmane, on a vu refleurir un autre cri bien de chez nous : « Pas d’amalgame ! », ainsi que toutes les réactions ironiques orthographiées Padamalgam qu’il ne manque jamais de susciter tant il est devenu une formule automatique de la bien-pensance sociétale de gauche. Mais à l’instar de cette dernière, l’ironie sur le Padamalgam, qui se veut clairvoyante, tend aussi à tomber dans l’automatisme, celui de la mal-pensance réactionnaire et identitaire fièrement revendiquée. C’est en pensant à deux jeunes chauffeurs musulmans d’Uber avec lesquels mon mari et moi avons eu l’occasion de discuter hier et avant-hier, l’un originaire du Mali et l’autre de Tunisie, complètement démolis par les actes barbares de leurs coreligionnaires et en totale union avec le deuil de la France, que j’aimerais essayer d’entrouvrir une troisième voie, celle de l’accueil dans le champ de la liberté.

Indépendamment de tout contexte politique, ne pas se livrer à l’amalgame, c’est éviter de tomber dans des rapprochements faciles, c’est résister à la tentation des insinuations douteuses qui visent à créer artificiellement, par seule juxtaposition, des causes et des conséquences infondées. Ne pas se livrer à l’amalgame, c’est entreprendre une réflexion en laissant préjugés et mauvaise-foi derrière soi. Ne pas se livrer à l’amalgame, c’est faire l’effort de discerner, c’est faire l’effort de voir les différences, c’est faire l’effort de distinguer toutes les nuances du monde.

Dans cet état d’esprit, ne pas faire d’amalgame, c’est reconnaître en Kerviel un escroc, mais ne pas voir dans tous les Bretons ou dans tous les salariés de la Société générale des escrocs; c’est reconnaître en Madoff un escroc, mais ne pas voir dans tous les juifs ou dans tous les financiers des escrocs; c’est reconnaître dans le fils Fabius un escroc, mais ne pas en faire un argument contre son père dans ses fonctions de ministre; enfin, c’est reconnaître en Abdelhamid Abaaoud et ses comparses, responsables des attaques du Vendredi 13, des terroristes, des assassins, des salopards immondes, mais ne pas voir dans tous les musulmans des terroristes. Ça parait évident.

Ça parait tellement évident qu’on se demande pourquoi, depuis des années, de Valls à Juppé et de Vallaud Belkacem à Douste-Blazy, on nous place en permanence face à l’injonction de ne pas faire d’amalgame chaque fois que des musulmans se livrent à des actes de terrorisme meurtriers au nom mal compris de leur religion, alors que des actes similaires commis par d’autres personnes dans d’autres contextes ne soulèvent pas autant de précaution, je pense par exemple au terrorisme corse ou aux règlements de compte marseillais :

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Selon moi, l’explication vient de ce que, d’effort de discernement, ce « Pas d’amalgame » a progressivement glissé vers le « Circulez, y a rien à voir ! » Il a été dangereusement récupéré par nos dirigeants pour masquer, non seulement les échecs de leurs politiques d’intégration des immigrés de confession musulmane, mais également l’instrumentalisation qu’ils ont faite de ces populations dans un but entièrement électoraliste. Les petits problèmes, puis les plus grands problèmes s’ajoutaient les uns aux autres – voile islamique, burqa, menus dans les cantines, horaires de piscine pour les femmes musulmanes, esclandres à l’hôpital, criminalité et trafics en tous genres, « territoires perdus de la République » – mais les autorités publiques ont préféré jeter le voile d’ignorance du « Pas d’amalgame » sur tout cela afin de ne pas avoir à remettre en cause les grands principes de l’anti-racisme et du « vivrensemble » pourvoyeurs de satisfaction morale et surtout de votes, comme l’avait calculé le think tank du Parti socialiste Terra Nova.

Dans la vidéo en lien (2′ 21″), Zohra Bitan, femme politique issue de l’immigration et ex-membre du PS, explique à quel point elle trouve le combat anti-raciste de ce parti indécent et inutile. Et elle ajoute :

« Si moi, tous les matins, devant ma glace, je m’étais arrêtée à ma tête d’arabe, je n’aurais pas avancé, je ne me serais pas intégrée et je n’aurais pas aimé ce pays. »

De son côté, Mohammed Sifaoui, rappelait hier par tweet combien les pouvoirs publics locaux avaient de responsabilité sur les compromissions au quotidien avec l’islamisme :

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Le « Pas d’amalgame » ressassé en permanence par nos dirigeants appelle d’autant plus la critique qu’il est clairement à géométrie variable. Dans le joli manège du vivrensemble, quiconque n’est pas l’enthousiaste partisan du Mariage pour Tous est immédiatement taxé d’homophobie, quiconque n’est pas le généreux défenseur de  la dépense publique et de l’Etat providence est un ultra-libéral au coeur endurci par l’avidité individuelle et quiconque n’adhère pas sans condition à la doxa migratoire du moment est un dangereux suppôt du Front national.

Une attitude tout en « deux poids deux mesures » si décalée par rapport à la réalité quotidienne des Français ne pouvait que provoquer à brève échéance une réaction. La réplique ironique du « Pas d’amalgame » n’a pas tardé à apparaître sous la formePadamalgam. En voici un exemple entre mille, glané ces jours-ci sur twitter :

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Comme beaucoup de réactions, celle-ci part d’une dénonciation légitime de la prise en otage du débat public et de l’action publique par nos ministres et beaucoup de nos élites télévisuelles sur les seuls thèmes de l’anti-racisme et du vivrensemble. Mais chemin faisant, la réaction Padamalgam, d’abord acte de clairvoyance dans le jeu trouble des dirigeants, se regarde elle-même, se trouve des raisons d’exister en tant que telle et se transforme en conviction aussi peu nuancée que le « Pas d’amalgame »détourné des socialistes. Si le tweet ci-dessus est censé être ironique, il reflète malgré tout le désir de ne surtout pas discerner, de ne surtout pas chercher à voir plus loin qu’un ensemble indifférencié et compact à base d’islam et d’Allahu akbar. Cette attitude trouve son accomplissement dans ce qu’Alain Finkielkraut appelle« l’indifférence » et « l’inhumanité revendiquée par le Front national », c’est à dire tout le discours comminatoire et globalisant anti-immigration et contre les réfugiés.

Il est parfaitement exact que les quartiers sensibles de nos banlieues abritent des foyers de prédication salafiste ou djihadiste, il est vrai que de nombreux jeunes sont travaillés par des imams qui jouent sur leur paresse, leur frustration ou leur crédulité pour les pousser à s’enrôler avec Daesh en Syrie, en cherchant à leur faire croire que l’Occident, USA et Israël en tête, est dégénéré et doit être combattu par tous les moyens. Mais il est tout aussi exact de dire qu’en France des milliers de familles musulmanes cherchent à vivre tranquillement, en bonne intelligence avec tous leurs voisins, en pratiquant leur religion sans esbroufe, en cherchant la meilleure éducation possible pour leurs enfants, comme en témoigne le nombre important d’enfants musulmans inscrits dans des écoles ou collèges catholiques, et en essayant de s’intégrer au mieux dans le monde professionnel.

Quel peut être l’effet du discours du Front national sur ces personnes ? Quel peut être l’effet d’un Padamalgam 5% ironique qui ne cherche plus à différencier ? A leur place, je me sentirais totalement et tout le temps remise en cause, jamais acceptée, jamais justifiée d’être là. Après ces attentats monstrueux, qui ont pour objectif de condamner l’art de vivre ouvert de l’Occident,  de tuer l’esprit démocratique, et aussi de chercher à creuser un fossé irréparable entre la France et ses immigrés musulmans, le Padamalgam ironique, le « chances pour la France » moqueur répété à tout propos par pur automatisme, ne sont plus seulement la preuve d’une quelconque clairvoyance à l’égard de la profonde incompétence de nos dirigeants. Ils prennent l’allure d’un rejet irrévocable.

Pour ma part, je préfère me rallier à ce que disait la Reine Rania de Jordanie en ouverture de l’Université d’été du Medef en août dernier. Elle y appelait les musulmans modérés à travers le monde à s’engager sans tergiverser pour gagner la lutte idéologique contre Daesh. De la même façon, le maire d’origine marocaine de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb, dans une interview donnée mercredi dernier, s’est adressé lui aussi aux musulmans modérés et il les a priés instamment de « faire entendre leur voix et rejeter cette violence. »

A leur suite, à la suite de , cités plus haut, qui ont signé cet été dans Marianne, avec de nombreux autres musulmans, un manifeste commençant par :

 » Nous sommes des citoyens de culture, de tradition ou de confession musulmane (…) Nous sommes surtout – et avant tout – des démocrates attachés à la laïcité et aux principes de la République « ,

à leur suite donc, je préfère inviter les Français musulmans à rompre totalement et clairement avec les barbares qui instrumentalisent et cryogénisent leur religion pour la priver de la moindre évolution, afin de rejoindre l’esprit des Lumières et le champ de la liberté. Si les musulmans de France, dans un mouvement de solidarité héroïque avec le pays, avaient l’élan de briser la chaîne de la peur dans laquelle Daesh veut les maintenir, pour descendre en masse dans la rue afin de proclamer leur attachement aux principes de la démocratie française, ça aurait de la gueule et je serais la première à marcher avec eux.


Le site du blog de Nathalie MP: http://leblogdenathaliemp.com/

 

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Commentaires (6)

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    POLO

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    Michel Santo,
    L’Indepandant cite l’Immam de Narbonne:
    « Mohamed n’a jamais levé la main contre personne »
    Amalgame,mensonge ou oubli qu’il y a bien eu Medine ?

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    Alponse Martinez

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    Excellent texte d’une extraordinaire clarté et lucidité. Selon certains points de vue nous sommes toujours dans le « pasdamalgam » et dans une énumération des faits qui ouvre peut-être la voie de la réflexion ,mais pas de solution proposée . Les faits sont d’une logique implacable ;si il est vrai que tous les musulmans ne sont pas des terroristes ,tous les terroristes sont Musulmans. Lorsque les Pieds noirs ont été expulsés d’Algérie ,le terme amalgame était inapproprié pour désigner les Français . Tous coupables! A méditer .

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    Rosemonde GEPPERT

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    « Pas d’amalgame », veut juste nous dire  » stop » ….Exprimons nous dans une démarche réfléchie ……

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      Michel Santo

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      Stop à quoi! Là est la question. Qui fait l’amalgame entre islam et islamisme? Personne, ou presque. Par contre, il convient de s’interroger sur la « fonction » de cette expression dans le champ politique. Et force est de constater que sa principale est d’interdire tout débat sur les sources réelles de l’islamisme radical, ici comme ailleurs. Cf l’article de Marcel Gauchet mis en ligne ce jour…

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    Polo

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    Les racines religieuses différentes et leur culture à chacune peuvent elle se mélanger ?
    Peut on encore rester Français en France et ne pas être amalgamer a des cultures différentes qui refusent la notre.
    Oui je refuse d’être amalgamer.

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