Scène de plage : « Elle fait sa belle ! »

 

Longue et mince, elle est arrivée sur la plage en marchant sur la pointe des pieds. Ainsi marchant, elle tirait en souplesse sur ses appuis pour étendre son corps finement sculpté ; en souligner les lignes, ses courbes, jusqu’au plus haut de son crâne qu’un chapeau à larges bords couvrait.

Comme il faisait un vent incompatible avec le port d’un tel accessoire, que l’on voit surtout lors de mondaines garden party sous des cieux plus nordiques, elle le tenait en place de sa main gauche dans une géométrie, sans doute elle aussi très étudiée lors de nombreuses poses devant son miroir de salon. L’observant aller de cette façon sur cette plage disons familiale, sur une trajectoire aussi droite qu’elle même était, j’avais l’impression d’assister a la réalisation d’un clip publicitaire vantant les mérites esthétiques d’une marque de maillot de bain ou ceux d’un obscur fabricant de crème solaire. Tout l’être de cette jeune femme semblait en effet mobilisé pour se conformer à un idéal de beauté plastique fantasmé pour la donner ostensiblement à voir à tous ceux qui, allongés, assis, ou pas, ne pouvaient manquer l’apparition et l’avancée de cette impérieuse silhouette. Dans sa main droite elle tenait aussi nonchalamment une serviette artistiquement relâchée qui laissait dans son sillage comme un léger nuage de sable fin ; serviette qu’elle déposa cérémonieusement à quelques mètres seulement de la grève, tout près d’un parasol aux couleurs d’une célèbre boisson anisée sous lequel un couple de retraités faisait son indispensable sieste quotidienne. C’est à ce moment là que je l’ai vu extirper de sa culotte de bain un smartphone, tout en continuant d’avancer jusqu’à ce que dans l’eau désormais disparaissent ses chevilles Elle s’est alors retourné vers la plage, face au soleil, comme pour saluer son public, avant de se lancer dans une série de selfies à la chorégraphie invraisemblable ; sa main gauche luttant contre le vent pour toujours rester chapeautée. Cette jeune femme sans doute belle, à l’évidence ne s’appartient plus. Toute en poses, manières et artifices, prisonnière d’une image qu’elle ne cesse de travailler jusqu’à tenter de la saisir même dans les circonstances les plus déplacées, comme dans celle que je rapporte ici, elle en devient franchement quelconque. Ridiculement quelconque ; froide, et pour tout dire moche. Ce que ma petite fille, n’ayant rien perdu de ce spectacle, traduisit à sa manière par une cinglante, mais très judicieuse repartie : « elle fait sa belle! ». Pendant tout ce temps, sous le parasol jaune de la marque « Ricard », le couple de retraités près duquel cette jeune femme « jouait », toujours dormait. Qui sait ce qu’étaient leurs rêves ?

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