« Si Hector Malissart muait l’humanité en féminité, sa fille Clématite la vouait au brun, au noir au sépia… »

 

Dans « La Chine m’inquiète » Jean-Louis Curtis (1917-1995) tient la main d’auteurs aussi divers que Proust, Céline, Valéry, Giraudoux, Chardonne, Breton, Bernanos, Beauvoir ou même le Général de Gaulle. ll s’est plu à imaginer ce qu’ils auraient pu écrire des événements de Mai 68. Une manière pour lui de se couler dans un style, pour le torpiller ou l’exalter drôlement. On jubile à la lecture de ces « pastiches révolutionnaires » ; et J’ai particulièrement goûté son Giraudoux, qui colle encore à notre actualité – quel brio !

Extrait : Si Hector Malissart muait l’humanité en féminité, si sa fille Clématite la vouait au brun, au noir, au sépia, la cadette, Liseron, rachetait ces exclusives, ces restrictions, ces ostracismes par une sympathie ardente et universelle, qui Liseron, s’appliquait à la gamme infinie de l’existence, du plus rudimentaire des organismes monocellulaires au cerveau humain le plus lourd, le plus dense, le plus puissant. Elle aimait les infusoires, elle aimait Albert Einstein. Le premier jour de notre rencontre, la première minute, au premier sourire, je crus être aimé d’elle. Elle m’aimait, en effet. Elle aimait aussi les gastéropodes, les dolichocéphales, même blonds, tout ce qui marche, rampe, nage, vole, palpite, rumine et se reproduit au jardin des Plantes, tout ce qui pense, invente, calcule, abstrait et généralise à l’Académie des sciences, elle aimait aussi le duc de Broglie. Elle était la seule jeune fille en France, et sans doute en Europe, qui eût en permanence autant de ferveur que Gide en ses meilleurs jours, — que Gide quand il ne souffre pas de prurit, quand il n’est pas agacé par Barrès, par Claudel. Elle était d’ailleurs, avec lui, le seul usager de la langue française qui plaçât l’interjection « ah ! » non en tête d’une phrase exclamative, comme un poteau indicateur, mais après le verbe, comme une pâmoison. Elle ne disait pas : « Ah ! manger une glace à la pistache », mais « Manger, ah ! une glace à la pistache ». Elle ne disait pas : « Ah ! prendre l’Orient-Express à six heures du soir et se réveiller, deux jours après, sur le Bosphore », mais « Prendre, ah ! l’Orient-Express… se réveiller, ah ! sur le Bosphore… ».

 

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Commentaires (1)

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    Anna

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    Merci pour cet extrait. Je lirai avec plaisir ah ! ce livre.

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