Un matin de confinement aux Halles de Narbonne.

Halles de Narbonne

 

J’ai croisé Carole, ce matin aux Halles. Je venais d’y entrer, elle en sortait. Masquée et gantée, elle allongeait ses pas, je retenais les miens. Ce sont ses gestes, ses cheveux et ses yeux qui m’ont permis de la reconnaître. Il m’a semblé voir ses lèvres prononcer mon prénom sous son voile de tissu vert plaqué sur le bas de son visage, aussi. L’étonnant est que ce soit précisément aujourd’hui que cette rencontre ait eu lieu. J’y vais pourtant tous les jours ou presque dans ce marché couvert pour y faire mes courses, boire un café – au Central –, ou tout simplement pour le plaisir de goûter une ambiance, une atmosphère très singulière. Tous les marchés de chaque ville en ont une, me dira-t-on. C’est vrai ! Plus ou moins marquée cependant par la diversité, les couleurs de leurs étals, l’éclat, le timbre de leurs voix et accents mêlés. Mais dans le mien, j’y vois souvent, en outre, au centre, les ombres de mon grand-père et de ses amis endimanchés occupés à refaire le monde dans leur langue natale. Une présence qui ajoute à ce prosaïque bâtiment de verre et d’acier tout un imaginaire venu du plus profond de mon enfance ; des silhouettes aux formes flottantes qui, ce matin, se tenaient elles aussi à distance. Comme Carole et moi, ainsi que d’autres rares fidèles de cet emblématique lieu de sociabilité. L’atmosphère qui y régnait était pesante ; le silence lourd, chargé d’inquiétudes. Mais jamais les sourires et les « bonjour ! » des commerçants, qui ce matin me servirent, ne me sont apparus aussi sincères ; comme les signes d’une société encore bien vivante. Un fil fragile, me disais-je, qu’il ne faut pas lâcher ; tenir bien serré. Il faut bien vivre, n’est ce pas Carole ? N’est ce pas, vous, avec qui, ce matin, dans ces Halles qui nous sont chères, avons échangé, de part et d’autre de vos étals, pain et denrées ; paroles légères aussi…

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