Une fin de vie ordinaire…

 

C’est un bâtiment flambant neuf. Il occupe la plus grande partie du pôle Santé d’une zone d’activités. Le parking est vaste. On y circule aisément et les places sont nombreuses. Sur le côté gauche de l’allée qui mène à l’entrée de cette annexe de l’hôpital, une succession de petites pergolas, dans le style « moderne », nues. Sous la plus proche de l’entrée, nous saluons une dame très âgée, le regard vide, assise sur un fauteuil roulant. Elle ne nous répond pas. Dans le hall, à l’accueil, une jeune femme nous renseigne aimablement : « chambre 201 ». Tout près, sur des chaises alignées contre un mur, penchés, des corps usés, meurtris, silencieux ; des visages livides. De cet endroit, on peut voir entrer et sortir des visiteurs, des amis ou des parents. Mais ces hommes et ces femmes les ignorent. Aveugles à la vie, ils semblent regarder des ombres, qui vont et viennent. Je m’approche cependant de l’un d’entre eux : « Bonjour Mr V…. ! » Il ne me reconnait pas. Je lui donne mon nom : « Ah ! Michel… ». Un sourire dans ses yeux , qui aussitôt s’éteignent. Au pied de l’ascenseur, personne. Dans l’immense et large couloir du deuxième étage d’une propreté absolue, nous croisons un infirmière. Jolie, vive, prévenante : « Bonjour ! je peux vous renseigner ? ». Nous entrons enfin dans la chambre d’Ivan. Ivan à 91 ans, il ne mange plus. Il dort : il ne fait que dormir, la bouche ouverte. On ne voit que sa tête. Elle parait si petite. Sa peau brille, cireuse. Il lève à demi ses paupières ; il reconnaît sa petite soeur. Elle lui caresse ses joues : creuses et sombres ; les rafraîchit d’un gant humide. Sa main cadavérique se porte alors lentement à ses lèvres ; son front se plie : il esquisse difficilement un baiser, comme ceux adressés à des proches restés sur le quai d’une gare au moment du départ… J’aurais tant aimé que ce fut le dernier de ses gestes. C’était hier après midi, et la « journée était belle », selon la météo. Depuis, ce bâtiment, ces corps, cette chambre : son odeur, Ivan, son visage, sa bouche, ses bruits m’obsèdent. Nous aurions tant aimé qu’il nous quitte sur un dernier baiser, comme ceux adressés sur le quai d’une gare à celui qui s’en va …

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Commentaires (1)

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    Guitard

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    Notre fin de vie ne nous appartient pas, nous la craignons d’abord, puis nous la redoutons enfin nous la subissons. Ce retrait des forces de vie est insupportable pour les proches. Les établissements offrent actuellement et très souvent des lieux dignes, des personnels avenants qui s’efforcent d’animer l’ambiance mais la vie a déserté les murs.

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