Une page de Simon Leys sur la tyrannie du mauvais goût, de l’ignorance et de la stupidité…dans « Le bonheur des petits poissons ».

     

À ce moment, je fus frappé d’une évidence qui ne m’a plus jamais quitté depuis : les vrais philistins ne sont pas des gens incapables de reconnaître la beauté – ils ne la reconnaissent que trop bien, ils la détectent instantanément, et avec un flair aussi infaillible que celui de l’esthète le plus subtil, mais c’est pour pouvoir fondre immédiatement dessus de façon à l’étouffer avant qu’elle ait pu prendre pied dans leur universel empire de la laideur.

Car l’ignorance, l’obscurantisme, le mauvais goût, ou la stupidité ne résultent pas de simples carences, ce sont autant de forces actives, qui s’affirment furieusement à chaque occasion, et ne tolèrent aucune dérogation à leur tyrannie. Le talent inspiré est toujours une insulte à la médiocrité. Et si cela est vrai dans l’ordre esthétique, ce l’est bien plus encore dans l’ordre moral. Plus que la beauté artistique, la beauté morale semble avoir le don d’exaspérer notre triste espèce. Le besoin de tout rabaisser à notre misérable niveau, de souiller, moquer, et dégrader tout ce qui nous domine de sa splendeur est probablement l’un des traits les plus désolants de la nature humaine.

Le bonheur des petits poissons (Essais et documents) de Simon Leys. Kindle emplacement 569. 

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