Zola, analyste de notre société de l’information de masse…

   

La presse est friande d’informations bruyantes, tapageuses, voire « scandaleuses ». Est-ce nouveau ? Non ! (Émile Zola, dans le Figaro du 24.11.1888 – son supplément littéraire –, analysait déjà, et brillamment, ce phénomène : voir ci-dessous des extraits de son article). C’est ce qui la fait vivre. Il lui faut  jouer sur les passions, les émotions et les oppositions idéologiques ou sociales poussées aux extrêmes : bien et mal, haine et compassion, peur et espérance, admiration et dérision, dominants et dominés, populistes et libéraux, « réacs » et progressistes, etc. Et faire simple ! Le « complexe » demande en effet du temps ; du temps de rédaction et de lecture, en outre il ne distrait pas. Dans une société de la consommation et du divertissement de masse, produire de « l’information » quotidiennement, en continu, renouveler chaque jour et à chaque minute l’intérêt du public, implique une « mise en mots » simplissime et une « mise en scène » dramatique ou caricaturale. Pour faire court, disons que les « titreurs » et les humoristes tirent les ficelles de ce théâtre d’ombres médiatique.  Le simple et le « faux » (souvent) sont donc de rigueur. Comme en politique ! L’espace du débat « démocratique » est borné par celui des médias et soumis aux mêmes règles de temps. Et comme le dit cyniquement Mélenchon : « il faut tout simplifier et conflictualiser » : comportements, faits, évènements, actes et propositions de gouvernement ou de ses oppositions, etc. Rien donc de nouveau dans la critique du journalisme et des médias. Seule change la  masse et la vitesse de circulation – et d’accès – des informations produites par une offre abondante et diversifiée – qui n’est plus le monopole des grands médias traditionnels. Cela dit, l’information « complexe » est toutefois disponible. Mais elle est rare et chère. Coûteuse en temps de  consommation – il est long et lent – elle est de fait, dans cette société où les arbitrages personnels et familiaux se font, en priorité, en faveur du temps du « divertissement » et des loisirs, le privilège de quelques lecteurs condamnés à la clandestinité.

 

« Il n’y a qu’à comparer les journaux des premiers temps du second Empire, muselés, relativement rares, d’allures doctrinaires, aux journaux débordants d’aujourd’hui, lâchés en pleine liberté, roulant le flot déchaîné de l’information à outrance… Il s’agit d’être renseigné tout de suite. Est-ce le journal qui a éveillé dans le public cette curiosité croissante ? est-ce le public qui exige du journal cette indiscrétion de plus en plus prompte ? Le fait est qu’ils s’enfièvrent l’un l’autre, que la soif de l’un s’exaspère à mesure que l’autre s’efforce, dans son intérêt, de la contenter… Mon inquiétude unique, devant le journalisme actuel, c’est l’état de surexcitation nerveuse dans lequel il tient la nation. Et ici je sors un instant du domaine littéraire, il s’agit d’un fait social. Aujourd’hui, remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait. Des centaines de journaux le publient à la fois, le commentent, l’amplifient. Et, pendant une semaine souvent, il n’est pas question d’autre chose ce sont chaque matin de nouveaux détails, les colonnes s’emplissent, chaque feuille tâche de pousser au tirage en satisfaisant davantage la curiosité de ses lecteurs. De là, des secousses. continuelles dans le public, qui se propagent d’un bout du pays à l’autre. Quand une affaire est finie, une nouvelle commence, car les journaux ne peuvent vivre sans cette existence de casse-cou. Si des sujets d’émotion manquent, ils en inventent… D’ailleurs, il faut toujours avoir foi dans l’avenir. Rien ne se peut juger définitivement, car tout reste en marche. Cela est surtout vrai, en ce moment, pour la presse. Ce n’est pas la juger avec justice que de s’en tenir au mal qu’elle fait. Sans doute, elle détraque nos nerfs, elle charrie de la prose exécrable, elle semble avoir tué la critique littéraire, elle est souvent inepte et violente. Mais elle est une force qui sûrement travaille à l’expansion des sociétés de demain travail obscur pour nous, dont nul ne peut prévoir les résultats, travail à coup sûr nécessaire, d’où sortira la vie nouvelle.

LE JOURNALISME Emile Zola, Le Figaro 24.11.1888, supplément littéraire source : Gallica.  Le texte de Zola a été cité par F-O. Giesbert en 2005 et en 2015. Entretien de Giesbert avec le Nouvel Obs

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