Comment ne pas philosopher?

 

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Pourquoi philosopher ?

Cette question, combien de fois l’ai-je entendue. Ou bien alors formulée autrement : à quoi bon lire Flaubert ou Stendhal aujourd’hui ? A ce président d’organisation patronale qui m’interrogeait ainsi au temps où mon métier exigeait ce type de collaboration, j’envoyais par la poste : « L’Art de la guerre » et « Lucien Leuwen ». Le premier, pour qu’il abandonne ses manuels de management ; le second, pour qu’il largue son Bourdieu pour comprendre enfin la société et les hommes. Plus sérieusement, et parce que depuis il est devenu mon ami, je lui disais que la philosophie naît d’abord d’une absence et du désir de la combler ; de la rendre présente en quelque sorte, de se l’approprier. On ne désire pas la sagesse parce que je sais ce qu’elle est, mais parce qu’elle est absente de moi. C’est ce désir que le philosophe ne cesse de creuser, lui disais-je. Il est l’effort de saisie de l’Un sur le multiple ; l’effort de saisie du sens. Un besoin à chaque fois renouvelé.

C’est donc dans la quête du sens qu’il faut chercher la parole philosophique. Une quête, un désir qui répond à un besoin fondamental, irrépressible, de l’être humain.

Cette manière là de concevoir la philosophie, il est vrai, tranche  avec la tradition rationaliste française, qui cherche à expliquer le réel, par la mise en évidence de « structures » et autres « causes », plutôt qu’à le comprendre, à lui donner du sens. Elle est en effet une entreprise intellectuelle prudente, sceptique qui ne s’appuie sur aucune Loi, aucune révélation mais sur cet universel et intemporel besoin humain de sens susceptible de toujours entraîner la déception. Ce que Jean-François Lyotard, après tout, dit mieux que moi, et que je laisse ici conclure – provisoirement :

« Vous ne pouvez transformer ce monde qu’en l’entendant, et la philosophie peut bien avoir l’air d’un ornement de bonne famille (parce qu’elle ne produit pas des avions supersoniques ou parce qu’elle travaille en chambre et n’intéresse personne) elle peut être cela, et elle l’est réellement : il reste qu’elle est ou peut-être aussi ce moment où le désir qui est dans la réalité vient à lui-même, où le manque dont nous souffrons, en tant qu’individu ou en tant que collectivité, où ce manque se nomme et en se nommant se transforme ».

Comment donc ne pas philosopher ?

 

 

La grande récup.

 

 

 

 

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Puisque tu évoques Maimonide dans ton dernier billet, Michel, tu permettras a l’autodidacte fasciné par l’histoire de la pensée que je suis, de te livrer, ainsi qu’a tous ceux qui nous font l’amitié de nous lire, ces quelques réflexions.

Celles-ci, je m’empresse de le dire ne veulent surtout pas être prises comme un cours magistral (quelle sotte et folle prétention cela serait !), encore moins un étalage complaisant d’érudition (plus on sait de choses et mieux on mesure son ignorance…) mais seulement l’expression d’un besoin de partage, loin des cursus universitaires, de cette démarche faite de questions sans cesse reformulées sur l’histoire et le développement de la pensée humaine.

Combien il me serait agréable qu’un lecteur, quelque part, partageant ces questionnements me fasse connaitre son sentiment sur ces quelques lignes… ! Quand  on cherche a plusieurs on ne trouve pas davantage, certes, mais, au moins, on a moins froid !

Après tout nous ne sommes que le résultat de tout ce qui nous a précédé et nos questionnements ne sont que le prolongement des interrogations les plus anciennes…Notre esprit est comme une place vide traversée de part en part par tous les vents contraires et nous n’en finirons sans doute jamais de tourner en rond dans notre cage, pressentant un horizon inouï derrière les barreaux et prisonniers a vie de nos limitations intimes !.

Mais, après ce trop long préambule, je reviens à notre sujet…

Maimonide, tout comme Averroès et un peu après Avicenne furent, comme tu le soulignes, les commentateurs et les passeurs de la pensée d’Aristote, cela aux alentours du 11eme siècle de notre ère et cela alors que le haut moyen âge l’avait complètement oubliée.

Il a fallu la rayonnante civilisation arabo musulmane du sud de l’Espagne, notamment a Cordoue et a Tolède, modèle s’il en fut de tolérance et de culture, pour que soient enfin commentées puis traduites du Grec au latin ces chefs d’œuvre de la pensée dont le génie continue encore de nos jours a irriguer l’histoire de l’humanité

Jacques Attali évoque avec beaucoup de talent dans son roman intitulé «  La confrérie des éveillés» la possible rencontre à Cordoue de Maimonide et d’Averroès…Comme il est beau de le penser, même si l’histoire rend la chose hautement improbable…

 (T’imagines-tu, petit, tout petit dans un coin assistant au dialogue de ces deux esprits hors normes ?)

Voilà donc Aristote (Grec) sauvé de l’oubli par un Persan (Avicenne), un Juif (Maimonide) et un Arabe (Averroès)…

Et devinez qui va rafler la mise ? Un chrétien, bien sur, parmi les plus illustres…Tomazzo d’Aquino, plus connu, sous nos latitudes, sous le nom de Saint Thomas d’Aquin.

Il est assez étonnant de constater comment l’église, tout au long de sa longue histoire, a su assimiler les pensées concurrentes, après d’ailleurs les avoir auparavant combattues avec la dernière énergie…Peut être est ce la raison de sa remarquable longévité sans exemple parmi les institutions humaines ?

Mais la récupération est une stratégie couramment utilisée dans beaucoup de milieux tout au long de l’histoire…On te revêt d’un uniforme, d’un costume, voire d’un tablier ou d’un képi sans te demander ton avis le moins du monde,  on te décrète comparse ou compagnon de route même si tu n’as rien demandé et le tour est joué…

Cela pourrait être flatteur…ça n’est qu’outrecuidant !

Voilà donc Thomas d’Aquin revisitant et commentant Aristote avec, bien sur, ses lunettes de doctrinaire chrétien, définissant une vision du Grec complétive au créationnisme biblique…La cause première Aristotélicienne faisant émaner l’intellect qui donne naissance a l’âme, laquelle précède la nature…C’est ainsi  que le moteur immobile, la cause sans cause de toutes les causes sera assimilé au Dieu créateur des religions monothéistes.

Quelques huit siècles plus tôt, Saint Augustin avait déjà, lui, réalisé la fusion de Platon et du néo platonisme dans le corpus théologique chrétien…L’Un Plotinien, ce concept inouï d’absolu, au-delà de toute définition et de toute appréhension ce sera, bien sur, le Dieu Créateur de la genèse….

Saint Augustin sera le théoricien splendide du comprendre pour croire et de la grande réconciliation entre la foi et la raison tandis que Thomas d’Aquin, dans la lignée de la démarche aristotélicienne s’essaiera à concilier science et croyance donnant ainsi naissance a ce qu’on a appelé le mouvement scolastique.

Et voici comment la pensée grecque et tout ce qui faisait sa gloire et sa grandeur se retrouva phagocytée par le christianisme et comment ses deux représentants les plus illustres, Platon et Aristote furent transformés en simples précurseurs de la révélation christique.

La grande nuit du moyen âge, cette grande éclipse apparente de la pensée qui ne prit fin qu’avec l’avènement des lumières commence sans doute a cet instant…

Plusieurs siècles vont, dès lors, se succéder ou l’intolérance, le fanatisme, l’obscurantisme vont se donner libre cours…Une pensée, une vision unique ayant éliminé toute autre idée concurrente allait détruire la liberté de penser, assénant ses certitudes définitives a des populations abêties et terrorisées.

Nous le savons et nous l’avons toujours constaté depuis jusqu’à nos jours…La pensée unique, c’est l’absence de pensée… « La vérité luit de sa propre lumière et on n’éclaire pas les esprits avec les flammes des buchers », nous rappelait Voltaire.

Encore peut-on faire observer combien la pensée des lumières, même si elle attaquait de front l’institution religieuse et sa puissance temporelle restera conditionnée par les valeurs et visions du christianisme, laïcisant ainsi (et c’était déjà un grand progrès) les concepts judéo chrétiens sans vraiment les remettre en cause. (Il faudrait a cette fin, rappeler le ‘’création’’ par Robespierre du concept fumeux de « l’être suprême », avec pour finir, le succès que l’on connait).

Il faudra attendre Nietzsche et sa philosophie au marteau pour que soit enfin attaqué ce formatage bi millénaire de l’esprit…Qu’avec « L’amor Fati » nous retrouvions enfin « l’innocence du devenir »  par delà les notions de bien et de mal qui paraissaient acquises pour l’éternité !

L’homme enfin libre, se retrouve de plein pied avec les dieux (d’ailleurs il n’y a plus de Dieu que lui-même) …  « Deviens ce que tu es, tout ce qui ne te tue pas te rendras plus fort »…Le surhomme libéré de sa servitude assume enfin sa finitude, hisse toi au dessus de toi-même et regarde toi en surplomb de ton être…

Philosophie du courage et de la volonté, cette fameuse volonté de puissance à laquelle les nazis, inspirés en cela par l’horrible mégère qu’était la sœur du philosophe disparu, donnèrent un visage aussi erroné que monstrueux…

Il ne s’agit, bien sur, que de l’immémoriale injonction à lutter contre les forces du renoncement et de la faiblesse, injonction mise en avant par toute la pensée grecque et inscrite sur le fronton du temple de Delphes…

« Connais toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux »

C’est-à-dire, explore sans complaisance tous les chemins de ton être, eternel Sisyphe roule sans fin ton caillou en haut de la montagne et peu importent les échecs, c’est par tes tentatives sans fin réitérées que tu trouveras ta dignité d’homme aux antipodes du dolorisme chrétien et de cette idéologie pleurnicharde qui détruit les forces de vie en prétendant les sauver !…Tu n’as rien a expier en ce monde, tu es né libre a la face de l’univers !

Il faut penser à la magnifique formule de Camus qui résume tout…

« Il faut imaginer Sisyphe heureux ! »

En hommage, pour finir, a la splendeur de l’esprit Grec, ces quelques vers de Simonide (5eme siècle avant JC) magnifiquement réécrits et traduits par la grande Marguerite Yourcenar.

« Demain, n’y compte pas, ce frêle bonheur d’homme,  

   N’espère pas qu’il dure en ce monde agité,

   Car tout passe, tout fuit, tout nous échappe comme

   Un vol de libellules au fond d’un soir d’été… »

J’aurais voulu aussi, relevant ton allusion, parler de la caverne mais ça serait vraiment trop long ça sera pour la prochaine fois…A nos âges nos efforts intellectuels se doivent de rester parcimonieux…Hein ?

 

   

L’âme et le corps.

 

 

 

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Pierre-Henri Thoreux est un ami blogueur. Il me fait la gentillesse de m’offrir le texte qui suit : sa lecture d’une des œuvres maîtresse de Bergson « L’âme et le corps ». Dans le même temps où il publiait ce « travail », je lisais, comme en miroir, « Et Nietzsche a pleuré » d’Irvin Yalom. Entre autres notes prises, celle ci : «  Ce qui est immortel, c’est la vie, c’est cet instant. Il n’y a pas d’au-delà, ni de but vers lequel tendrait la vie, ni de Jugement dernier, ni d’Apocalypse ! L’instant présent existe pour toujours, et vous êtes votre seul et unique public. »

 

                                   ***

                       Body and soul (P.H Thoreux)

 

A l’origine de la conception dualiste dont Henri Bergson (1859-1941) s’est fait l’ardent défenseur, il y a la ferme conviction que ce qu’on nomme l’âme n’a pas plus de raison objective d’être consubstantielle à la chair que de relever d’une autre nature. Vieux débat. Certes, à l’évidence dans l’être humain, l’esprit et la matière sont liés. Mais sont-ils indissociables au point d’être anéantis ensemble, lorsque la vie s’en va ?

Pour tenter de répondre à la question, Bergson commence par prendre l’exemple d’un vêtement accroché à un clou : « il est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l’on arrache le clou ; il oscille si le clou remue ; il se troue, il se déchire, si la tête du clou est trop pointue ; il ne s’ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins s’ensuit-il que le clou et le vêtement soient la même chose… »

Autre argument mis en avant par l’auteur de l’Évolution Créatrice : le constat que « la vie mentale déborde la vie cérébrale », et qu’en matière d’activité, « le cerveau se borne à traduire en mouvements une petite partie de ce qui se passe dans la conscience… »

Pour étayer cette assertion Bergson, encore une fois fournit un exemple : « l’activité cérébrale est à l’activité mentale ce que les mouvements du bâton du chef d’orchestre sont à la symphonie. La symphonie dépasse de tous côtés les mouvements qui la scandent ; la vie de l’esprit déborde de même la vie cérébrale… »

En définitive, « le rôle du cerveau serait simplement de mimer la vie de l’esprit, de mimer aussi les situations extérieures auxquelles l’esprit doit s’adapter. »

Dans ces conditions, il devient logique pour le philosophe de considérer que la survivance de l’âme est si vraisemblable, que « l’obligation de la preuve incombe à celui qui nie, bien plutôt qu’à celui qui affirme… »

Loin de définir une position dogmatique, ce qui importe pour Bergson, c’est surtout de réfuter la conception matérialiste, selon laquelle il y aurait équivalence entre le mental et le cérébral. Il juge en effet cette hypothèse contradictoire avec elle même, et l’attribue à un « cartésianisme étriqué ».

L’approche bergsonienne n’apporte évidement aucune preuve à l’existence d’un prolongement spirituel à la vie terrestre. Elle propose toutefois un champ de réflexion très ouvert, dont l’essence reste envers et contre tout, pragmatique. L’exemple du clou et du vêtement paraît simpliste, mais invite à dépasser les simples apparences. Sans rien connaître de la nature des ondes électromagnétiques, que pourrait imaginer une personne en face d’un émetteur-récepteur radiophonique ? Sans doute aurait-elle du mal à accepter l’idée que la voix entendue par le haut parleur soit émise à des centaines ou à des millions de kilomètres, et puisse être transmise aussi parfaitement, même en traversant le vide. Sans doute cette personne aurait autant de difficulté à comprendre devant le même poste cassé, que la voix puisse continuer à parler quelque part …

L’idée que le cerveau puisse n’être qu’un intermédiaire entre la réalité sensible et une autre immatérielle n’a en définitive rien de saugrenu, même si depuis Descartes on sait qu’on ne peut penser la relation qui lie les deux, mais seulement la vivre. 

Bergson fait remarquer que bon nombre de dysfonctionnements cérébraux se traduisent par une incapacité à mettre en cohérence la pensée avec la réalité. Le tort d’un cerveau dérangé « n’est pas nécessairement de raisonner mal mais de raisonner à côté de la réalité, en dehors de la réalité, comme un homme qui rêve… » Si l’art de raisonner doit nécessairement tenir compte du monde dans lequel il s’applique, pourquoi en déduire que la pensée se réduise exclusivement à ce mécanisme, sous tendu avant tout par l’expérience, les sensations et la logique ? A contrario, un ordinateur, véritable machine à raisonner, n’est pas pour autant capable de penser.

Autrement dit, dans nombre de perturbations mentales « est-ce l’esprit même qui est dérangé, ou ne serait-ce pas plutôt le mécanisme de l’insertion de l’esprit dans les choses ? »

La question mérite d’être posée, car elle invite à bien distinguer dans l’activité humaine et dans chaque action, dans chaque comportement, ce qui relève du choix, de ce qui relève de la mise en œuvre du choix. Ainsi un dément est incapable de mettre en cohérence sa pensée, avec le monde qui l’entoure. Une personne frappée d’accident vasculaire cérébral est dans l’impossibilité de faire bouger son bras en dépit de sa volonté. Dans les deux cas la pensée pure est sans doute intacte mais l’effecteur est lésé. Un chef de gare verra de la même manière sa volonté contrecarrée par une grève des aiguilleurs ou bien par un dysfonctionnement dans le mécanisme faisant fonctionner les aiguillages…

A titre d’exercice, je me suis amusé à tenter d’imaginer les relations entre l’esprit et la matière comme si elles résultaient de l’interaction étroite d’un substrat immatériel et d’une substance palpable : une sorte de main invisible à l’intérieur d’un gant palpable et préhensile. Ce dernier, véritable interface entre ce qu’il contient et ce qu’il appréhende physiquement, pourrait représenter de manière simpliste l’être humain. A la lisière entre l’indicible et le réel…

Cette image rend compte du fait qu’il est indispensable pour la main de s’insérer dans le gant pour avoir prise sur la réalité physique. Elle rend également compte du fait que les mouvements de la main sont d’autant plus fidèlement et efficacement transmis que le gant est souple et léger, capable de se faire le vecteur de la moindre pulsation. Elle n’interdit pas de penser que le contenu puisse souffrir des imperfections et des vicissitudes propres au contenant. Et si elle suppose une étroite association des deux entités, elle n’est pas incompatible enfin avec l’idée que la main puisse avoir une existence indépendante de celle de l’enveloppe artificielle qui la recouvre. La fin du corps ne serait pas la fin de tout. A l’instar de la chrysalide libérant l’imago, l’enveloppe charnelle serait le support d’un rite de passage entre deux états…

Dans un tel schéma, l’intrication subtile entre l’esprit et le corps, entre le contenu et le contenant, qualifie l’essence de l’être humain. Elle peut être parfois si profonde, qu’elle permet l’expression des émotions indicibles qui constituent l’art. A l’inverse, la perversion diabolique de cette relation peut aboutir aux pires horreurs, en toute conscience.

Par ce média, représenté par un gant, l’esprit ne fait que s’adapter et faire corps avec la réalité. Et l’être humain est bien ce point où convergent cette dernière et la conscience.

Ainsi la réalité tangible serait animée au delà des simples conjonctures relevant des lois physiques. En l’occurrence, le mouvement de l’esprit n’a évidemment rien à voir avec celui du vent qui fait bruisser les feuilles dans les arbres, avec les séismes ou les éruptions volcaniques qui font craindre la fin du monde, ou simplement avec la respiration de l’être vivant. En l’occurrence, la ligne de partage ne passe pas entre le vivant et l’inanimé, mais entre le conscient et le non conscient, sachant que rien n’interdit une continuité, une progressivité, entre ces deux états. Il y a quelque chose qui au travers des êtres, est peut-être l’expression plus ou moins achevée, de l’Être. « Il faut que la Nature soit l’Esprit visible, l’Esprit la Nature invisible » écrivait Schelling…

La métaphysique kantienne s’inscrit étonnamment bien dans cette métaphore ontologique. Situé à l’interface de deux mondes qui s’effleurent, le philosophe et plus généralement l’être humain, est enclin à s’émerveiller autant de la beauté sublime de la voûte céleste au dessus de sa tête, que de la force ineffable de la loi morale qui réside à l’intérieur…

 

L’âme et le corps. Henri Bergson. PUF 2011

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’enfer ce n’est pas toujours les autres…

 

 

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Texte de Jacques Raynal qui, ici, a quartier libre…

Tombé sur Sartre ce matin…On tombe toujours à un moment ou à un autre sur ce binoclard gigantesque…On le hait quelquefois, on voudrait l’oublier, certains disent même qu’il est complètement oublié…Bernique ! Il est toujours là, bourré d’amphétamines, baignant dans son whisky, projetant autour de lui d’étranges, inquiétantes et fulgurantes lueurs. Dernière phrase des « Mots » (les mots, encore !) : « Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires, que reste t’il ? Un homme fait de tous les hommes qui les vaut tous et que vaut n’importe qui » D’accord, Poulou, L’homme est ce qu’il se fait, l’essence n’existe pas, il n’est que l’existence, hein…? Oui, l’homme est responsable de ce qu’il est, condamné à être libre, il sera ce qu’il a projeté d’être… Tout cela a marqué toute une génération, la mienne, la notre…liturgie de l’engagement et de l’action, de la responsabilité aussi, c’est ce que l’on a appelé l’existentialisme… L’homme en marche volontaire vers son devenir, Dieu est définitivement mort et enterré…

Par cet apport considérable a l’histoire de la pensée (même si il doit beaucoup a Kierkegaard et Heidegger) Sartre s’inscrit de façon indélébile dans la mémoire des hommes. Mais hélas, Sartre ça n’est pas que cela, sol y sombra…c’est aussi: « Le communisme est l’horizon indépassable de l’humanité…Tout anti communiste est un chien (qu’il faut abattre ?) » Et puis aussi, cette sidérante préface au livre de Franz Fanon: « Les damnés de la terre »; morceau choisi : « Car, dans un premier temps de la révolte, il faut tuer…C’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé…Restent un homme mort et un homme libre ».

De quoi écrire une thèse sur les effets de la mescaline et autres hallucinogènes sur une intelligence supérieure, cet homme qui, dixit Beauvoir, se croyait, dans ses rêves, cerné par des homards, voyait, quand il était réveillé des opprimés partout…

Sartre, philosophe préféré, sans doute de monsieur Mélenchon…Quoique, Sartre voulait les tuer, Mélenchon, lui, veut seulement faire les poches des riches…C’est à ces petits riens que l’on constate des fissures dans la pureté idéologique !

Sartre a aussi écrit « La nausée »… Il est arrivé, mais cela était involontaire, qu’il nous la donne également…Celui qui a écrit que « L’enfer c’était les autres » a sans doute bâti en lui-même son propre enfer…Me revient en mémoire cette remarque d’Umberto Eco: « le diable, c’est la foi sans le sourire, la vérité qui n’est jamais effleurée par le doute. » Sartre a dit aussi que « la modestie est la vertu des tièdes »; si cela est exact, alors, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il était, lui, chaud, bouillant.

Pour changer d’angle et de perspective, quelques lignes du merveilleux Unamuno: « Ceux qui se croient justes sont le plus souvent des arrogants qui veulent humilier les autres par l’ostentation de leur justice »

Transmis à tous ceux, qui, de nos jours inclinant la tête sous le poids de leur vertu, mettent en avant, bien en vue, leur cœur énorme en bandoulière afin que l’on voit bien à quel point ils sont bons et généreux, dignes d’estime et d’admiration… Les mêmes qui, baptisés sur les autels de Saint Marx, se font briller mutuellement l’auréole et appellent ça la solidarité militante…

On en trouve dit on, un certain nombre dans ce que tu nommes les congrès et réunions rosiennes, mon cher Michel…Tu sais, ces lieux ou, oubliant que l’homme doit travailler pour vivre, on pense penser et l’on fait des mots pour survivre (dans leur étrange dialecte, ils appellent cela des motions… moulins a paroles…organes verbeux a moudre l’inutile…Tu te souviens de Shakespeare et du cri de lady Macbeth ? : « Comment puis je m’aimer si vous ne m’aimez pas… » Et voilà le militant résumé. Freud avait d’illustres précurseurs !

Allez, encore un petit coup d’Unamuno ? ça ne se refuse pas !

« La raison répète vanités des vanités, tout est vanité…L’imagination réplique plénitude des plénitudes tout est plénitude. Nous vivons ainsi la vanité de la plénitude et la plénitude de la vanité. » Et aussi : « La vraie science enseigne avant tout de douter et d’ignorer, l’avocasserie ne doute ni ne croit qu’elle ignore, il lui faut une solution ». Beaucoup d’hommes politiques sont avocats (ou enseignants) Montebourg, par exemple est avocat…Je ne sais pas pourquoi je dis ça, rien a voir avec Unamuno (mais alors, ce qui se dit vraiment rien !)

Mais revenons a Sartre qui écrit dans « Les mots » : «  L’enfant, cet espèce de petit monstre que les adultes fabriquent avec leurs regrets. » L’enfant est mort trop tôt, le monstre est resté.

Allez, un dernier coup d’Unamuno pour la route, après, c’est promis, j’arrête. « Il y des gens qui ne pensent qu’avec leur cerveau ou n’importe quel autre organe qui serait l’organe spécifique de la pensée tandis que d’autres pensent avec le corps et avec toute l’âme, avec la moelle des os, avec le cœur et les poumons avec le ventre, avec la vie…Les gens qui ne pensent qu’avec leur cerveau donnent des définitions, ce sont des professionnels de la pensée »

Sartre et Camus, quoi…cœur racorni, aigri d’un coté, cœur palpitant d’amour et ouvert au monde de l’autre.

La bonté est sans doute la meilleure source de clairvoyance spirituelle…Il n’est d’autre vraie intelligence que celle du cœur.

Au bout du compte le but n’est autre que de devenir heureux, pleinement, véritablement heureux…Pas forcément cultivé, raffiné, disert (même si cela ne gâte rien)…Non, heureux dis je, a hurler a la lune, a se rouler dans les champs comme un chien hystérique, a se dissoudre avec délectation dans la tendre rumeur du monde !

Alors, si la culture, la connaissance doivent conduire au désespoir, cela ne sert a rien, rien de rien… Nous  volerons d’autant plus haut que nous nous prendrons a la légère et dans toutes ces salles de classe sombres et tristes ou s’ânonnent les catéchismes rancis de toutes les idéologies humaines, il faut ouvrir la fenêtre et laisser entrer une hirondelle…C’est elle qui nous dira l’essentiel de ce qu’il faut savoir.

Et, quitte a mourir inconnu (ce qui me pend au nez) permettez que je me flatte de vivre méconnu et que, très humblement, je mette mes pas dans ceux de Cyrano « ne pas monter bien haut, peut être, mais tout seul ! » ; « L’optimiste est un imbécile heureux mais le pessimiste, lui est un imbécile malheureux » ça, c’est de Bernanos… Restons des imbéciles si l’on doit être heureux, ça vaut le coup…

Et puis, parce qu’il faut toujours que les derniers mots reviennent au poète puisqu’il sait, lui, les apprivoiser les aimer, qu’il sait leur témoigner révérence et amour, quelques lignes de ce barde enchanteur de notre imaginaire…Christian Bobin.

« Il nous faut mener double vie dans nos vies, double sang dans nos cœurs, la joie avec la peine, le rire avec les ombres…Ainsi allons nous, cavaliers sur un chemin de neige, cherchant la bonne foulée, cherchant la pensée juste…Et la beauté parfois nous brule comme une branche basse giflant notre visage et la beauté parfois nous mord comme un loup merveilleux sautant a notre gorge »

Plus rien…Le silence qui suit un texte de Bobin, il est encore de Bobin.