Je suis assis en première ligne à l’une de mes habituelles terrasses de café. Celle des samedis et des dimanches matin d’été. La seule à l’ombre. Sur ma table, un crème, un biscuit et une baguette de pain achetée chez Anatole. Aux Halles. Idéalement placé, j’observe avec curiosité les nombreux passants qui s’y rendent. En touristes ou pour y faire leurs courses. Un couple aux dimensions éléphantesques s’en détache. Ils s’installent bruyamment derrière moi. Leurs vêtements sont informes et douteux. Ils transpirent abondamment. Je sens leur odeur âcre et piquante. Lui agite l’air de ses bras, elle scrolle frénétiquement. Ils gesticulent, crient, réclament le serveur long, fin et droit occupé à la table voisine. Qui, imperturbable, finit sa commande et pénètre dans cette énorme bulle de vulgarité. Sans obtenir de réponse à son bonjour digne et professionnel. Une leçon de sang-froid. Un modèle de patience. Indigné, je me lève et le suis jusqu’au comptoir. Je veux qu’il sache que je suis blessé par tant de brutalité, d’insolence. Les yeux bas, un léger sourire en coin, il me dit, résigné : « c’est ainsi tous les jours, toutes les heures… »
Peut-on se photographier – ou se faire photographier – tout sourire au mémorial de la Shoah de Berlin, ou à Auschwitz jouant un funambule sur des rails et un site qui symbolisent la déportation et la mort de millions de personnes. Oui, si l’on en croit les responsables du Musée d’Auschwitz, qui ont relayé ces images, tout en appelant leurs auteurs et les futurs visiteurs à la décence et au respect de la mémoire des victimes. Ainsi, selfies et photos légères, où l’on se met en scène et au centre d’un lieu envisagé sous le seul angle d’un décor, semblent, pour les « jeunes » générations, en tout cas, une pratique médiatique banale ! Soi d’abord, et au premier plan toujours, sur un fond de réalité physique ou historique neutre. Comme s’il fallait en effacer les traces, la mémoire : trop lourdes à porter dans ce monde de l’instantané, du fluide et du léger. Et laisser l’oubli faire son œuvre, comme l’océan laisse à marée basse des bateaux nus et désarmés dans la vase.
L’humanité est à son point de bascule, et l’écologie est absente, nous dit Dephine Batho dans une tribune au « Monde » du jour. Tout comme la jeunesse qui devrait pourtant se tourner vers l’écologie politique. Et si elle ne le fait pas, nous explique-t-elle, c’est parce que ce courant politique et ses partis n’assument pas clairement la rupture avec le dogme de la croissance. Le potentiel de cette jeunesse, ajoute-t-elle, pourrait pourtant changer la donne politique beaucoup plus rapidement et profondément que les états-majors ne le pensent. Conclusion ! « Le moment est venu d’assumer la décroissance comme étendard de l’écologie. » C’est-à-dire, moins produire, moins travailler, moins consommer, moins voyager, etc. C’est-à-dire encore, dans un langage « éveillé » plus « sexy » : produire autrement, consommer autrement, etc. Ce qu’à l’évidence n’entendent pas ses amis de la NUPES qui se focalisent sur l’augmentation des prix de l’énergie et la baisse du pouvoir d’achat.
Passons vite, d’abord, sur le défaut de raisonnement de madame Batho qui fait dépendre le sort de l’humanité et de la planète, d’une seule et sévère politique nationale de décroissance dans tous les domaines de la vie économique et sociale ; défaut qui en outre fait de sa proposition politique un énième « vœux pieux », source d’angoisse existentielle pour de nombreux « jeunes gens » engagés dans le combat « écologique ».
Aujourd’hui, en effet, le charbon, le pétrole et le gaz, c’est 81 % du mix mondial, contre 82 %, il y a 25 ans – les renouvelables n’ayant fait que répondre à la hausse de la consommation d’énergie, pas plus. Et au rythme actuel, le monde en a encore besoin pour atteindre un pic vers 2035 (selon l’Agence internationale de l’énergie.)
Bref ! si Batho raisonne à l’envers, il n’empêche qu’elle énonce, en la masquant, certes, une part de vérité : la transition écologique ne sera pas l’Éden promu par nos écologistes d’EELV. Elle ne peut- être en effet qu’une somme sévère d’efforts, d’adaptations et de renoncements dont les conséquences sur la croissance, l’inflation, les finances publiques, la compétitivité, l’emploi et les inégalités devront être clairement exposées. Une transition qui prendra de longues années et qui ne peut être que concertée et coordonnée au plan mondial. Ce qui, on en conviendra, n’est pas une offre politique excitante et classique pour des partis et des électeurs dont « l’imaginaire » idéologique, moral et politique est encore, disons très « carboné ».
Pour guérir de l’addiction aux insultes politiciennes quotidiennement crachées sur les réseaux sociaux, j’ai décidé de créer un groupe de parole rassemblant les personnes atteintes de cette morbide et régressive passion « anale ».