Chronique de Narbonne, et d’ailleurs. Mon 14 juillet avec Antoine Baeza, ce héros des Glières, de 96 ans, si discret…
La première fois que je le vis, ce vieux petit bonhomme, appuyé sur sa canne, il prenait un pain que lui tendait Adeline, ma boulangère. Quelques mots familiers furent échangés entre eux, à cette occasion, qui signalaient une longue et amicale fréquentation. Ils suffirent pour que je reconnaisse instantanément une langue et un timbre qui longtemps sonnèrent à mes oreilles. Celle de mon grand père paternel, le dimanche, en famille, ou sur des chantiers, l’été, quand j’y travaillais en sa compagnie, manoeuvre d’occasion – pour financer la rentrée scolaire – sous la direction de mon père, alors contremaître. Une langue faite d’un mélange d’espagnol et de français, au rythme et à la musicalité propres au castillan. Cela suffisait pour que cet homme âgé, sec et noueux comme un sarment, habite mon esprit en la compagnie de celui qui, enfant, me faisait pourtant trembler quand sa voix retentissait du bout de la table où il commentait, notamment, la rituelle paella dominicale de ma tante Dolorès (Lola!). Et puis, vendredi dernier, Adeline, après que Gilou, son mitron de mari , le lui a demandé, m’a fait part d’un tout petit morceau de l’histoire personnelle de ce petit homme tout courbé par les ans et le travail, qui m’a profondément bouleversé. Une histoire qu’il m’a, en partie, raconté le lendemain matin, chez lui, dans sa maison de centre-ville située à deux pas de notre commune boulangerie. Antoine Baeza, c’est son nom, est en effet un de ces héros anonymes et discrets qui traversent notre époque sans que personne, ou presque, des lieux où ils résident, ne le sache, et ne s’en émeuve. À 96 ans, il est, en effet, le dernier des survivants du maquis des Glières. Un maquis de légende entré dans la grande histoire, notamment par la voix d’un discours prononcé par André Malraux (1) en septembre 1973. Un maquis formé de 500 résistants, dont 56 Espagnols républicains (2), qui se regroupèrent début 1944 sur ce haut plateau enneigé de la Haute Savoie, dans l’espoir de recevoir des parachutages d’armes. Cernés par les forces de l’ordre de Vichy puis les troupes allemandes, ces maquisards résistèrent héroïquement à l’assaut donné le 26 mars, avant de décider l’évacuation du plateau à la nuit tombée. Et si certains parvinrent à traverser les barrages formés par les Allemands ou la Milice, plus d’une centaine furent abattus, exécutés après leur arrestation ou morts en déportation. Antoine Baeza, rescapé, lui, a continué le combat jusqu’à la Libération. Un combat que le tout jeune homme né à Lierta, en Aragon, en 1920, qu’était alors Antoine, avait commencé dès l’âge de 19 ans dans l’Armée Républicaine espagnole contre la dictature franquiste. Sur son arrivée en France, en 1939, pour y trouver refuge avec plus de 450 000 républicains dans des camps improvisés sur les plages du Roussillon, par pudeur, sans doute, il ne s’est pas trop attardé. Il y faisait froid, me dit-il, et pour se protéger contre la tramontane d’hiver les seuls abris étaient des trous creusés à mains d’hommes dans la plage du Barcarès où il avait été regroupé avec d’autres réfugiés. À l’écouter ainsi me parler de ce temps de misère, de souffrances et de combats, je me disais que le nôtre (de temps) se plaisait à conter des histoires de héros où les champs de batailles se résument à quelques mètres carrés de terre battue ou de gazon. Qu’il ne fallait pas s’en plaindre, bien sûr! Mais se souvenir que si nous pouvions les entendre en paix, c’était grâce à tous ces héros discrets, à tous ces Antoine venus d’Espagne, notamment, qui, par leur courage et leur travail ensuite, dans les champs et les chantiers de l’après guerre ont fait cette France que nous fêtons tous les 14 juillet.
Suerte, Antoine! Y gracias señor. Por todo…
(1) Discours de André Malraux prononcé le 2 septembre 1973 (ici). Extrait: « Passant, va dire à la France que ceux qui sont tombés ici sont morts selon son cœur. Les radios de Londres diffusaient : « Trois pays résistent en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie ». La Haute-Savoie, c’était les Glières… »
(2) Antoine Baeza l’a rejoint en septembre 1943. Pourquoi des Espagnols au maquis des Glières? Cliquer sur (ici).
Mots-clefs : Antoine Baeza, Le Barcarès, Malraux, Maquis des Glières, Retirada
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Le Maître G
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Merci Monsieur pour ce bon moment et avoir mis à l’honneur cet homme très méritant et qui a adopté La France, cependant son départ de son Espagne natale est moins valorisante il était du côté des rebelles mais il vrai qu’il défendait sûrement un idéal, le sien, ce n’est pas celui que je préfère.
Un lecteur d’Espagne actuellement.
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