Chronique du Comté de Narbonne.

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      C’était dimanche, et il faisait beau, mon oncle ! Sur le parvis des halles, côté monuments aux morts où on abattit hier de fiers platanes, des Bodorniens parés de leurs capotes « frambroise écrasée » et des Siniens vêtus de même, mais de « bleu roi » épicé. Un vrai manège de portes-réclames tourbillonnant, aux mêmes sourires avenants et parlant la même langue de bois : la loi d’une espèce qui ne sort jamais de l’ambigüité qu’à son détriment moral…et électoral. Il y avait donc des jeunes gens effilés côté bleu et des retraités enrobés chez les framboisiers ! Bodorniou et du Rocher étaient eux sportivement chaussés : le premier de classiques baskets cerises, le second de boboisantes « converse » délavées ; quant à Sy , de Leucate, je ne t’en dirai rien, représenté qu’il était par le sieur Sauze, que personne ne connaît. Trop tard levée, la  discrète marquise de Fade et ses timides amis en blouses blanches occupaient la sortie, qui est aussi une entrée : côté Hôtel Dieu ; Bodorniou et Daredare du Rocher, son sémillant maître de chapelle, rêvant de l’y voir en de pieuses mains dès dimanche prochain  ! Pas sur, mon oncle : la marquise surfera sur la vague batave, l’officielle ; tandis que Bodorniou, anciennement «  rosien », n’aura que l’officieuse suivie de celle, qu’il espère, toute droite dirigée, si je puis dire, vers le sieur Labatout, pour le noyer. Un comte qui, dans ces circonstances, joue l’anguille. Impossible à saisir, il s’impatiente mollement d’enfin savoir qui des deux sera le premier pour trucider le marquis de Leucate – au tour prochain-  pour alors s’en proclamer prestement l’indéfectible ami . On ne le voit guère non plus chez Bébelle, le tavernier à la mode que fréquentent gens de cours et de jeux, bobardiers et notaires, amateurs de cigares et siffleurs de rosé. Car ces halles, mon oncle, sont le cœur de Narbonne, tu le sais. Une foule bruyante y engorge toujours ses ruelles d’étals où se mêlent badauds, nigauds, promeneurs et ménagères pressées. S’y retrouvent aussi, tous les dimanches, coteries, clans et petites troupes d’amis qui y viennent, comme on va  à la messe, pour y disputer souvent des affaires de la cité ; pour y médire parfois, par bonté, des dames et des messieurs du lieu, du comté et d’ailleurs ; pour s’amuser toujours du vent et de la vie, qui passent. On le voit peu dans ces halles, te disais je du seigneur de la ville et du comté, mais on le sait cependant désireux d’en présider les festivités. L’insupporte en effet que charcutiers, bouchers, maraîchers et poissonniers, tous les corps de métiers, ne veuillent point s’en laisser compter ; le prix de cette liberté se payant d’une contribution comtale généreusement diminuée de moitié ! Mais qui présentement nous épargne heureusement le chœur des « chiffons rouges » à l’heure de l’apéritif ou des concerts de tambours en pleine hébétude digestive. Imagine un peu, mon oncle, ce que serait cette basilique profane et revêche animée par un « fonctionnaire » du Comté ! La résistance cependant s’organise, et je sais que l’appel de nos tenaces commerçants sera puissamment entendu. On ne mendie pas sa liberté aux autres, n’est ce pas mon oncle ? Quand elle est prise, il importe de la savoir garder. En ces temps d’emprise idéologique sur nos cerveaux, il est bon d’avoir toujours à l’esprit ce que disait un de tes camarades rescapé de la bienheureuse  et globalisante pensée, à savoir que le langage politique était destiné à rendre vraisemblables les mensonges et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que du vent. Bonne journée, mon oncle ! Et que demain nous ouvre les cœurs. Hier, la nuit tombée, la lune était rousse au dessus de la Clape…

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