De ses yeux à demi clos qui parfois s’ouvraient péniblement sur le monde, il pouvait apercevoir, plus bas, la plage des amandiers… (Fiction 3)

Plage des amandiers. Sainte Rose.

 

Fiction 3.

Le repas de midi concocté par les amis guadeloupéens de Joseph avait été somptueux. Lyse s’était surpassée avec son poulet colombo. Une merveille de simplicité gustative ; et les arômes complexes et subtils du vieux rhum de Michel, pour finir, servi sur la terrasse de leur vaste maison coloniale, excitaient encore ses papilles longtemps après qu’il l’eut dégusté à petites gorgées. Joseph, dans cette ambiance paisible et chaleureuse, goûtait à satiété tous ces plaisirs tropicaux. Le moelleux du matelas de plumes qui couvrait son large fauteuil en osier leur ajoutait un sentiment paradoxal d’irréalité.

Chronique du Comté de Narbonne.

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Mon oncle !

Avant d’aller à la messe de minuit, qui ce soir aura lieu à sept heures et demi, je t’adresse ce petit mot vite écrit. Un peu d’humour ne nuira pas à cette soirée qui nous projette vers des temps un plus lumineux, n’est ce pas ? C’est la lecture du Tirelire de ce jour qui me l’a inspiré, si je puis dire sans offenser l’évêque du Comté. Et puis, nos sommités comtales narbonnaises sont de grands enfants, mon oncle ! Aussi, en ce jour de Noël, pluvieux et fort doux, je dépose à leurs pieds ces symboliques offrandes.

Au Comte Jacques Labatout, un costume définitivement infroissable et repassé, et des séances de gymnastique visuelle pour qu’il puisse enfin fixer ses interlocuteurs plutôt que de les obliger à le fuir sans arrêts. A Patrice Lemaillet, des pantalons moins serrés et un sourire moins crispé ; des promenades en barque et des rameurs assurés seront aussi du plus grand intérêt à son souhait d’un Comté qu’il veut oxygéner. A Patrick de la Natte, des cheveux implantés et une queue de cheval dignes du Don Quichotte qu’il fut et du Grand Officier du Cabinet qu’il est seront aussi du plus bel effet ; des nuages d’encens pour envelopper le comte et son palais , j’en suis sur, tout autant le raviraient. A Dédé Molly, deux ouvrages sans aucun doute lui conviendraient ; de « L’homme invisible » et des « Mémoires d’Outre Tombe », il devrait s’inspirer pour ne point finir avec Nouveau Narbonne profondément et définitivement enterré. A de la Brindille, une caisse d’herbe aux arômes chocolatés lui permettrait d’oublier son passé et du Marquisat de Cuxac en rêver sur un asiatique sofa enfumé aux motifs d’exotiques oiseaux colorés. A Bodorniou, un manuel de la « feinte de passe » et du « cadrage débordement » pour en politique  gagner et à la marquise de Fade la lecture du « Petit Prince » par Eric Tandrieu rewritée, leur donneraient à l’avenir sur un moelleux lit de roses l’occasion d’ éternellement s’embrasser. Enfin, mon oncle, à tous ceux que je n’ai pas cité, comme à mes lecteurs, je souhaite un bon Noël et de bonnes fêtes de fin d’année.

Je t’embrasse ! 

 

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Mercredi 19 décembre de l’an 2012

Bonjour mon oncle !

En avril  ( ce n’était pas le premier ! ) , c’est un patelin père Noël que les Français choisirent pour gouverner ce pays ; ils découvrent en décembre ( ce n’est pas encore le 25 !) un papelardesque Père Fouettard. De Gouda voulait faussement réenchanter leurs rêves pour bourrer réellement les urnes, il leur serre désormais la ceinture pour emplir hardiment ses caisses . La fin du monde « bienheureux et sans efforts pour tous » qu’il promettait , a bien eu lieu, mon oncle ! La prédiction des Mayas est donc  confirmée et de facétieux gazetiers annoncent déjà, à Bugarach, de François, la prochaine arrivée. Y seraient officiellement célébrer le vote du pacte budgétaire Tarkoly-Tankel, l’instauration de taxes prétendument  sociales, la poursuite de l’éradication de bidonvilles Roms, la fermeture des fours de Florange… et autres diverses « catastrophes » que son prédécesseur « ordonnait et que la meute médiatique stipendiait. Cette façon de faire le contraire de ce qui avait été promis, à la manière de l’antique sieur du Mollet, ne pourrait être glorifiée ailleurs que dans ces Terres d’Aude où vivent pépèrement d’innombrables « têtes plates » surabondamment administrées, si j’en crois les nouvellistes autorisés. Nous serions en effet les champions du royaume quant au nombre de fonctionnaires par sujet, mon oncle ! des fonctionnaires de surcroît majoritairement rosiens, alors que nous détenons le record du nombre d’habitants dispensés de capitations pourtant nécessaires à leur entretien. Mais comment donc est ce possible ? Une étrange situation qui n’est d’ailleurs pas sans me rappeler celle que me décrivit tantôt ton ami sicilien Fanfani. Ici aussi, en effet, les comtes et les marquis ont pour spécialité d’aller chercher des subsides dans d’autres bourses et de recruter une pléthorique domesticité. Des gardiens de château aux aides de camp, nombre de familles et de clans en présentent, qui savent, le moment venu, en remercier leurs généreux commanditaires. Bugarach, te disais-je, est donc assiégé par des armées gazetières pour, à la fin du monde, la vraie, assister : et ce au désespoir de son premier consul qui, aujourd’hui, parle  « d’insupportable utopie ». Il regrette que la presse jamais n’évoque les merveilles de son microscopique comté en citant pêle-mêle ses orchidées et son « petit batracien exceptionnel qui vit ici grâce à l’excellente qualité de son eau ». Comme notre roi de Gouda, après une intense campagne de mystification, le voilà revenu à de triviales préoccupations domestiques dans un environnement tout aussi fragile pour sa grenouille, qu’il l’est pour l’ensemble du royaume, ses fabriques et ses sujets. Mais pour divertir le bon peuple, l’enfumer et lui faire oublier toutes les promesses prodiguées, on tente de fixer ses idées sur le mariage pour tous, quelle que soit sa sexualité. Cette affaire serait ainsi le marqueur du parti du progrès et de l’humanité !!! Mais je ne suis pas sur que ce soit suffisant pour anesthésier ce qui reste de bon sens dans les villes et les comtés.

Je ne commenterai pas tes remarques sur Couillon et Flippé, mon oncle. Comme toi je les trouve pathétiques et ridicules, et crains fort qu’ils ne soient définitivement « cramés », comme subtilement le chante Gainot. Encore que l’époque brûle vite le temps et la mémoire. Dans deux ans, qui se souviendra de cette pitoyable tartarinade ? Ah! ceci aussi pour satisfaire ta curiosité sur la vie dans ton cher Comté de Narbonne. Hier, le Tirelire en  faisait sa une! Une dame, qui travaillait à la communication  du sieur Lemonyais, relate, dans une longue lettre reproduite par cette gazette, comment, par le sieur Labatout, elle a été licenciée. Sa lettre est précise et argumentée quant aux moyens qui auraient été utilisés. On ne peut que se désoler, mon oncle, qu’on puisse arriver à ce genre d’extrémités. En toute situation, il convient de sauvegarder la dignité des personnes ; et l’élégance et la courtoisie devraient toujours présider aux relations humaines, surtout quand un conflit vient en perturber le cours. Que cela soit difficile, j’en conviens ! Il m’arrive, sans doute, malgré l’extrême attention que j’apporte aux mots, de manquer moi aussi à ce devoir que j’exige d’autrui. Voilà pourquoi je ne m’offusque jamais des précieuses, et parfois blessantes, observations qui me sont faites à ce sujet. Pour le jour de Noël, mon ami Jacques a préparé un joli conte dédié à ses petits enfants. Loin de ce monde, c’est de sa vérité dont il parle, point de sa fin. Je te l’enverrai par le prochain courrier. Il est tard à présent! Je t’embrasse, mon oncle ! 

Chronique du Comté de Narbonne.

Hôtel de Ville de Narbonne

Hôtel de Ville de Narbonne

Jeudi 13 décembre de l’an 2012

J’entends des binious et des tambours, mon oncle ! ne manquent que des cornemuses pour parfaire cette celte ambiance dans laquelle est processionnée une énorme grenouille d’un vert approximativement marécageux, ainsi que l’exotique chameau égyptien de nos voisins bitterois au demeurant d’un format curieusement minuscule; des messieurs chenus, colorés à la façon clownesque des confréries vineuses, les suivent, l’air bête (si je puis dire) et le pas hésitant (il fait froid et le sol est glissant). Tandis qu’une petite et maigre troupe de badauds fait escorte à cette drolatique ménagerie, des passants stupéfaits se pincent à la façon des ânes qui braient : « c’est Carnaval ? » s’étranglent-ils. Carnaval, à Noël, serait adoré, et l’enfant Dieu, le Mardi Gras, brûlé ?  Certains même, à Bugarach, voudraient dare-dare aller s’abriter, cette inversion saugrenue du calendrier présageant d’une fin du monde, par le peuple Maya annoncée. C’était mardi dernier, mon oncle ! et c’était de la  fête de Saint Paul-Serge , le saint patron du Comté, dont il s’agissait, en ce 11 décembre de cette année. Comme tu le sais, une des trois légendes prétend qu’à Narbonne, de Bages, il se rendit, après qu’une nacelle par une grenouille conduite l’ait déposé sur le rivage de la Nautique. Je n’ai rien contre ce vénérable apôtre et sa grenouille, mais naïvement je pensais que le 22 mars était la date où on devait l’honorer. Une date conforme aux mœurs de notre emblématique batracien qui, l’hiver, se vautre, au chaud, dans une visqueuse et voluptueuse vase. Qui donc a eu cette cruelle idée de la faire ainsi sortir de son léthargique sommeil en ce mois de décembre venteux et glacé ? Que nos édiles n’accordent aucune bienveillance symbolique, à défaut de charité chrétienne, à notre paisible bestiole passe l’entendement zoologique, mon oncle ! Ce qui après tout ne saurait m’étonner de la part de magistrats à la culture étriquée et bassement commerciale. Mais remplacer les rois Mages par Saint Paul, un de sept apôtres des Gaules, pour annoncer la naissance de l’enfant-Dieu ! Jusqu’où ira-t-on, mon oncle, pour amuser les chalands et bedonner les boutiquiers ? Oui, je le sais, mon indignation à des accents outranciers, l’époque et ses marchands n’ont que faire d’une fête qui, au cœur de la nuit hivernale, célèbre dans la plus grande simplicité d’une étable  la naissance d’une lumineuse Parole ; ou, pour d’autres, l’allongement des jours et la course du soleil vers celui de sa flambloyante apothéose. Quand la bêtise de nos édiles et la crédulité de nos contemporains se conjuguent dans le culte du festif permanent, l’absurde et la bouffonnerie sont de la noce. Qui tendent vers l’infini… Ainsi, ce matin, ai je reçu un poulet commercial d’une auberge au nom historiquement évocateur : « Le Cathare ». Pour le dîner de Noël, son propriétaire, à l’humour inconsciemment sinistre, me propose, entre autres charitables douceurs, de l’agneau grillé à l’authentique feu de bois et des bûches à la crème de marron. Oui, mon oncle ! le Cathare, de surcroît idéalement situé au pied de Montségur, fait des grillades !!! Les Parfaits se retournent dans leurs tombes (si à nouveau je puis dire ; j’espère qu’on me pardonnera !) ; ils en meurent une seconde fois. De rire ! Si on ne peut pas rire au Paradis, à quoi bon en effet y séjourner…

Affectueusement tien, cher parent !

 

Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

Jeudi 6 décembre de l’an 2012

Mon cher  parent !

C’est de « petites phrases » que je voudrais aujourd’hui te parler. De celles que Manuel Decuel, que je t’ai déjà présenté,  collectionne et  dépose méthodiquement dans la colonne  gauche du « Tirelire », à la page deux. Ironiques ou stupides, sérieuses ou banales, elles offrent des lignes de fuites – il m’en faut peu ! – pour m’échapper du tout venant d’articles sociétaux et de réclames ménagères présentement consacrées aux viandes, dindes, poulardes et autres mets qui seront avalés en grandes quantités pendant les fêtes d’une fin d’année, paraît-il en crise. Oui, mon oncle, en crise il paraît, malgré ce que tu peux en croire, et en voir surtout, des dispendieuses festivités programmées par notre Roi, ses comtes et petits ducs dans leurs différentes collectivités. Leurs cassettes sont vides, mais aux décaissements ils ne regardent guère ! Il est vrai que leur fortune personnelle n’en est point affectée. Ici, mon oncle, on vient d’installer, au beau milieu du mail toujours démembré, un ridicule petit marché de Noël constitué de petits cabanons stéréotypés, comme on en voit dans toutes les petites et grandes cités ; quelques girandoles aussi, sur de piteux platanes ratatinés. Tout cela, et si peu, finit par donner à cette enfilade de maisonnettes un air de baraques de chantier qui, finalement, s’accordent assez bien avec la physionomie du lieu toujours occupé par des grues, tracteurs et autres engins dédiés à cette interminable entreprise de rénovation. Mais je m’égare, mon oncle, alors que de petites phrases je voulais te parler. Celle ci a retenu mon attention, d’un quidam au sieur Labatout adressée , logé au dessus d’un bistrotier à la mode sis sur le mail dont je viens de discuter: « On ne peut plus dormir, on ne peut même plus regarder la télé ». La réponse du comte ! « Il n’est pas évident de concilier les critiques fondées des riverains et l’activité légitime des taverniers … » qui, prétend-il, «  font reculer l’insécurité. » Voilà comment nos mastroquets, par notre premier magistrat, se retrouvent enrôlés dans les troupes supplétives de sa maréchaussée ; peut-être même la verra-t-on demain, elle aussi, assurer le service aux clients des estaminets. Je connaissais le goût du comte pour cette engeance bistrotière, que j’affectionne aussi, tu le sais – enfin, modérément ! – , mais à la couvrir de cette pandoresque auréole, il fallait faire preuve d’une grande autorité! Tu me permettras cependant de douter de la voir servir un jour, ou une nuit, du petit lait à la place de jus alcoolisés afin d’éviter troubles et incivilités. Enfin, tout cela présage mal, mon oncle, de l’avenir du mail une fois les travaux achevés. Je crains, en effet, qu’il ne devienne une de ces gigantesques terrasses tavernières où se rassemblent bruyamment de festives et vespérales troupes aussi désoeuvrées qu’assoiffées. Ce qui dans le langage moderne est présenté comme l’acmée de l’animation « culturelle », alors qu’il ne s’agit, dans la promotion de ce raffut généralisé, que de la manifestation rampante d’une nouvelle et insidieuse forme de barbarie. A des degrés divers, l’espace public devient hélas une zone de non-droit, intégralement remplie par la jouissance des uns et l’impuissance des autres ; il n’y a plus que des bourreaux par insouciance et des victimes sans identité. Ah ! mon oncle, qui donc osera un jour proclamer le silence patrimoine immatériel de l’humanité !

Je t’embrasse à présent, et m’en vais me coucher. Il est tard, c’est le temps de rêver ! A bientôt, mon oncle…

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