Les petitesses des grands auteurs nous apprennent toujours quelque chose…

Ve 10.1.2025

Les écrivains sont souvent perçus par leur lectorat comme vivant dans un monde isolé des préoccupations et des luttes de pouvoir. Cette image est trompeuse ! Il suffit de lire les journaux de quelques-uns des auteurs les plus renommés de leur époque pour se rendre compte que ces derniers n’hésitent pas à employer des « techniques » et des moyens habituels dans l’arène politique pour nuire ou éliminer la concurrence. Des exécutions symboliques, une allégeance aux dominants, de l’hypocrisie, du cynisme, des calomnies et des rumeurs sont souvent exposés dans des pages parfois éclatantes. Reconnaissons-le, les petitesses des grands auteurs, lorsqu’elles sont exprimées par un style remarquable, parfois nous réjouissent et nous apprennent toujours quelque chose.

« Avant-hier, visite à Mauriac. Assis de côté sur le coin de son canapé de cuir, il se recroqueville sur lui-même et fait songer à un vieil oiseau blagueur. Il a été étourdissant. Brosse de l’Académie actuelle un tableau effarant au moral comme au physique. « Tous ces vieillards… Ils sont terribles, méchants… Ils ont tous une maladie de la vessie… Ils n’ont de volonté que pour empêcher les choses de se faire… » Et il montre les dents d’un air féroce. « Bourget comprend encore. » Il me parle avec enthousiasme de « Môzart », de Salzbourg. La Pecci-Blunt qu’il a trouvée assommante, encombrante. Poulenc, coiffé d’un petit chapeau tyrolien avait l’air d’un cochon savant. Février en costume tyrolien, « tous poils dehors… ». Sa femme paraît un instant ; son beau regard où il y a tant de souffrance, de courage, et de gaieté. J’étais allé chez Mauriac animé d’une rancune violente (qui m’étonnait comme s’il se fût agi d’un autre, mais en effet ce n’était pas moi), je voulais lui dire plusieurs choses insolentes. Mais il a été si gentil que je me suis senti de l’affection pour ce vieil enfant désabusé. Il m’a parlé des démarches de Duhamel auprès de lui pour se faire élire à l’Académie. « Il est d’une bassesse… il s’est roulé à mes pieds. On n’imagine pas… ». « Si, si, on imagine très bien. » Il parle de l’hypocrisie du personnage. »

Journal intégral de Julien Green.1919-1940. Bouquins (ebook Kindle).

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