Où que nous soyons, nous ne quittons jamais notre « chambre »…
Il est 15h30, cet homme seul, grand, qui marche à pas lents, le haut de son corps comme aimanté par le sol et ses bras sur son dos tenus par ses mains jointes, que j’aperçois de ma fenêtre sur ce large trottoir ensoleillé, est mon voisin. Je le sais habité, depuis la mort de sa femme, par d’amères et douloureuses pensées ; et chaque matin le plonge dans une profonde solitude. Je sais aussi qu’il n’ira pas très loin de son domicile. C’est un homme cultivé et conscient de la situation dans laquelle désormais nous vivons. Il avait tout simplement besoin d’un peu d’exercices physiques ; et marcher lui fait du bien à l’âme ! Quinze minutes pour sentir un peu d’air frais sur son visage lui suffiront. Il s’en retournera ensuite dans son vaste et sombre appartement. Je l’imagine déjà dans la pièce aux murs garnis de livres dans laquelle il passe l’essentiel de son temps ; des livres sagement rangés dans les rayons de sa bibliothèque qui ne le font plus rêver . Ni penser . Ou si peu ! À l’observer vivre ainsi, je doute qu’il accepterait cette idée largement répandue selon laquelle le plus grand malheur d’un homme est de ne pas savoir « se tenir dans sa chambre. » Une idée, devenue lieu commun, et qui fait souvent l’objet de pauvres contresens, surtout en ce temps de « confinement » imposé par les pouvoirs publics. Car jamais, où que nous soyons, nous ne quittons jamais notre « chambre » ; celle où vivent nos pensées, nos souvenirs, nos sentiments. Nous voyageons toujours avec elle. Dans la rue, là, tout près, comme au plus loin, ailleurs. Et c’est en elle – , dans le plus intime de notre conscience –, que nous habitons le monde.
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