Philippe Jaenada présentait son roman « La Serpe » à Port-Leucate, cet été. Je l’ai lu…
Cette année, Michel Py m’a gentiment adressé (comme il le fait régulièrement à chaque rentrée littéraire) le dernier roman de Philippe Jaenada, « La Serpe » (éditions Julliard), présenté en avant-première à Port Leucate le 20 août dernier, dans le cadre de la manifestation « Auteurs à la Plage » (1). Un choix judicieux : l’auteur figure en effet dans la sélection du prix Renaudot 2017, après l’avoir été dans celle du Goncourt. Un roman-enquête qui, d’emblée, à la vue de son épaisse taille (600 pages), m’a paru difficile d’accès ; jusqu’à ce que le « ton » de ses premières phrases finisse par me faire oublier très vite cette première (et fort paresseuse) impression. Comme son histoire, celle d’un homme à l’étonnante (complexe) personnalité, Henri Girard, accusé d’avoir massacré son père, sa tante et la bonne dans le château familial de Dordogne, à l’âge de 24 ans. Une scène de crime sur laquelle nous entraîne Philippe Janeada pour tenter d’élucider cette énigme et répondre à la question qui court tout au long de ce roman-enquête : qui est l’auteur de ce massacre ? Et quelle ne fut pas ma surprise, arrivé (très vite) à la page 103 (je n’avais rien lu sur la « Serpe »), d’apprendre que H. Girard était aussi, sous le nom de Georges Arnaud, l’auteur du « Salaire de la Peur » (roman adapté pour la première fois par Henri-Georges Clouzot avec Yves Montand et Charles Vanel dans les rôles principaux – film que Jaenada démolit, au passage – dans lequel Georges Arnaud recycle une partie de son expérience sud-américaine, ainsi qu’une histoire qu’on lui a racontée là-bas.) Surprise, en effet, car je venais de terminer, une dizaine de jours plus tôt, « Les Jeudis de Julie » ( Fleuve Noir, 1978) de G.J.Arnaud (2), son quasi-homonyme, auteur prolifique de romans policiers et de la célèbre série « La compagnie des glaces »), dont l’histoire se déroule sur les bords de l’étang de Sigean, dans un petit périmètre borné par les communes de La Palme, Sigean et Narbonne… (Un roman d’une grande finesse psychologique où l’auteur fait montre d’une exceptionnelle connaissance des lieux, des paysages et des personnes – il aurait vécu dans les Corbières dit-on !) Comment, dites-moi, après cette succession de « hasards », vivre avec l’idée que la vie n’en est qu’une suite, heureuse ou malheureuse ? Mais revenons à Henry Girard, que tout accuse donc. Sa réputation est exécrable : il dilapide l’argent de la famille et quand il n’en a plus invente qu’on l’a enlevé et qu’il faut payer une rançon. Et puis les crimes ont été commis en château clos : l’assassin doit être fatalement (!) quelqu’un de l’intérieur. Procès, charges, tout condamne Girard. Y compris le lecteur, jusqu’à mi-roman d’ailleurs. Innocenté par la justice, libre, grâce au talent du grand avocat de l’époque (un ami de son père), maître Garçon, le doute cependant persiste. Cette histoire incroyable survenu en pleine guerre – en 1941 –, Philippe Jaenada en a appris l’existence devant le portail de l’école où il vient chercher son fils. Un père d’élève, avec qui il se lie d’amitié, lui dit que son grand-père est l’auteur du Salaire de la peur, que sa vie mériterait qu’on lui consacre un roman, jusqu’au jour où il fait allusion au massacre dans le château. Le canevas parfait d’un roman à la manière de Jaenada qui l’envoie sur les routes, direction la Dordogne. Il s’installe à Périgueux,déchiffre et décrypte des documents d’archives non exploités… découvre la tendresse qui unissait Georges et son fils Henri, qui fait écho à la sienne. Et le lecteur avec lui de reconsidérer les faits, les dires, les évidences, au fil de son enquête ; de partager ses soirées sur des terres provinciales, dans sa chambre d’hôtel aux papiers peints désuets, boire son whisky dans le triste bistrot du coin ; de vivre ses émotions loin de sa résidence parisienne et… de son fils. Difficile de résumer un tel ouvrage. « La Serpe » est en effet un de ces romans qui en contient beaucoup d’autres : une saga familiale, une chronique de l’histoire de la France des années 40, une biographie littéraire, celle, partielle, de l’auteur… Un roman plein de digressions, de ressources, de talent. Impossible de s’en défaire ! J’ai tourné la dernière page au petit matin d’une nuit totalement blanche. La précédente fut courte aussi… C’est tout le mal que je vous souhaite !
(1) «Auteurs à la Plage» attire chaque été des romanciers, ou personnalités, de renom : depuis 2009, ont ainsi participé à cette manifestation littéraire unique en son genre : Marie Darrieussecq (Prix Médicis 2013), Serge Joncour (Prix Interalliés 2016), Grégoire Delacourt, Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011), David Foenkinos (Prix Renaudot 2014)…
(2) Pour ceux qui voudraient lire ce beau « polar » rural, et qui possèdent une liseuse Kindle (ou une autre, type Ipad, format Epub), je peux, sur demande, le leur transmettre par courrier électronique.
Rétrolien depuis votre site.