Pourquoi le sport considéré comme un des beaux arts n’infuse-il pas la science politique?
Très bel édito mobile de Michel Crépu que viens de m’adresser la Revue des Deux Mondes. Brillant!
Le clairon du 14 juillet réveille le blogueur inquiet pour l’avenir de la France. L’interview télévisée du président de la République ne figure pas sur son agenda. Pourquoi y figurerait-elle ? Le blogueur considère l’ivoire des blés trempés d’averse. Il songe qu’il y a là un moment de grande poésie saisonnière. Il se dit, dans un pur élan de générosité admirative : « comment mieux conclure une année éditoriale que par cette admirable victoire de l’Allemagne, l’autre soir à Rio ? » On attendait le carnaval du Nouveau Monde, on a un concert de musique de chambre en provenance du Vieux Continent. Mario Götze, 22 ans, a été l’auteur de ce but, arabesque allegretto et accord final. L’Europe en gloire : merveilleuse surprise ! Pourtant, que n’avait-on entendu sur ce jeu allemand, prétendu réaliste et lourd, de peu de génie intuitif et que n’avait-on entendu sur les fulgurances du diablotin Messi, le sauveur attendu mais qui n’est pas venu ! La vérité est que la beauté, la légèreté étaient du côté allemand et non du côté argentin. On oublie que l’Allemagne est le pays le plus musicien d’Europe : c’est la musique qui a triomphé, dimanche soir à Maracana, au grand dam d’un Brésil qui s’y connaît pourtant en guitare. Ajoutons : la musique et l’esprit d’équipe. Qu’est-ce qu’une équipe, au fait ? Un logiciel mobile composé de plusieurs électrons en situation d’harmonie intelligible. Pour le dire autrement : une équipe est une machine anti-star. L’Argentine a perdu, non malgré Messi, mais à cause de lui, tout comme le Brésil a sombré pour n’avoir cru qu’au seul Neymar alors qu’il fallait soutenir les fantassins coûte que coûte. L’Argentine, pour vaincre, n’avait nul besoin d’une star solitaire ; le Brésil pour gagner la bataille n’avait nul besoin de prier un malade en béquille en espérant qu’il fasse le boulot à la place par sa seule présence mystique. Il paraît qu’un « psy » avait « coaché » l’équipe toute la semaine durant : le beau résultat ! Il n’était que d’observer ce curieux visage de Messi avec ses deux yeux noirs, à l’heure des vivats, perdu dans sa conjecture intime, pour mesurer le gouffre. Ses compagnons dévoués n’y auront rien pu. Autant remplir un seau percé. On a aimé, durant ce mois de football, ces succès d’équipe : la Belgique, l’Algérie, la Hollande, le Costa-Rica, la Suisse, on en oublie. À chaque fois, l’éclair venait d’une composition à plusieurs, jamais d’une opération spectaculaire. Que l’on sache, cela n’empêchait pas l’exploit individuel. Les Français y ont eu leur part, honorable. Rétrospectivement, le 1-0 contre l’Allemagne sonne comme une promesse, si l’on songe au 7-1 du drame brésilien. Qu’a-t-il manqué aux Français pour battre l’Allemagne ? Sans doute de la durée, autre nom de l’expérience. Ils n’ont pas manqué d’humilité mais d’épaisseur, de cuir. Du cuir comme en a Arjen Robben, l’attaquant néerlandais, indestructible et toujours joyeux. Enfin quoi zut, le cuir qui permet d’asséner un coup, quand l’occasion se présente. Celle-ci ne s’est pas présentée. N’empêche ! Ces bleus ont fait, un instant, rêver que les choses pourraient se passer de la sorte dans notre malheureux pays, au moins pour ce qui concerne la compétition politique. Parvenu à ce degré d’élévation intellectuelle, le blogueur recule d’effroi, comme Dante au dernier cercle de l’enfer. Le suicide en direct de la droite (quel nom lui donner, « raisonnable » ??? « républicaine » ???) laisse pantois par l’ampleur de son irresponsabilité. Hélas, il n’est plus de Coupe qui tienne pour puiser du réconfort dans cette marche au désastre. Pourquoi le sport considéré comme un des beaux-arts n’infuse-t-il pas la science politique ? C’est une question. Pourquoi pas un athlète chez Plutarque ? Pourquoi faut-il attendre Montherlant ? Pourquoi Proust n’a-t-il pas un mot sur le sport ? On se doute du caractère épineux, quoique passionnant, de ces menues observations. On voudrait seulement, que, quelque part dans les profondeurs cachées, un signe se montre. Il y faut du silence, du travail, de l’amour pour ce qu’on fait. Croyons fermement que ce n’est pas trop demander.
Mots-clefs : Michel Crépu, Revue des Deux Mondes
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