Se dire homme de lettres. La belle affaire.

Je 7.11.2024

Galley au café.

C’est une habitude. Devant mon premier café, je lis une ou deux pages d’un Journal littéraire. J’ai donc ouvert ce matin celui de Matthieu Galey. Pourquoi ? Parce que je ne l’avais pas fait depuis quelques mois. Tout simplement. Aussi pour le plaisir de goûter la précision, la clarté et l’acidité de sa prose. Sa description des mœurs de la petite société littéraire de son temps et les portraits de ses plus éminents représentants sont sans égal. C’est « vache », sensible (oui !) ; et toujours brillant.

À la page 506 :

« 28 septembre 1977 ?

À Sainte-Clotide, cernée par la police, obsèques de Lucie Faure. Sous cet amas de fleurs, une femme timide, presque ingénue dans ses idées sur la littérature, comme s’il existait un bon style et un mauvais. Une femme généreuse, sous le vernis mondain, curieuse des autres, attentive – fidèle en amitiés. Elle n’avait pas seulement du savoir-vivre. Héroïque ces dernières années où elle se savait condamnée, elle aura eu aussi le savoir-survivre, c’était plus difficile.

Bernard Privat, un peu éméché peut-être, me prend à part pour me convaincre d’écrire. C’est le moment. Ce sera le bonheur assuré. Je le regretterai plus tard. Certes. Mais quand je vois ces centaines de livres ouverts par si peu de monde, à quoi bon une vie de souffrance (le bonheur, je n’y crois pas) pour figurer parmi les « écrivains » ? Si 95 % des romanciers avaient cultivé des petits pois au lieu de s’échiner sur des ouvrages oubliés aussitôt que parus, la littérature n’en serait pas changée d’un iota. « Chateaubriand ou rien. » On en revient toujours à ça. […]

Curieux, ce besoin de vous pousser à écrire, alors que Privat, éditeur, sait ce que valent la plupart des auteurs, même et surtout ceux qu’il publie. Et quand le bouquin paraît : « Encore un roman de X. ! » Se dire homme de lettres. La belle affaire. Je suis revenu avant d’être parti. »

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Commentaires (2)

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    Thierry

    |

    Ses traits décochés à la figure alors montante et un brin encombrante Philippe Sollers est une petite merveille…

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      Michel Santo

      |

      Celui-ci. Tenez ! Le 22 Mars 1960.

      22 mars 1960
      Avec ma sœur, ravie, et Démeron, déchaîné, nous manquons d’écraser toute l’équipe de Tel quel, qui traverse la rue de Rennes en rangs serrés.
      Ils nous invitent à les suivre, « pour discuter », à la Société de géographie, boulevard Saint-Germain. J’y vais en compagnie de Geneviève ; Démeron préfère courir le guilledou. S’assied près de nous un élégant monsieur aux cheveux bouclés, une sorte de jeune premier à l’air intelligent Bientôt, le beau voisin prend une part véhémente à la « discussion», et je constate que Jean-René Huguenin, Robbe-Grillet et les autres lui répondent avec une certaine considération.
      Son numéro terminé, je finis par lui demander son nom.
      « Oh, je suis un écrivain obscur. (Cela dit sur un ton plutôt agressif; il a dû me prendre pour un supporter « tel-quelien »).
      — Donc vous avez publié des livres !
      — Oui, un petit bouquin frivole…
      — Allez, dites-moi le titre.
      — Le Grand Dadais. »
      La salle est pleine. Flanqué d’Edern Hallier, Sollers pontifie. Rond et doucereux, on dirait un raminagrobis de comédie, avec le regard complice d’un vieux politicard jésuite. Il doit y croire, pourtant, mais toutes ces disputes gratuites me laissent rêveur. À quoi bon des théories, des oukases, comme si l’écriture était matière à légiférer. Parfois, ils ont l’air si convaincus, ces jeunes gens, que je me surprends à les envier. Dommage que je ne parvienne pas à saisir leur génie. Sinon, quel plaisir, quel repos ce serait de les admirer ! Sincèrement. Hélas, Tel quel est un phénomène de mode comme le reste, qui spécule sur un certain snobisme intello-chic.
      Kanters a raison : « Une littérature de droite qui s’ignore. »

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