Un dimanche matin chez Bebel, après la finale Castres-Montpellier, où je buvais mon café noir…
Ce matin, 10 heures 30, je m’installe devant le comptoir de Gilles Belzon, sur un de ces inconfortables tabourets hauts, pour y boire mon dernier café serré de la matinée. À ma gauche, deux hommes aux visages marqués par d’incontestables excès de table commentent passionnément le tournoi de Roland Garros. Des bribes de leur conversation, je comprends que rien ne leur est étranger de l’histoire sportive des compétiteurs encore en course, jusqu’à leur âge et le nombre de coups droit ou de revers gagnant à leur actif. Un dénommé Simon est évoqué sans que je sache s’il s’agit d’un patronyme ou d’un prénom ; puis, brusquement, comme un pastis posé sur le zinc d’un bistrot par un serveur blasé, le rugby est convoqué dans cet échange encyclopédique par celui qui, depuis mon arrivée, noie son interlocuteur sous un flot d’informations à faire pâlir d’envie un journaliste professionnel (Je dis ça, façon de parler, ma culture tennistique étant d’une pauvreté indigne d’un homme moderne censément passer ses après midi devant sa télé à tourner sa tête au diapason de celles de spectateurs assistant à ce rituel mondain et sportif dans le temple gaulois de la petite balle jaune). Je crus comprendre qu’il fut un héros ou une victime dans je ne sais plus quel moment de sa glorieuse vie d’athlète et qu’il avait été reçu par l’ancien Président de la FFR, l’illustrissime Ferrasse, à je ne sais plus quelle occasion. Toujours est-il que son visage prenait les couleurs de la marchande de fruits et de légumes voisine, tandis que les yeux de son partenaire de jeu prenaient les eaux à la façon d’un Picamoles après que l’arbitre eut sifflé la fin du match opposant son club de Montpellier à l’équipe de Castres. Quel match ! Tout le monde attendait l’écrabouillage des Castrais, ce fut à l’inverse celui des Montpelliérains, me faisait remarquer mon voisin de droite en me proposant opportunément le Midi Libre du jour au moment même où un couple charmant s’installait aux places laissées vacantes par mes deux exégètes aux inépuisables explications, commentaires, anecdotes et racontars sur la vie sportive de ce pays. Eux-mêmes s’exemptant, à l’évidence morphologique, de toute activité physique. Je plongeai donc dans la lecture du quotidien régional, dont le siège social est à Montpellier, et tombai sur un édito de Philippe Palat au titre énigmatique et surtout mal balancé : « Ô rage ô désespoir ô vérité ». La rage et le désespoir d’avoir perdu, certes, on comprend ! mais la vérité ? Laquelle ? celle que ne cessait de présenter ce journal : un M.H.R surpuissant et gagnant par anticipation cette finale au Stade de France ? Comme si en toute chose sportive, un statut s’imposait en toutes circonstances de temps et de lieux ! Ce qui frappe aussi dans ces pages sportives de nos journaux, c’est le pathos, l’enflure des textes qui les remplissent. « On y gagne le Paradis ou on chute en Enfer » ; « on grimpe sur le toit du monde » ; « on constate la profonde tristesse du peuple héraultais » etc. Et quand les politiques en rajoutent une couche, comme Carole Delga : « avec cette finale c’est toute l’Occitanie qui est gagnante » et Philippe Saurel : « Castres qui gagne, c’est un peu Jean Jaurès qui gagne donc ça me va très bien », on se dit que l’emphase journalistique et la démagogie politicienne, parfois jusque dans le ridicule, sur ce terrain en particulier, font décidément bonne équipe. Idées vite enfuies cependant quand je quittais le comptoir de Bebel et croisais le regard d’une belle dame au beau port de tête, qui, devant son verre de vin blanc, souriait. À quoi, à qui ?…
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