Un dimanche pas comme les autres…

Di.26.6.2022 Quand je suis entré dans sa chambre, je l’ai trouvée assise sur son fauteuil lisant un de ces ouvrages à la reliure cartonnée d’une collection destinée aux enfants : « Le petit lion cow-boy ». C’est bien maman ! Oh tu sais c’est écrit en gros caractères et l’histoire est très simple. C’est égal, l’essentiel est que tu fasses travailler tes neurones. Mais je ne suis pas encore folle, tu sais. Mais enfin, Maman ! Les mots venaient sans gros efforts. Et l’ironie n’était pas absente. Elle va beaucoup mieux en effet depuis qu’elle a décidé de ne plus aller dans la salle commune. Le spectacle éprouvant d’hommes et de femmes dévastés au physique et au mental la déprimait. Quand seule à présent, au travers de sa baie, large et haute, donnant sur une grande cour intérieure, elle peut voir les aides soignantes s’installer sous une tonnelle et prendre quelques minutes de repos. Elle me fait remarquer aussi que de nouvelles fleurs ont été plantées dans deux grandes jardinières. Et puis elle a devant elle un grand pan de ciel. Il est bleu et un peu nuageux aujourd’hui. Je lui montre le mouvement des nuages et le vol des martinets. On s’amuse d’une libellule qui voudrait briser la vitre. Le temps passe ainsi, lourd de ces petits riens. Elle me dit que j’ai du travail et des petits et arrières petits enfants à m’occuper. Qu’il est temps de partir. Elle se lève et m’accompagne jusque sur le pas de la porte. Je la quitte sur une dernière caresse dans ses cheveux. Puis un long couloir et d’autres chambres, d’autres portes ouvertes ; des corps tordus, des cris, des gémissements… La sortie, enfin ! Quinze minutes plus tard, je me suis arrêté devant la gare de Lézignan. J’ai fait monter dans mon véhicule un jeune homme tout habillé de noir qui faisait du « stop. ». À mon côté désormais , je voyais distinctement son visage. Défait. Il pleurait. En silence et sans larmes. Il venait de quitter sa compagne et sa fille de trois ans. « C’était infernal… Une guerre permanente. Des cris… et la petite au milieu… On s’était séparé l’an dernier… Mais on pensait qu’on pouvait tenter de revivre ensemble… J’ai tout abandonné pour elles, ma maison, mon boulot, à Béziers » Je lui ai alors raconté des histoires comme la sienne, mais des histoires qui ne finissent pas toujours dans la violence et la peur ; et lui ai dit aussi qu’à 24 ans rien n’était jamais acquis, surtout pas le désespoir. Je l’ai déposé devant la gare de Narbonne. C’était son souhait. Romain, il s’appelait. Il était né dans le 93 et, avec sa « copine », avaient un jour pris la route pour le midi et le soleil. Je ne reverrai jamais ce jeune homme. Mais comment l’oublier ! Comment oublier ce visage, cette voix ; ces longues cicatrices à son poignet ; son lourd sac noir à son épaule ; son « Merci, Monsieur !… »

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Commentaires (3)

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    Jacques Molénat

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    Sensibilité, humanité, bravo pour ce texte.

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    Martine Réunion

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    Bonsoir Michel,
    vous parlez de votre Maman avec tant de tendresse ……Maman non plus n’aime pas aller dans les salles communes…..elle préfère la tranquillité de sa chambre…..
    Que de peine ressentie pour ce jeune homme, si jeune et déjà tant malmené par la Vie…..mais il a eu la chance de vous rencontrer, d’entendre les mots qui lui auront mis du baume au coeur, redonné l’espoir…..je le souhaite sincèrement.

    Bonne soirée…….
    Communes

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    Jean Pierre

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    Sacrée Journée…..

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