La caverne de Platon racontée à ma petite fille…

 

 

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A   Elisa aimée, afin qu’elle ouvre toutes grandes les fenêtres et laisse entrer la lumière.

 

Je voudrais te raconter une histoire vieille de 2400 ans.

Celui qui l’a écrite était ce que l’on appelle un philosophe (philosophe cela veut dire « qui aime la sagesse ») et, tu vois, si je tiens beaucoup à te la raconter c’est que, bien que très, très ancienne, elle est de tous les temps…Les choses vraies qu’elle exprimait a cette époque sont tout aussi vraies aujourd’hui et les leçons que l’on peut en retenir pour  enrichir sa vie en sont aussi précieuses aujourd’hui qu’autrefois… Parce que la philosophie, tu vois, se moque des modes, des tendances… Les sociétés évoluent, le monde change, les hommes sont, certes, de plus en plus savants, ils pensent de plus en plus dominer leur destinée…Tu en rencontreras beaucoup, pleins d’assurance, d’autorité paraissant pleins de certitude sur tout et surtout sur eux-mêmes, mais en réalité, ils sont faibles, ils ont peur… Parce qu’ils ne peuvent pas répondre aux seules questions véritablement importantes auxquelles personne encore n’a jamais répondu… Qui suis-je et pourquoi suis-je ici…?

Tu l’a déjà compris, les hommes ont évidemment besoin de nourriture pour vivre et aussi d’amour et de tendresse mais il y a surtout autre chose dont ils ont tous besoin (même s’ils en parlent peu), c’est de savoir qui ils sont et pourquoi ils vivent.

Les philosophes sont des gens qui essaient de répondre a ces questions… La plupart  (les plus sérieux) savent qu’ils n’y arriveront pas. L’un d’entre eux, qui s’appelait Socrate et qui était le maitre de Platon, l’auteur de l’histoire que je vais te raconter, l’avait même énoncé en disant… « Je sais seulement que je ne sais rien »…

Cela parait bizarre de dire ça, hein ?…Alors que l’on sait bien qu’il connaissait des tas de choses…Et pourtant, en réfléchissant bien, tu vas t’apercevoir qu’en disant cela, il disait l’essentiel de ce que l’on doit savoir…Que l’on ne sait rien, même si on se croit très savant, parce que, pour un problème qu’on arrive a résoudre  dix autres viennent tout de suite se poser auxquelles on n’a pas de solution. Mais que cependant, il faut toujours chercher parce que, devant ce monde qui nous parait tellement incompréhensible, la seule dignité qui nous est offerte, c’est de chercher quand même à comprendre.

On t’a donné à ta naissance un merveilleux outil, ton esprit…Tu dois t’en servir, c’est un devoir, sinon ce serait du gaspillage, comme un beau jouet qu’on t’aurait offert et que tu laisserais dans un coin sans jamais t’en servir.

Depuis le début des temps, les hommes vivent dans une sorte d’obscurité et d’ignorance…Un grand poète Anglais qui s’appelait Shakespeare a écrit que «  leur vie était une histoire pleine de bruit et de fureur racontée par un idiot et qui n’avait aucun sens ».

Et c’est vrai que souvent, tu le verras, nous avons un peu l’impression d’être comme des petits esquifs ballotés par la tempête sur une mer démontée. Il nous faut une lumière pour nous guider et pouvoir accoster dans un port et cette lumière, tu pourras, si tu le veux et si tu sais exercer ta pensée, l’apercevoir chez les philosophes, les poètes, les artistes, chez tous ceux qui se font une autre idée de la vie que celle des bovins que tu vois dans les prés ruminer leur brin d’herbe avec le regard vide de l’autosatisfaction.

Et, tu vois, parmi tous ces gens qui te rendent fière d’être leur semblable et que tu vas découvrir peu à peu (et tu vas voir le bonheur que c’est) Platon est un des plus grands… Il est le plus illustre représentant, avec Aristote son élève, de la civilisation la plus étonnante, la plus brillante, la plus géniale que l’humanité ait jamais connue… La civilisation Grecque.

Cela va peut être t’étonner mais depuis ce temps là, on n’a rien trouvé de réellement nouveau qui touche a la condition humaine et, malheureusement dans beaucoup de domaines on a même fait machine arrière (surtout depuis que les religions on été inventées)

Raison de plus, donc, pour aller s’y ressourcer.

Mais, j’y arrive enfin, voilà l’histoire que je voulais te raconter.

Imagine donc une caverne creusée dans la montagne et des hommes (ou des femmes, comme tu veux, c’est pareil)…Ces hommes (ou femmes) sont assis devant une paroi, le dos tourné a la lumière qui émane d’un grand feu derrière eux. Ils sont là, cou enchainé, pieds et poings entravés et ils ne peuvent voir que ce mur devant eux…Derrière, derrière le feu, évoluent des formes, des objets, on ne sait pas trop qui projettent leur ombre vacillante sur le mur de la caverne…La seule chose qu’ils peuvent donc voir c’est ce théâtre d’ombres mouvantes et, comme ils n’ont pas bougé de là depuis qu’ils sont nés, ils pensent , bien entendu, que ces ombres sont la seule réalité au monde (un peu comme, si tu regardais la télé du matin au soir, tu penserais que le monde est seulement ce que tu y vois )

Alors, la première chose que l’on peut se dire à ce stade du récit, tu vois, c’est que nous comprenons le monde comme nous le percevons et que peut être, nos sens (la vue, l’ouïe, l’odorat etc.) ne nous donnent qu’un reflet déformé de la réalité et que peut être, après tout, il pourrait exister toute une échelle de perceptions…Hein ?

C’est déjà une première question très importante de la philosophie, mais on ne va pas l’explorer maintenant, cela serait encore un peu compliqué pour toi.

Maintenant, imagine que, on ne sait trop comment, un des habitants de la caverne parvienne à se libérer… D’abord la tête, ensuite les mains, puis les pieds… Pouvant enfin regarder derrière lui, il va d’abord se demander d’où proviennent ces ombres projetées sur le mur et il va voir le feu…Bien sur, il va être ébloui, il aura un peu peur aussi de ces formes dont, jusque là, il n’avait vu que des ombres.

Supposons toujours que, dominant sa crainte, il réussisse à franchir le feu  et a sortir a l’air libre…Il va être encore toujours plus ébloui, cela faisait si longtemps qu’il vivait dans l’ombre ! Alors, tout en se frottant les yeux, il va être frappé par la beauté de tout ce qui l’entoure, il va distinguer pour la première fois des formes et des couleurs aux contours nets et précis, il va comprendre qu’il est dans un monde dont l’ombre, dans la caverne, n’était qu’une pale copie et surtout, il va voir le soleil, dispensateur de lumière, qui permet la vie et la contemplation de tout ce qui existe alors que le feu, dans la caverne, ne permettait d’apercevoir que l’ombre de cette rayonnante réalité…

Maintenant arrêtons nous un instant, veux tu, et voyons un peu ce que cela veut dire…

D’abord, que l’on n’est prisonnier de l’ombre que si on le veut bien ; notre condition n’est ni désespérée ni figée, on peut toujours se libérer a condition de le vouloir…

Mais se libérer de quoi, vas-tu me dire, hein … ?

Eh bien, des idées toutes faites (tu sais, celles que l’on répète par habitude sans trop y réfléchir), de la paresse intellectuelle quand on se contente de penser ce que pense le plus grand nombre, de la torpeur abêtissante, de l’engourdissement de l’esprit.

Subitement, on fait basculer les certitudes, on s’éveille et surtout, on prend conscience que tout ce que l’on prenait pour la réalité n’était peut être qu’une illusion dansante sur un mur…On est seul, on a quitté les autres là bas, en bas, mais on est libre enfin, et on respire…

Mais revenons en à notre aventurier, il n’en est encore qu’aux balbutiements… Certes, il est debout, il a fait quelques pas (en titubant un peu) mais il n’a fait qu’apercevoir le chemin et il est seul pour prendre cette route… Il a encore plein d’ombres dans le regard et pour voir bien comme il faut, il faut, justement se libérer des opinions, des préjugés, de la facilité…Il a un peu peur, c’est normal, il ne sait pas avec certitude ce qu’il y a au bout de ce parcours. Il est tenté de revenir en bas, avec les autres, après tout, c’est vrai que c’était sécurisant, qu’on était bien tranquille !

Il voit maintenant que deux choix existent, celui de l’ombre et celui de la lumière…Il sait aussi qu’il est libre de son choix…Parce que, d’abord et avant tout, et ce sera une autre des grandes questions de la philosophie, on est fondamentalement libre de devenir ou pas ce que nous sommes, l’homme est ce qu’il se fait (ça c’est un autre grand philosophe plus récent, qui s’appelait jean Paul Sartre, qui l’a dit).

Mais c’est vrai, également, que cette lumière si nouvelle et si crue peut faire mal aux yeux, c’est vrai aussi que de connaitre désormais ces choses rend notre homme plus solitaire ; et il a évidemment besoin des autres, ces ex compagnons d’esclavage qui sont restés en bas… Bien sur, il a compris que tout ce a quoi il croyait précédemment n’était qu’une illusion… Mais tellement sécurisante et, qu’au moins il pouvait la partager avec ses compagnons d’infortune.

La tentation est grande de tout abandonner, de redescendre… C’est difficile et il faut du temps pour s’habituer a la lumière… Mais il domine sa faiblesse et, bravement, il emprunte le chemin abrupt et là, tu vois, plus il monte plus il se sent bien, il découvre de nouveaux et splendides territoires dont il n’imaginait pas qu’ils puissent exister, il jouit avec délectation de sa liberté reconquise, il est dès lors immensément, formidablement heureux…

Puis soudain, il se met à penser aux autres demeurés là bas et il veut leur faire partager son bonheur.

Donc, empli de bonnes intentions, il redescend et essaie de les convaincre que ces ombres qu’il regardent sur le mur ne sont que les reflets pales et vacillants d’une autre réalité éblouissante de beauté que lui, désormais, connait… Mais personne ne le croit, ils le prennent même pour un fou, ils montrent le mur du doigt et les ombres qui s’y meuvent, en affirmant que cela est la seule chose vraie au monde, que le reste n’est qu’une chimère de malade et, devant son insistance, ne supportant plus qu’il perturbe ainsi leurs certitudes, eh bien, ils le tuent… Carrément.

Là, tu vois, Platon pense sans doute a son maître Socrate que les Athéniens (la ville ou il vivait s’appelait Athènes, en Grèce) ont obligé a se suicider en avalant un poison, la cigüe, parce qu’ils ne pouvaient plus supporter de l’entendre sans cesse leur rappeler des choses qui les dérangeaient… Tu le verras, l’histoire des hommes est pleine de gens qui voulaient porter a leurs semblables une vérité de lumière et que ceux-ci ont préféré tuer parce qu’ils ne pouvaient pas supporter d’entendre cette vérité (Jésus Christ, entre autres, est l’un d’entre eux)

Alors, tu vas peut être me dire, tout cela est un peu triste et un peu décourageant, non…?

Tu sais, tu dois comprendre que cela n’est qu’une allégorie, une parabole…C’est-à-dire un court récit imagé destiné à te faire comprendre certaines choses très compliquées de la façon la plus simple.

Ce qu’il faut comprendre dans tout ceci c’est d’abord et avant tout deux choses :

La première c’est qu’il faut s’affranchir des préjugés pour gagner sa propre liberté, et cette démarche est d’abord solitaire, elle demande donc beaucoup de courage…

La seconde est que l’on doit partager, quel qu’en soit le prix, cette connaissance et cet acquis avec ses semblables parce que l’on n’est jamais seul… Un grand poète Anglais John Donne a écrit « nul n’est une île », nous sommes toujours rattachés aux autres, nos semblables, nos frères. Que nous le voulions ou pas.

Donc, pas d’égoïsme, pas de nombrilisme, on ne vit jamais seul, il n’est de progrès pour l’homme que collectif… Mais pas d’illusions non plus, tout le monde n’avance pas au même rythme et beaucoup  préfèrent même ne pas bouger du tout… C’est leur choix, tant pis pour eux, mais tu ne dois ni les mépriser ni les ignorer, ils sont tes semblables…

Et puis, il faut en avoir conscience, et c’est une autre leçon, celui qui revient de la lumière vers l’obscurité s’expose a une autre forme d’aveuglement, se retrouver maladroit, décalé devant la vie au quotidien avec toutes les obligations que cela comporte… On peut aussi, s’il oublie d’adopter une bonne attitude de gentillesse et de simplicité lui reprocher cette lucidité que l’on prendra pour de la prétention ou de l’orgueil mal placé…

Mais cependant il est nécessaire de ne rien garder pour soi et si tu as pu acquérir un peu plus de sagesse et de compréhension que les autres en faire offrande a ceux qui sont restés dans la nuit…même si ceux-ci n’en veulent pas.

Vois tu, la vraie sagesse doit conduire a l’humilité… Si tu penses pouvoir tirer gloire des quelques bribes de connaissance que tu as pu acquérir c’est que tu n’as rien compris…Et tu peux tout recommencer !

Rappelle toi de Socrate « Je sais seulement que je ne sais rien » …Et, même si tu as vu (ou cru voir) le soleil, n’oublie pas que tu ne sais toujours pas par quel miracle il est là, ni pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien,  ni même ce que veut dire ta présence en ce monde… Si ce n’est pour que l’on puisse t’aimer, moi le premier.

Voilà, mon petit bouchon, J’arrive à la fin de ce que je voulais te dire aujourd’hui…

Je voudrais te demander de réfléchir a cette merveilleuse phrase d’un grand sage Africain qui s’appelait Amadou Hampaté Ba…

« Tout ce que tu as gardé pour toi est perdu a jamais,

Tout ce que tu as donné est a toi, pour toujours »

Et puis, essaie de toujours te rappeler de ce que te dis Platon a travers cette histoire…

Il faut essayer de vivre autant qu’il est possible dans la vérité, même si c’est difficile… et la vérité, sa vérité, c’est de se reconnaitre comme l’on est, sans déguisement, sans mensonges, sans illusions ou tromperies…Il faut essayer d’appliquer dans sa vie les valeurs ou les principes que l’on a pu comprendre.

La philosophie se juge dans la vie du philosophe. La vérité des livres est certes précieuse mais stérile (et pourtant tu sais comme j’aime les livres !), elle n’est pleine et entière que lorsque on vit sa vie conformément a cette vérité.

Il nous faut toujours croire que nous sommes tous, nous les êtres humains, beaucoup plus que ce que la majorité se contente d’être par résignation ou par paresse.

Tu vas prendre ta canne et t’avancer d’un pas ferme sur le chemin de ta propre découverte… Ne t’arrête pas à la première difficulté… elle est longue et quelquefois rude la route qui conduit a soi même mais elle est si belle … !

Si je peux t’aider à parcourir ce merveilleux chemin de lumière que doit être toute vie, j’aurais fait et ce, pour mon plus immense bonheur, mon métier de grand père.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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