Archives de l’auteur

Mémoires d’hippocampes…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ve.2.11.2022
 
Lecture. Mémoires…
 
J’ai plongé, ces deux derniers jours, dans les profondeurs de nos cerveaux en compagnie de Lionel Naccache*. Une exploration passionnante. C’est ainsi que j’ai trouvé dans celles de nos lobes temporaux deux hippocampes – deux petites régions dont la forme épousent fidèlement celle du petit cheval de mer. Deux hippocampes donc où s’activent les neurones indispensables à la création de souvenirs conscients et nous orientent dans l’espace. Le plus extraordinaire est que cette mémoire des lieux sous-tend celle des scènes que nous avons vécues. Mieux, la nuit, quand nous sommes plongés dans les profondeurs du sommeil, nos GPS se rallument et se mettent à jouer en accéléré les trajectoires de la journée passée. Et des centaines de fois. Un « replay » nocturne qui nous permet de consolider les souvenirs des épisodes que nous avons vécus dans la journée. Au passage, Lionel Naccache nous rappelle que Cicéron déjà avait remarqué qu’une excellente façon d’apprendre par cœur une longue tirade consistait à imaginer une promenade dans un lieu familier (une maison, par exemple) et à déposer chaque fragment du texte en question à une étape de cette navigation mentale (de la cave au grenier…) Une méthode toujours en usage parait-il : « la méthode des palais de mémoire ». Il convient de noter aussi que cette découverte du rôle de nos « deux petits chevaux de mer », par John O’Keef et le couple Moser, a été récompensée par le prix Nobel 2014 et, chose étonnante (n’est-ce pas), Patrick Modiano, écrivain de la mémoire, s’il en est, a reçu celui de littérature la même année.
Enfin, il ne faudrait oublier que la mémoire ne se limite pas aux seuls épisodes de notre vie. Nous sommes en effet dotés d’une douzaine de systèmes de mémoire, chacun reposant sur un système cérébral différent. Enfin ! le plus important, peut-être, pour terminer. Il ne faut jamais oublier aussi que, quand on se souvient, on se souvient toujours au présent. On ne se souvient jamais de la même façon suivant le présent dans lequel on est. Il n’y a pas de souvenir objectif !
 
*Lionel Naccache et Karine Naccache : « Parlez-vous cerveau ? » Odile Jacob 2018
 
 
 

Qui aura la peau de Pablo Picasso ?

 
 
 
 
 
 
 
 
Me.30.11.2022
 
Qui aura la peau de Pablo ?
 
Après l’échec politique à l’Assemblée Nationale des tenants de l’abolition des corridas, abolition dont je disais, dans une récente chronique, quelle était inscrite dans l’évolution des mœurs et des idées de nos sociétés, je me demandais d’où pourrait bien venir la prochaine tentative qui relancerait, directement ou indirectement ce débat, et autour de quelle grande figure symbolique du XXᵉ siècle. Je pensais alors à Pablo Picasso. Son prestigieux statut dans l’histoire contemporaine de l’art, et son goût pour les « toros », omniprésent dans son œuvre, et la tauromachie, représentant, en effet, le type idéal d’une immense gloire hétérosexuelle, blanche, progressiste et « violente » à déconstruire, me disais-je. Aussi n’ai-je pas été surpris d’apprendre, en lisant le dernier supplément Magazine du Monde, que le musée national Picasso, à Paris, venait de lancer un séminaire, qui s’achèvera au printemps, « pour aborder frontalement les questions qui préoccupent le public sur son rapport (celui de Picasso) aux femmes et à la violence ». Un thème qui, évidemment, ne saurait faire l’impasse sur la « violence » de Pablo Picasso symbolisée dans, et part, toute sa production picturale taurine et mise en rapport avec tous les autres aspects de sa vie d’homme et d’amant. Une information qui montre, en passant, l’influence intellectuelle, morale et politique des professionnels (femmes et hommes) de l’industrie de la culture et des arts : mode, cinéma, journalisme, médias, etc, engagés majoritairement dans des stratégies féministes, écologiques, diversitaires et inclusives qui conduisent à des changements radicaux dans le champ culturel occidental. Cette dernière remarque, faut-il le préciser, n’est pas un jugement politique sur ces mouvements urbains et ultra-connectés, au langage mixé* à la « sauce » américaine. Certains thèmes et fins, d’ailleurs, suscitant mon intérêt.Un intérêt disons seulement sociologique sur ce monde qui vient. Pour le reste, celui que j’habite résiste encore à l’air du temps. Et j’entends bien y vivre et aimer longtemps.
 
*Ce matin, j’ai relevé dans le premier article de la Matinale du Monde un merveilleux « bromance » : contraction de brother et romance, et un banal partnership, notamment.
 
 
 
 
 
 

Moments de vie : Un homme seul à sa fenêtre…

 
 
Lu.28.11.2022
 
Moments de vie.
 
C’est la pluie qui m’a réveillé. Je me suis levé. La pendule murale de la cuisine affichait cinq heures. J’ai mis en marche la cafetière et attendu que ma dose « passe », debout devant une fenêtre. Toujours la même. La pluie tombait d’une manière régulière. Ni trop forte, ni trop faible. Une perfection de pluie. Personne dans les rues. Il était encore trop tôt pour leur nettoyage. Des flaques de lumière jaunasses brillaient sur les trottoirs et des arbres encore verts, agités par « un petit vent du Nord », quelques feuilles tombaient, elles aussi. Une fenêtre s’est allumée dans l’immeuble voisin. Derrière je savais un homme seul. Il attend chaque matin son infirmière. J’imaginais ses gestes, ses déplacements. Peut-être était-il assis dans son fauteuil, plongé dans de vagues et brumeuses pensées. Le jour, nous échangeons quelques mots sans importance. Il est âgé et fatigué. Il marche d’un pas lourd et s’arrête souvent à la terrasse d’un café voisin. Je l’ai quitté pour aller dans le salon prendre un livre dans ma bibliothèque. C’est une habitude. Je lis deux ou trois pages, prises au hasard, tout en buvant ma première tasse de café. « La femme et l’enfant attendaient dans la gare en cul-de-sac de la petite ville. Après l’entrée du train en gare, le père, un vieil homme avec des lunettes, fit des signes derrière une fenêtre. Il y a bien des années, il avait été un écrivain qui avait eu du succès, maintenant il envoyait aux journaux des doubles de petites esquisses et de petites histoires. En descendant il n’arriva pas à ouvrir la porte du wagon et la femme l’ouvrit de l’extérieur et l’aida à descendre sur le quai. Ils se considérèrent l’un l’autre et finalement furent contents. » Je me suis arrêté un long moment sur ce passage où il est étonnamment question de fenêtre, d’un vieil homme avec des lunettes, d’écriture. J’y ajoute des images d’une arrivée en gare au petit matin ; il fait nuit ; il pleut. Une pluie régulière. Ni trop forte ni trop faible… Lisant et le relisant ce texte, j’ai vite retrouvé le climat sombre de ce roman et le style de son auteur * ; et aussi son art de donner aux petits faits et gestes de la vie quotidienne une dimension tragique, universelle. Le temps de prendre une deuxième tasse de café, j’ai fini par ranger mon livre – ranger est excessif ! Comme d’habitude. La pluie, elle, indifférente, toujours tombait devant ma fenêtre…
 
*Peter Handke : « la femme gauchère ». Folio : page 76
 Illustration : « La fenêtre de mon atelier », vers 1940-1954 de Josef SUDEK – Courtesy Jeu de Paume © Photo Eric Simon
 
 
 
 
 
 

Moments de vie : « La magie de Noël » !

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sa.26.11.2022
 
La magie de Noël.
 
Un immense Père Noël en matière plastique a été installé avant-hier sur la place, à quelques mètres seulement de ma porte d’entrée. Immensément gros et bedonnant, il a le même air ahuri, stupide et las que ceux, animés, postés dans les halls des grands magasins, un enfant sur leurs cuisses, attendant d’être pris en photo par des parents tout excités. Il arrive parfois que certains de ces petits garçons ou petites filles, effrayés ou lucides, pleurent. Alors, on n’a qu’une envie : les consoler.
Ce matin, un touriste espagnol a grimpé sur l’immense Père Noël trônant sur ma place. Il s’est assis sur ses cuisses et a fait grossièrement le pitre. Ses amis l’ont encouragé de la voix, pendant qu’ils le filmaient avec leurs portables. Tous riaient. Grassement. Alors, je n’ai eu qu’une envie : partir !
 
 
 
 
 
 

Lettre à un ami sur la corrida.

 
 
 
Arènes de Béziers.
 
 
 
 
 
Ve.25.11.2022
 
Lettre à un ami.
 
Cher Paul !
 
Nous nous sommes souvent trouvés dans les mêmes arènes, et, déjà, je te soutenais que la corrida était une des dernières « traditions » dont nos enfants et petits enfants verraient un jour nécessairement la fin. Je ne vais pas développer ici tous les arguments (nous avons les mêmes), que nous pouvons opposer aux abolitionnistes. Ce serait inutile, tu en conviendras ! J’irai donc à l’essentiel. Et pour te dire, mais tu le sais aussi, que ce spectacle social et ritualisé de la mise à mort d’un animal sauvage (avec la « féria » qui lui est organiquement liée) est en totale opposition avec les « valeurs » de nos sociétés urbaines et métropolisées. Dans nos sociétés « modernes », en effet, la mort, qui fait peur et qu’on ne veut ni voir ni entendre, est rejetée à leurs périphéries : l’anonymat et le secret des hôpitaux et des maisons de retraites, pour les humains, des abattoirs, notamment, pour les animaux. En cela, évidemment, exiger l’abolition des corridas est d’une grande hypocrisie. Sauf à interdire en même temps toute forme d’abattage animalier pour la consommation humaine, ce qui, comme tu le sais, serait aussi « bon pour le climat », nous disent « Animalistes » et « Verts, surtout. Le certain, par contre, est que ce genre de spectacle, était commun et accepté dans des sociétés essentiellement rurales où la mise à mort quotidienne des animaux de fermes n’était point cachée et celle des proches humains socialement ritualisée au-delà de la seule famille. À l’évidence, il ne l’est aujourd’hui. (Les avancées scientifiques sur la « sensibilité » animale venant en outre à l’appui de cette demande sociale et culturelle). Nous sommes (hélas !) , mon cher Paul, les derniers amateurs d’une tradition (un substantif ambigu que je ne prise guère) d’un « vieux monde » qui, sous les coups d’insistantes injonctions politiques et culturelles, laisse petit à petit la place à celui dans lequel j’ai, je te l’avoue, beaucoup de mal à trouver la mienne.
 
Abrazos !
 
Michel.
 
 
 

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