De vrais jeunes petits bourgeois, déguisés en faux « révolutionnaires », ont invectivé Emmanuel Macron en le traitant de « social traître », nous apprend le journal Le Monde. Certains, ont même occupé La Sorbonne, croyant prendre ainsi l’Élysée, comme les bolchéviques en 1917 le Palais d’hiver. L’Infâme, l’inculture et le ridicule réunis ! À ces jeunes imbéciles, le « vieux » que je suis, se permet de leur rappeler que « social-traître », était l’injure politique suprême des staliniens pur-jus dans les années 30-40. Pour eux, les socialistes réformistes et les fascistes étaient à mettre dans le même sac. Avec cependant un sens de la hiérarchie assumé : l’ennemi principal étaient les réformistes et les démocrates. Comme aujourd’hui, pour ces jeunes gens au cerveau reptilien, Emmanuel Macron. J’avais été tenté de ne rien dire de ce micro évènement. Mais comme autour de moi, je lis ou entend, sur un mode aussi violent, parfois plus léger, voire badin, quand ce n’est pas, chez des « intellectuels » prétendument de gauche, avec des sophismes éculés pour faire illusion, la même équivalence politique posée entre l’extrême-droite de Madame Le Pen et le Président sortant, il m’était impossible de rester muet. Il fallait que « ça sorte » ! Depuis, je me sens mieux. Plus léger. Joyeuses Pâques !
Le 18 mars 2022, j’écrivais ceci : « Ce n’est un secret pour personne : Carole Delga veut prendre la direction du PS après la présidentielle et les législatives qui suivront. Prendre est d’ailleurs un bien grand mot tant la séquence électorale à venir devrait être la pire jamais subie par ce parti depuis sa naissance à Épinay-sur-Seine. Disons alors cueillir ce qu’il en restera. Il lui faut donc, après avoir conservé la Région, sans LFI et EELV, en 2021, doper son image dans sa stratégie de prise de contrôle de la direction du PS en présentant aux militants et cadres du parti un bon bilan électoral à la présidentielle et aux législatives. »
On fait parfois de belles rencontres sur les réseaux sociaux. Celle de Denis, sur Facebook, en est une. Il y a quelque temps déjà, je ne sais plus à quel propos, je lui avais dit que j’avais tout lu de Patrick Modiano. Fidèle lecteur lui aussi de cet auteur, il m’avait demandé si je connaissais Didier Blonde – je comprends à présent pourquoi. Je lui répondis que j’ignorais tout de lui. Mais l’attention portée à cet écrivain par Denis avait éveillé ma curiosité.
Mercredi, 10h34 ! Dans la salle de la médiathèque réservée aux lecteurs de journaux, magazines et revues, était un seul homme assis dans un large fauteuil rouge. Avant que je ne m’installe à mon tour sur un des nombreux autres sièges vacants, mais à bonne distance cependant, tant son regard et son attitude me semblaient étranges, j’ai eu droit à un retentissant : « Bonjour Monsieur ! ». Un salut dont l’écho a dû s’entendre jusque dans les étages et réveiller quelques personnes assoupies ou rêvassant devant leurs écrans d’ordinateurs portables, habituées qu’elles sont au climat soyeux, ondoyant et permanent qui, comme à confesse, tempère les « murs » de ce « temple » provincial de la culture. J’observais donc mon bonhomme, intrigué et surpris par sa véhémente apostrophe. Massif, correctement et « bourgeoisement » vêtu ; les cheveux ras, joufflu et imberbe ; le regard fixe, les yeux mouillés et brumeux, seules ses lèvres, épaisses et nerveuses bougeaient. Aucun son n’en sortait.
Deux, trois minutes passèrent ainsi, quand, soudain, et d’un jet, de sa voix de chantre robuste et grasse, il s’est mis à déclamer : « J’ai jamais vécu dans l’amour. Ça m’intéresse pas… Je viens de Lyon et de Barcelone… Je suis pas allemand. » Puis, après une brève pause, toujours plus haut dans le verbe : « Elle était amoureuse de moi… Elle faisait des baisers… Rentrer en France, c’était terrible… Vive l’Espagne. ».
À ce moment « géographique » de ses divagations, il tourna sa tête dans ma direction et me lança, des flammes dans les yeux : « Je vous aime. Je vous emmerde. C’est sûr, je vais mourir… Ta cousine elle est fasciste. Et viva españa, viva… » Il n’en fallait pas plus pour qu’un agent de service s’approche à « pas de mouches » pour lui demander, à mi voix, de parler « beaucoup moins fort » ; de ne pas déranger. « Ta gueule. Je vous aime. J’en ai rien à foutre… », lui fut-il illico répondu.
Cinq minutes plus tard, le même agent revenait ; il insistait, priait l’importun de se taire. « Je suis un monstre… Aimer c’est difficile. Moi, j’ai peur… »… Un vigile à son tour intervint : « Venez avec nous ! ». L’homme obstinément refusa de le suivre. Il s’enfonça plus encore dans son fauteuil. Une jeune femme vint enfin à son encontre. Je n’entendis pas leurs paroles, mais il finit par se lever. Je les ai regardés s’éloigner, côte à côte. Ils marchaient sans se presser. Avant de les perdre de vue, cet homme sans identité s’est retourné. Immobile, il semblait m’examiner. « Les femmes… des monstres… », furent ses derniers mots…
Une fois dehors, sur le parvis de la médiathèque, il s’est collé contre le mur de verre qui nous séparait. Il m’a adressé un dernier salut. Muet ! Un vague signe de sa main accompagnait le mouvement de ses lèvres.
Depuis, je pense à cette scène. Elle me semble, sans que je puisse en comprendre vraiment le sens, très emblématique de ce moment de notre histoire présente ; de sa violence, de l’extrême confusion des esprits et des délires individuels et collectifs qu’elle suscite, provoque… Et comme s’il fallait que l’information du jour rapportée par la feuille locale s’accorde à ces impressions d’un affaissement de notre collective raison, j’apprends que « Marine Le Pen a fait une halte ce matin, en fin de matinée, à Narbonne où elle a notamment visité ses Halles.
« Si j’ai choisi de t’écrire Pierre, c’est que j’ai préféré m’adresser à toi plutôt que de parler de toi. Il m’a semblé ainsi réduire, effacer même par instants, la distance qui sépare la vie de la mort. » Ce Pierre, à qui s’adresse Robert Bober dans sa longue lettre-récit, « Par instants, la vie n’est pas sûre » *, c’est Pierre Dumayet, son ami de trente ans. Pierre Dumayet, l’homme de Cinq Colonnes à la une qui, avec l’équipe de Lectures pour tous, fit lire la France entière et avec qui Bober, devenu réalisateur à la télévision, collabora. Cette lettre-récit, c’est l’histoire de cette rencontre et de leur amitié, de leur relation professionnelle, aussi. Et quelle œuvre commune ! Cinquante émissions, Lire et écrire, Lire et relire, des documentaires sur les correspondances, Flaubert, Van Gogh…, des rencontres avec Duras, Tardieu, Handke, Alechinski…, dont Pierre Dumayet écrivait les textes quand Robert Bober devait trouver les images.
Dans ce livre, on croise Erri de Luca et Jean-Claude Grunberg, Sami Frey et André Schwarz-Bart, Max Ophuls et Truffaut, Celan et Reverdy, Lustiger et Martin Buber, le peintre Serge Lask et le photographe Walker Evans. On plonge aussi dans les récits hassidiques et on y parle le yiddish ; on accompagne Bober dans son enfance d’apprenti tailleur, celle de sa famille et de ses amis ; on l’écoute, on l’entend : « Lorsque je relis ce corps de phrase : « … le travail et la vie, dont “il” leur communique le secret tout autant par l’exemple involontaire que par la leçon délibérée », « il », ce fut le vieil horloger russe qui m’a laissé le regarder travailler et fait écouter le tic-tac des montres anciennes sorties de ses mains […] ce furent tous ceux qui à travers le temps ont tracé les chemins qui m’ont conduit jusqu’aux feuilles blanches sur lesquelles je t’écris […], ceux dont parfois j’ai répété les mots et grâce à qui j’ai pu voir jusqu’à l’enfance. » (Page 441)
Si je vous parle de Robert Bober et de sa lettre-récit, c’est parce que cette après-midi, je suis allé me balader entre Bages et Peyriac de Mer. Bages où Pierre Dumayet a vécu les dernières années de sa vie et qui « habite » désormais son joli petit cimetière. Il me plaît de rappeler, et de le faire savoir aussi à ceux qui l’ignorent encore, que son « esprit », celui que nous fait revivre Robert Bober dans son admirable récit, repose dans un des plus beaux paysages de lagunes et de garrigues de notre région. Cette après-midi, donc, vous dis-je, il faisait un temps vraiment merveilleux. Le ciel était bleu et l’air très doux ; un faible vent du Nord faisait trembler les étangs. Sur leurs eaux, des flamants roses, immobiles, semblaient à leur écoute…
Ah ! J’oubliais ! Avant d’entreprendre cette balade souvenir entre Bages et Peyrac, je me suis arrêté à la « cave à vin, cave à manger » de Lionel Giraud, à Narbonne. J’ai choisi son menu. Un menu parfaitement composé avec des plats tout en saveur et finesse. Sur la table, mon habituelle bouteille du Mas Bau, « Loulou » : le printemps dans chaque gorgée… Et puiqu’il me faut bien terminer ce billet, cette dernière phrase enfin de Bober : « Le partage des sens ne résiste pas à l’examen, le regard sait aussi écouter et le visible se fait entendre »
*Une phrase que Bober a trouvée dans « La Nonchalance », un des courts romans que Dumayet a publié aux éditions Verdier (Lagrasse). On trouve ceux de Robert Bober chez P.O.L.