Carnet : Choses lues et entendues…

C’est désespérant : tout lire, et ne rien retenir ! Car on ne retient rien. On a beau faire effort : tout échappe. Çà et là, quelques lambeaux demeurent, encore fragiles, comme ces flocons de fumée indiquant qu’un train a passé. (Jules Renard, dans son Journal).

280 000 personnes, puis 166 000, 136 000 dans les rues marchant, gueulant, cassant, flinguant derrière la banderole d’une intersyndicale ou de LFI, c’est banal, et les commentateurs zappent. Mais vêtues d’un gilet jaune, c’est le peuple, et les mêmes buzzent. Seraient-ils 100 à zader 10 ronds points, ce peuple toujours, Tood, Piketti, Onfray et Alain de Benoist, bouches d’or, en chanteraient les beautés.

Ce matin, au marché de plein air de Bourg, s’adressant à une dame, un marchand de fruits et légumes au traits disons « orientaux », lui demande : « Et avec ça, ma nine ? ». Qui peut encore douter de la puissance assimilatrice de notre langue ?

Ai  terminé, hier soir, « Visite à Godenhom » de Ernst Jünger. Synopsis : dans un pays nordique austère et gris, plongé dans un crépuscule perpétuel hanté par le vent et les oiseaux de mer, une barque emporte 3 jeunes gens, en quête de vérité, vers l’île de Godenholm où vit Schwarzenberg, un vieux sage reclus. Éblouissant ! Voici ce qu’en disait Robert Kanters, dans Le Figaro littéraire :  « Le court récit de M. Ernst Jünger est une oeuvre proprement admirable. Rarement la beauté plastique d’un texte apparaît avec autant d’évidence comme le rayonnement de sa vérité profonde. Par-delà le brouillard de tristesse et de désespoir que nous laissons parfois monter dans notre âme de la sottise et de la méchanceté des hommes et de notre propre orgueil, nous rapportons de cette Visite à Godenholm l’assurance que le soleil intelligible existe pour notre réconfort et notre joie. On n’a pas très souvent l’occasion de parler ainsi d’un livre. Le reste n’est que littérature, et même cabotinage.» (Robert Kanters, Le Figaro littéraire). Pas mieux ! Extraits :

 

La richesse et la puissance, avec toutes leurs images, ne semblaient être que les intérêts, le profit terrestre issus d’un capital invisible. Celui-ci ne s’épuisait jamais, et recommençait à ruisseler comme une source, en tous lieux où survenaient leurs princes, leurs poètes et leurs découvreurs.

Il y avait toujours une conscience, une sapience supérieure à la contrainte de l’Histoire.

Son tourment, l’inquiétude qui l’agitait consistaient en une quête incessante de choses qu’il ne possédait pas. Comme il ne les avait non plus jamais possédées, ces aspirations n’avaient rien de romantique. C’était un malaise, un sentiment confus des pertes imposées par le temps, qui l’agitait. Il ressemblait à la mouche prisonnière de la bouteille, lorsqu’il tournoyait ainsi le long du mur invisible qui le retenait captif. Bien qu’il ne le discernât pas, il ne souffrait que plus profondément de cette limite inexplicable dans l’espace de la liberté. Comme nombre de ses contemporains, et même presque tous, Moltner était écrasé par un sentiment de privation.

« Vous tenterez toujours de vous dérober derrière des mots, quand la situation devient sérieuse : d’où vos souffrances. »

 

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