12 h 15 ! C’est l’heure où les collégiens du centre-ville prennent d’assaut les bancs publics de la promenade des Barques et le petit mur du déambulatoire qui la sépare du canal de la Robine situé en contrebas. Par petits groupes, ils y déjeunent d’une salade, d’un paquet de biscuits ou d’un sandwich. Les filles montrent encore leurs épaules et leurs tailles nues ; les garçons, plus couverts, feignent le détachement et tournent autour bruyamment. Une heure ou deux d’insouciance, de confidences et de rires. De pleurs aussi, comme ces larmes de cette jolie petite brune assise sur un banc voisin du mien. Serrée contre son amie, qui l’écoute en silence, elle lui confie, à voix basse, son chagrin ; tandis que des passants passent devant nous, indifférents. Qu’importe ! Le monde, son agitation, ses remuements, ses guerres, n’existe plus pour elles deux en cet instant. Un halo de tristesse et de tendresse les entoure. Elles brillent. Et je les trouve belles. Je sais que ce moment ne durera pas, que l’obligation de rejoindre leurs classes dans quelques minutes s’imposera ; que reprendra le cours normal des choses et des apparences. Elles s’en iront alors avec leur secret, ce fil ténu et fragile que l’on nomme amour ou amitié…
J’ai ouvert avant-hier le « Pays où l’on n’arrive jamais * » d’André Dhôtel. Publié en 1955, il est considéré comme un classique de la littérature enfantine. Dans une langue souple et claire, accessible même aux plus jeunes, c’est le récit d’une épopée enfantine qui mêle avec un rare bonheur la tendresse et l’insolite pour révéler un « ailleurs » toujours au bout de la route. Pour Dhôtel, le voyage, la vie errante et vagabonde sont la clef du merveilleux toujours présent dans la vie quotidienne. Ainsi celle de Gaspard, fils de forains bohèmes, élevé à l’abri de toute excentricité parune tante aubergiste. Dans sa vie morne, des événements extraordinaires se produisent parfois. Un jour, un gamin en fuite fait irruption dans sa vie : Gaspard essaye de l’aider, mais l’enfant est repris. C’est alors « un cheval pie traversé par la foudre » qui emporte Gaspard vers des êtres originaux, vivant de façon plus ou moins marginale. Sans le vouloir vraiment, il suit les traces du jeune fugueur qu’il finit par retrouver. Il découvre alors qu’il s’agit d’une fille, Hélène, à la recherche de sa mère disparue, et de ce qu’elle appelle le grand pays ». Gaspard fera sienne la quête d’Hélène. La suite et la fin, je ne vous la dirai pas. Mais ce que je puis vous assurer, c’est que ce livre est un bonheur de lecture, une leçon d’espoir et de courage qui résume bien l’ensemble de l’œuvre de cet écrivain aujourd’hui bien oublié. Simple et d’une profondeur stupéfiante, on se laisse doucement emporter par l’incontestable beauté de ce roman. Une véritable bouffée d’air frais dans un monde tendu et violent. Un classique de la littérature pour tous !
* Ce livre a été couronné en 1955 par le prix Femina.
Hier, sur le fil de ma page Facebook, j’ai réagi à l’attribution du Nobel de littérature à Annie Ernaux en faisant observer que sa valeur devait être jugée à l’aune du constant rejet, par les mêmes jurés de ce prestigieux prix, d’un Milan Kundera, notamment — pour rester dans la catégorie d’auteurs s’exprimant dans notre langue. Un point de vue sur l’œuvre d’Annie Ernaux qui, sans pour autant la négliger, la remet, dans mon panthéon littéraire, en tout cas, à sa juste place : celle d’un auteur mineur à l’écriture sèche, minimaliste et triste – c’est le souvenir que j’en garde pour l’avoir lu il y a déjà longtemps – dont la souffrance d’avoir souffert et de souffrir encore de toujours souffrir, constituent le seul thème de ses récits. « Venger sa race », selon ses propres termes, en constituant le ressort psychologique, intellectuel, moral et politique, ce qui, après tout, aujourd’hui, est assez banal chez ceux qui font profession d’écrire avec la « vengeance » au bout du stylo ! Cela dit, Annie Ernaux s’est aussi abondamment exposée dans l’arène politicienne jusqu’à prendre des positions d’une violence extrême-gauchiste inouïe – comme d’autres dans le passé ! Mais doit-elle pour autant subir sur les réseaux sociaux des flots d’injures pour tout jugement littéraire ? Évidemment non ! Tout juste démontre-elle, ce faisant, que les écrivains, sauf exception, sont des crétins manipulables comme les autres. Finalement, le couronnement d’Annie Ernaux par les jurés du Nobel m’aura au moins appris une chose : que son œuvre, selon eux, avait « rendu de grands services à l’humanité ». Ce que, jusqu’ici, je le confesse, j’ignorais.
Dimanche après-midi à la plage. L’air était chaud, qu’un léger vent du « Nord » adoucissait, et l’eau délicieusement fraîche. La mer tout à soi ! Pour soi ! Au loin, le rocher d’Agde, le Mont Saint Clair et les Albères. Un ciel ouaté, bleu pâle, leur donnait des teintes fondues, veloutées. Allongé sur le sable, je me laissais vider par le temps. Le monde alors s’entend comme la sempiternelle rumeur des vagues. Soudain des cris et des chiens qui aboient. Une jeune femme en tenue de ville les relance. Ils courent après une balle, se disputent. Le plus fort la ramène à ses pieds en remuant la queue. Et le monde s’entend et s’épuise comme dans un épouvantable manège…
Errer, c’est « aller d’un côté et de l’autre sans but ni direction précise ». Une définition à laquelle j’ajouterais quelques mots. Car errer, en effet, implique l’idée d’être seul et de s’en aller à pied. C’est en tout cas dans cet état d’esprit, que ce matin encore, j’ai quitté mon appartement sur le coup des 10 heures. Et ce sont mes premiers pas qui, finalement, m’ont entraîné sur les berges de la Robine. Rien donc de réfléchi ou de rationnel dans ce choix, mais la seule obéissance à l’automatisme de gestes guidés par le hasard ou l’inconscient. À l’unisson étaient aussi mes pensées qui vagabondaient et s’agitaient. Mais, au bout du compte, je constate toujours qu’à défaut d’un but à atteindre et d’une direction à prendre, je trace dans l’espace à peu près la même empreinte et que mes pensées tournent autour des mêmes idées. Errant, on ne peut donc totalement écarter l’idée d’aller en un sens. Sur terre, comme en esprit…