« Le livre des séjours et des lieux » de 𝗠𝗮𝘁𝗵𝗶𝗮𝘀 𝗥𝗮𝗺𝗯𝗮𝘂𝗱 : Ljubljana,Narbonne, Gruissan, Bizanet, Leucate…

𝗟𝘂.𝟭𝟴.𝟯.𝟮𝟬𝟮𝟰

« Avant de lier aux êtres, l’amour lie aux lieux. Tel horizon marin où se respire l’appel de la vie neuve, telle lumière qui distribue la terre en pleins et vides et permet que soit composé un paysage, tel vent qui se lève soudain, venu de nulle part, telle chambre, tel jardin aussi bien : voilà les vraies, car indéfectibles, ligatures. Ces lieux sont ceux que l’on a quittés, ceux dont on est privé, ceux qui se tiennent désormais dans le lointain et qui causent notre tristesse (aussi les grands nostalgiques sont-ils de grands sensuels par voie de dégradation, le corps présent valant comme ersatz du lieu perdu). »

Ces lignes sont les premières du premier livre de Mathias Rambaud ; un livre composé de textes brefs d’un homme hanté par la terre où il a grandi entre Corbières et Méditerranée (Narbonne, Gruissan, Bizanet, Leucate, ces noms composant sa géographie la plus intime) ; une terre de vents, de mer et de vignes, d’étangs et de garrigues ; une terre — où qu’il vive ! — qui « le requiert avec « une autorité singulière, inattendue » et l’empêche » de concevoir d’en vivre à jamais séparée. »

C’est de Ljubljana – où habite désormais Mathias Rambaud – que nous vient son récit. Son origine remonte à une dizaine d’années, nous dit-il. C’était à Duino, en compagnie de Zala — on pense à Rilke ! — au pied d’un château jaune, face à la mer que : « nageant dans la baie — seul, mais sentant la présence du rivage dans mon dos comme le bras tiède d’une femme plus forte que moi qui suis faible et qui me portait —, que me submergea une bouffée délirante de ce mal du pays dont je n’aurais jamais cru être frappé, mais qui dorénavant ne me quitterait plus à l’idée que, loin de ma terre natale, je restais cependant relié à son rivage par le corps immémorial et ductile, le grand corps conducteur de la mer. »

Lisant et relisant — dans la discontinuité — cet admirable livre d’exil et d’amour, on est gagné par l’émotion que suscitent la profondeur et l’intense musicalité de ses longues phrases. Que l’on ne s’y trompe pas cependant, ce que célèbre Mathias Rambaud dans ses pages s’étend au-delà des seules frontières de ce « pays » — qui est aussi le mien. Sa prose élégiaque, dense et limpide (Frédéric Beigbeder) dans laquelle il enclot un peu de ses « affinités secrètes » nous offre, en effet, plus profondément, l’occasion de méditer sur la littérature et son rapport au monde. Loin du bruit, de la foule et des vanités éditoriales, il magnifie, par la grâce de son style élégant, « l’absolu de cette singularité » qu’est cette terre d’étang où, petit garçon rentrant de Rivesaltes dans un train, seul dans sa voiture, il lui semblait « rouler sur l’eau » ; et ce faisant nous arrache de cet universel politico-éthique (Richard Millet : L’enfer du roman) où « l’homme » est contraint de séjourner, coupé de ses origines, de sa langue et de soi.

On voudrait tout citer pour montrer que ces 110 pages de Mathias Rambaud sont une merveille ; le remercier aussi pour m’avoir permis de retrouver, dans le silence et le souvenir, la beauté et l’amour de ces lieux…

𝗘𝘅𝘁𝗿𝗮𝗶𝘁 (𝗱𝗲𝗿𝗻𝗶𝗲̀𝗿𝗲𝘀 𝗹𝗶𝗴𝗻𝗲𝘀) :

Narbonne / Âmes souffrantes

« Et un an plus tard, juste avant l’été et à l’issue d’une conversation éprouvante, ce qui de même manière donnerait subitement corps à cet état d’incertitude dans lequel nous nous trouvions depuis quelque temps, cette souffrance qui, à défaut d’explication, nous apparaissait comme le résultat d’un éloignement irrémédiable de toute source, à l’image du lieu où nous nous trouvions, non plus allongés dans notre jardin au bord de l’écluse mais assis sous les platanes de la promenade des Barques, un peu plus en aval du même canal, comme si nous avions tout simplement dérivé, emportés à notre corps défendant vers la mer immense où tout disparaîtrait, ce furent ces simples mots : « Alors, c’est fini ? »

𝗟𝗲 𝗟𝗶𝘃𝗿𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝘀𝗲́𝗷𝗼𝘂𝗿𝘀 𝗲𝘁 𝗱𝗲𝘀 𝗹𝗶𝗲𝘂𝘅. 𝗠𝗮𝘁𝗵𝗶𝗮𝘀 𝗥𝗮𝗺𝗯𝗮𝘂𝗱, 𝗲́𝗱𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗔𝗿𝗹𝗲́𝗮, 2015,𝟭𝟭𝟬 𝗽𝗮𝗴𝗲𝘀, 𝟭𝟱 𝗲𝘂𝗿𝗼𝘀.

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