J’ouvre, au hasard (qui sait ?),« L’homme de cour » de Baltasar Gracian(éditions Champ libre 1980) et je tombe sur ceci, page 139-140 : « Tous ceux qui voient n’ont pas les yeux ouverts ; ni tous ceux qui regardent ne voient pas. De réfléchir trop tard, ce n’est pas un remède, mais un sujet de chagrin. Quelques-uns commencent à voir quand il n’y a plus rien à voir. Ils ont défait leurs maisons et dissipés leurs biens avant que de se faire eux-mêmes. Il est difficile de donner de l’entendement à qui n’a pas la volonté d’en avoir, et encore plus de donner la volonté à qui n’a point d’entendement. Ceux qui les environnent jouent avec eux comme avec des aveugles, et toute la compagnie s’en divertit ; et d’autant qu’ils sont sourds pour ouïr, ils n’ouvrent jamais les yeux pour voir. Cependant, il se trouve des gens qui fomentent cette insensibilité, parce que leur bien être consiste à faire que les autres ne soient rien… » Ecrit par le grand jésuite en 1646, ça vaut bien l’édito du « Monde » de demain, non ?
« Arrêtez la planète, je veux descendre ! Mais personne ne m’entend. C’est comme dans un cauchemar, où les cris n’arrivent pas à sortir du fond de la gorge. Mais, après la pluie, après la noirceur du monde, arrivent le printemps et la lumière d’un monde neuf et beau ! Je pense à cet espoir parce que je viens de voir une belle femme en train d’allaiter son bébé, assise sur un banc, au jardin du Luxembourg, indifférente au tumulte et au bruit du monde. » C’est la conclusion d’un article de Tahar Ben Jelloun publié dans « le Monde » : Peurs. Sa dernière phrase m’amenant à monter sur mon escabeau pour sortir du troisième rayonnage de ma bibliothèque « La part manquante » de Christian Bobin, où on peut lire ceci : « Elle est seule avec, dans le tour de ses bras, un enfant de quatre ans, un enfant qui ne dément pas sa solitude, qui ne la contrarie pas, un enfant roi dans le berceau de sa solitude. » ( page 9 ). Et un peu plus loin ( page 14 ) : « Si totalement brûlée d’amour qu’elle en est lumineuse, et que son visage suffit à éclairer le restant de votre journée, tout ce temps à tuer avant le train à prendre, avant le jour de votre mort. » . Sur la plus haute branche d’un arbre dont j’ignore le nom, écrivant ce texte devant ma fenêtre largement ouverte pour jouir de l’air frais du matin, un chardonneret, ignorant nos peurs et nos manques, chante à la vie…
Dans ce roman, Paul Bourget met en cause les responsabilités des maîtres à penser de l’époque sur leurs élèves . Sa clef: montrer que tout savoir abstrait, toute idée est mauvaise pour des hommes privés de liberté de penser. Une mise en cause percutante de la responsabilité des élites quant aux effets de leurs » discours » sur ceux qui leur accordent leur confiance. Un texte, comme tous les classiques, qui nous renseigne sur notre époque. A lire, ou à relire, donc, plutôt que d’écouter un Guillon, par exemple…
Dissertant sur le progrès technique, nos jeunes gens écrivaient , en 2009, entre autres perles, ceci:
» Ceux qui n’acceptent pas le progrès technique sont obligés de s’exclure de la société, de vivre dans la jungle, dans la forêt.
Cette individualisation aura des répercussions sur le quotidien de la société, l’absentéisme aux élections en est un exemple.
Ainsi les ménages travaillent de moins en moins, de plus l’invention de la télévision, de l’ordinateur n’arrange pas le tout.
Par exemple si l’homme n’arrive pas à s’orienter avec une boussole il en conclura qu’il devra pour le futur se munir d’un GPS afin de ne pas reproduire la même erreur, de plus son point de vue sur l’orientation sera positive.
Le développement technique a aussi amélioré le confort en ce qui concerne les commodités. Nous ne sommes plus obligés de s’en occuper et de déposer dans le jardin ou ailleurs comme dans le temps, puisque maintenant tout part dans des stations faites pour. «
On redoute de les lire demain sur le même sujet… Car, à « cette question “le développement technique transforme-t-il les hommes ?” la réponse à extraire n’est donc pas une évidence. «
LLafranc, dimanche 26 avril. Assis à la terrasse du LLevant, une de mes « querencias » de ce petit coin de la « Costa brava » encore protégé, je lis l’édition dominicale de « la Vanguardia » et m’arrête, alléché par son titre, sur la chronique de Luis Racionero: « Las eroticas capitalistas ». Il y présente une étude de la sociologue britanniqueCatherine Hakim selon laquelle le capital érotique serait le 4e pilier d’une personnalité moderne, en sus du capital économique, du capital culturel et du capital social. Un capital érotique qui ne concernerait pas que les « choses » du sexe ou le mariage. Dans nos sociétés modernes où la culture est hyper sexualisée, nous est-il, en effet, précisé, le capital érotique prend de plus en plus de valeur sur le marché du travail, au sein des médias, de la politique, de la communication et de la publicité. Et les femmes seraient mieux dotées que les hommes !Question de Luis : pourquoi ? parce que (je le traduis) « Dans la loi de l’offre et de la demande de coït, l’injuste nature a truqué la balance de sorte que la demande du mâle sera très supérieure à l’offre de la femelle et, comme tout le monde le sait, le prix monte et celui qui met le prix et le perçoit, c’est la femme. » Mais comme elles vivent dans des sociétés patriarcales, elles seraient tentées de ne pas se servir de cet « avantage comparatif », les hommes « s’efforçant de construire des idéologies morales pour empêcher les femmes d’exploiter leur capital érotique et d’en tirer des bénéfices économiques et sociaux ». Et l’auteur(e) de se lamenter que les féministes ne soient pas capables de libérer les femmes de la perspective patriarcale. Certes, mais il est de nombreuses femmes qui plutôt que de suivre les méthodes radicales des féministes, préfèrent continuerd’exploiter leur capital érotique avec ou sans patriarcat, conclue L. Racionero.
Ce que je n’ai pas manqué de constater à la table voisine…