J’aime René Frégni. J’aime sa sincérité. Son regard sensuel sur les êtres, les choses et le monde. Un regard parfois sévère. Mais jamais fermé sur de sombres colères. Ou couvert de ressentiment. René Frégni prend son temps ; il éclaire ses jours de son style simple et précis. Il a pourtant connu son lot de misères, de douleurs et d’injustices. Il sait ce dont les hommes sont capables, en pensées et en actes ; ce qu’ils cachent « d’immonde, d’atroce, d’absurde ». Mais voilà, les mots et l’écriture, ceux de sa mère et des auteurs lus avidement, passionnément, en prison et dans ses galères ont fait de lui cet homme franc et loyal, profondément en accord avec lui même. Les mots de René Frégni sont sa vie. Il se lève, marche, mange et dort avec. Il en connait la force, dans le Bien et le Mal. « Ils peuvent faire s’écrouler soudain des châteaux, des carrières, de belles cités éclairées jusque-là par la paix. Souvent ils agrandissent l’amour, apaisent la brûlure des plaies, écartent les destins. Page 123.» Aussi, qu’il s’agisse de raconter la Provence en septembre, la « fiancé des corbeaux, la mort de son chat, les fous et les errants, ses frères, d’évoquer sa mère, chacune de ses pages vibre d’une émotion pure et sensible. Tout, pour lui et chaque jour, est raison « d’écrire des petits fragments de vie qu’on ramène chez soi, dans ses yeux, sur sa peau, ses cheveux, dans la lourdeur des jambes. » ; de souffler « sur tout ce qui est vivant ; d’inventer un visage à tout ce qu’on ne voit pas. Prenez un stylo, nous dit-il, dessinez le mot roseau et les yeux presque fermés, en respirant à peine : « vous verrez apparaître toutes les rivières que vous avez connues et celles que vous n’avez jamais vues. Vous sentirez rouler dans votre corps les torrents glacés des montagnes et l’eau paisible de l’été qui glisse sous les noisetiers, dans une odeur tiède de melon. Page 135 » J’aime René Frégni. Oui ! chacune de ses phrases m’enchante. Le lisant, parfois, on croirait entendre Mozart. On ferme les yeux, et les mots s’ajustent, résonnent et s’accordent alors avec les mouvements de certaines pièces en ré mineur du génial compositeur. L’écriture est érotique, dit encore René Frégni. Assurément ! Il en jouit et nous donne ainsi du plaisir à le lire.
20 heures ! C’est l’heure où le soleil est au plus près des toits de la rue du Pont des Marchands. Alors les ombres des platanes s’allongent sur la promenade des Barques.
Il y a des gens pour qui tout est politique, jusqu’à la manière de se vêtir, de boire et de manger ; de choisir ses auteurs et ses lectures ou de s’asseoir ou pas sur la lunette des WC. Ceux-là donc ne cessent de me faire un peu partout, jusqu’ici, la leçon : mes goûts et dégoûts littéraires, notamment, seraient des actes politiques. Ainsi, que Chardonne et Déon, par exemple, soient rangés dans ma bibliothèque, alors que n’y figureront jamais ni Despentes ni Angot, feraient de moi, né blanc et hétérosexuel assumé, un parfait réactionnaire. Honteusement misogyne de surcroît. Et je serais, pour ces redresseurs (j’allais écrire pleurnicheurs !) de torts, soit un imbécile en suggérant que, contrairement à eux, je suis inconscient de mes actes, soit un hypocrite, en suggérant que je suis complaisant au mal qu’ils dénoncent. Une façon, finalement, de m’imposer leur vision du monde pour m’imposer leur cadre idéologique et leur pouvoir. Ce qui m’amène, presque par instinct, à ignorer ce type d’injonctions et à envoyer paître ceux qui en font, et les présentent, comme les « obligations morales » de notre temps. Aussi, continuerai-je à lire les seuls auteurs susceptibles de nourrir mon autonomie et ma solitude, ma résistance et mes plaisirs (En ce moment, Emmanuel Bove : « Un homme qui savait ». Extrait : « Mais derrière la grande réputation du professeur, il n’y avait rien, ni intelligence, ni fortune, ni bonté, ni noblesse. On s’épuisait à faire son propre chemin, à maintenir des apparences. On attendait plutôt une aide du gendre qu’on ne songeait à l’aider. Sa jeune femme luttait pour tout le monde, avec plus d’ardeur même quand il s’agissait de sa famille. Le professeur était un homme sans valeur profonde, faible, paralysé par une femme qui se croyait continuellement dans l’obligation de tenir un rang. Maurice comprit qu’il ne ferait jamais rien dans ce milieu, qu’il ne serait jamais que le petit protégé d’une famille ambitieuse. Il n’eut plus qu’un désir : retrouver sa liberté. »)