Moments de vie : Il ne pouvait savoir d’où je venais…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ma.27.2022
 
Moments de vie.
 
Fort vent de Nord-Ouest, ce matin. Et froid ! Il entraîne vers la mer d’épais nuages bas et gris que trouent quelques rares puits de lumière. Les toits et les murs de la ville n’ont rien qui éblouissent les yeux. Leurs traits sont ternes, leurs formes plus lourdes. Comme celle des passants que j’aperçois de ma fenêtre. Le noir et le gris découpent leurs silhouettes. Ils marchent plus vite, le dos courbé. On dirait qu’ils portent le deuil d’un été sec et brûlant. L’automne n’a pas ses couleurs douces habituelles. Les choucas sont revenus qui, tous les soirs, à la même heure, disputent aux pigeons les tours Aycelin et de Saint-Just. Ils volent autour en criant, excités. Plus hauts, deux ou trois rapaces seront lâchés et fonceront sur des nuées d’étourneaux. Ils ne suffiront pas à les éloigner. Un homme tentera de les faire fuir en allumant des fusées. Elles feront un bruit épouvantable. Il fera nuit. Leurs yeux grands ouverts, des enfants trembleront sous leurs draps. Un sourire, une caresse les apaisera. Peut-être ! Trois fois rien. Comme, hier, cet homme perdu dans cette salle de détresse commune, venu vers moi, assis près de ma mère. Il a pris ma main du bout de ses doigts ; l’a regardée puis s’en est allé, le corps cassé. Sans un regard ! « Tu as des choses à faire Michel, il est temps de partir… ». Sur la route du retour, un coup de fil d’un ami. Il me parle de l’exposition d’Edvard Munch au musée d’Orsay. Son titre ? « Un poème de vie, d’amour et de mort ». Il ne pouvait pas savoir d’où je venais… Je lui ai dit que j’irai la voir aussi…
 
 
 
 

À Narbonne, un moment de grâce avec Pierre Reverdy…

 
 
 
 
 
 
 
 
Ve.16.9.2022
 
Moments de vie.
 
Pierre Reverdy, né le 11 septembre 1889 (13 septembre 1889 selon l’état civil) à Narbonne et mort le 17 juin 1960 à Solesmes, fut un grand poète précurseur du mouvement surréaliste du XXe siècle, ami et admiré par les plus grands : Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault, Tristan Tzara… Il était à l’honneur dans sa ville natale pour cette 39e édition – les 17 et 18 septembre – des Journées européennes du patrimoine, conçue et réalisée par les équipes de la Médiathèque du Grand Narbonne. Pour leur ouverture, en effet, dès le vendredi 16 septembre, étaient au programme une conférence-lecture de Jean-Baptiste Para, suivie du vernissage de l’exposition qui lui était consacrée : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Une exposition remarquable à la fois par la qualité du « fonds » constitué par la Médiathèque : plus de 60 ouvrages (éditions originales, œuvres illustrées par de grands artistes), et l’élégance didactique de sa présentation. Un peu avant sa visite, Jean-Baptiste Para, lui-même poète, critique d’art et rédacteur en chef de la revue littéraire Europe nous avait présenté les grandes lignes de la vie de cet immense poète et de son œuvre, ses relations avec ses amis, poètes et peintres majeurs du XXe siècle. Ce fut un moment de grâce ! Un bel exercice d’admiration empreint d’humilité dont l’érudition et l’intelligence parvenaient à nous rendre sensible un imaginaire et une poésie considérée par beaucoup comme difficile d’accès. La voix de Jean-Baptiste Para, ronde et douce, y contribuait grandement… C’était la première fois que Pierre Reverdy se faisait ainsi entendre. Plus tard, j’ai ouvert ma liseuse et relu les surlignements de son « Livre de mon bord » (1948) faits à l’occasion de mes lectures. En voici trois :
« Le style, c’est peut-être l’homme. Mais l’art d’écrire est plein de perfidie. On lit avec intérêt l’ouvrage d’un homme avec qui l’on ne pourrait parler cinq minutes sans avoir envie de le gifler, et tel autre, que l’on trouve crispant à lire, si on le connaissait, pourrait être un charmant ami. »
« Il y a les idées qui partent dans l’air, dans la réalité comme des balles de pelote. Les dures, les bonnes rebondissent — les molles, les mauvaises, les fausses retombent au pied du mur, lamentables. Mais c’est de celles-là que l’on est, précisément, assommé. »
« Un visage plein de sourires, comme une coupe de beaux fruits. »
C’était hier. Elle était avec un petit groupe autour d’un guide sur la place de l’hôtel de ville à écouter ses explications – elle semblait attentive ! Et quand son visage s’est tourné vers le mien, c’était comme une coupe de beaux fruits … « Chose troublante dans ce monde de haine — un regard inconnu d’où déborde la sympathie. » (Le livre de mon bord)
 
 
 
 
 
 
 
 

Roger Federer sur un cours était le style même…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Je.15.9.2032
 
Du style !
 
Roger Federer a déclaré qu’il prenait sa retraite. C’était un génie. Chacun de ses gestes, de ses déplacements sur un cours de tennis signait un trait d’intelligence et d’élégance. Il ne jouait pas, il créait. Son jeu inspiré était d’une beauté irradiante. Il aura ainsi élevé la pratique de ce sport au rang d’œuvre d’art. On devrait étudier et promouvoir son style dans toutes les écoles : les petites et les grandes.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Jean-Luc Godard est mort et l’humanité n’en est pas désarmée pour autant…

 
 
 
 
 
 
Ma.13.8.2022
 
 
J’ai lu ceci, ce matin (la dernière phrase d’un article a lui consacré) : « Jean-Luc Godard est mort et nous sommes nombreux à penser que le cinéma et l’humanité sont ce matin plus désarmés qu’hier. » Le cinéma, passe encore. Bien que ! Mais l’humanité, l’humanité désarmée ? ! Voilà le genre de phrase dont le ridicule ne tue même plus. Hélas !
JLG faisait des films. Il divertissait. Ben oui, comme ses pairs ! Quoiqu’il en disait. Il fallait les avoir vus, au risque d’être moqué, de passer pour un crétin. Ou un bourgeois ! (La pire des insultes à l’époque). L’ennui devant ses images était alors l’expression forcée d’esprits éveillés. Il fallait aussi se pâmer devant sa rhétorique obscure et pompeuse. Et se taire quand ses mots sur le peuple juif diablement dérivaient. Je dois avouer n’avoir jamais vu un seul de ses films, jusqu’au bout. Mes paupières tombaient… Des scènes de certains – rares, forcément – sont cependant restées. Celle-ci, notamment, que j’aime beaucoup – Ah, ces parenthèses, ces coupes de tempo, et la voix lente, lasse et caverneuse de JLG pour une fois audible !
 
 
 
 

« L’imaginaire » de Claire pour changer un vieux monde à l’heure du catatrophisme ambiant !

         

Je.8.8.2022

Dans son édition du dimanche 4-lundi 5 septembre, le Monde consacre une longue enquête à la « crise existentielle des vingtenaires ». Elle serait marquée, selon son autrice, par une sensation de vide devant soi, d’angoisse écologique et d’une irrésistible envie de « tout plaquer ». Pour illustrer son propos, trois ou quatre profils, censés symboliser cette classe d’âge, nous sont ainsi présentés. Tous sont ceux de jeunes gens surdiplômés, issus de la classe moyenne urbaine. Un seul dénote cependant. Celui de Florence, une jeune agricultrice qui va reprendre cet automne l’exploitation agricole de ses parents, dans un petit village des Ardennes. Avec le souci de savoir comment elle va tenir dans la durée, tout en se plaignant de ne pas recevoir suffisamment d’aides. Elle a voté pour la première fois Marine Le Pen. Les autres sont plus creux, plus fluide et plus vide. Et si l’autrice ne nous précise pas leurs préférences politiques, on devine néanmoins une inclination qui les porterait plutôt vers un vote EELV ou LFI. Ainsi le profil de Claire, 28 ans, que j’ai retenu, car le plus caricatural, le plus vrai et le plus comique. Doctorante en théorie des arts et media (?!), elle raconte qu’après avoir quitté son studio de Montreuil durant l’été 2021, elle s’est installé à la campagne et qu’elle a essayé de vivre en plusieurs éco-lieux (?!) pour finalement choisir une minuscule caravane en Bretagne. Son objectif : une vie plus simple, consacrer moins de temps au travail et plus à des activités bénévoles ou à des loisirs comme la danse folklorique, la broderie et la poésie. Jusqu’à alors, Claire vivait en couple. Mais après une rupture, elle a remis en cause sa place de l’amour dans sa vie et a décidé de s’installer avec deux de ses meilleures amies, d’acheter un champ pour construire un habitat partagé. Plus tard, elle voudrait s’essayer au polyamour (?!) et élever des enfants avec des amis. Tous ces changements lui apportent, dit-elle, beaucoup de joie. « Notre génération tatonne plus, mais on a pris conscience de la nécessité de changer de modèle. On est plus à l’écoute de ce qui fait vraiment sens pour nous », conclut-elle son histoire, assise sur des palettes à l’entrée de sa minuscule caravane. Florence et Claire ! Deux « imaginaires » et deux rapports au réel économique, social et politique radicalement opposés. Celui de Florence est simple et brutal. Il tourne autour de l’idée : comment survivre ? Celui de Claire, plus intellectualisé et scénarisé, occulte la question de Florence. Je dois dire que j’ai spontanément éprouvé de la sympathie pour Florence en pensant à la somme de sacrifices qu’elle devra s’imposer. La vie rêvée de Claire, elle, m’a plutôt fait sourire… Un aveu bien innocent, mais qui me vaudra sans doute un procès : celui d’être un vieux réac biologiquement et socialement borné par sénescence et intérêt, incapable de penser et de prendre au sérieux un autre « imaginaire » à l’heure du catastrophisme ambiant. Celui de Claire évidemment ! C’est ce que me laissait entendre, ce matin, une jeune élue verte rencontrée sur la promenade des Barques. Je lui avais posé une question toute bête : comment vous y prendriez-vous pour renverser la logique économique de ce tourisme de masse qui fait vivre notre région ? Tourisme de masse dont je connais et déplore autant que vous ses effets désastreux sur notre environnement naturel, culturel, esthétique et pour tout dire visuel ?… « Ben ! en changeant l’imaginaire des professionnels du secteur et des touristes. » Pensait-elle à celui de Claire ?