Chronique d’un déclin annoncé?

 

 

 

 

Dans un de ces derniers billets, A. Argoul brosse les « Atouts de la France ». Il s’appuie, pour ce faire, sur les chiffres et enquêtes établis par le rapport global sur la compétitivité 2010, édité par le Forum économique mondial de Genève. Loin de vouloir contester ces données et les leçons qu’il en tire, je voudrais, ici, les mettre brièvement en perspective. Pour cela j’utiliserai quelques éléments de prospective figurant dans un rapport de l’IFRI sur le « Commerce mondial au XXI siècle » coordonné par P.Colombani, qui détaille le scénario « Chronique d’un déclin annoncé ».

 

Selon ce scénario, qui repose sur la projection des tendances lourdes de la population active, de la productivité du travail, et de la production, le centre de gravité de l’économie mondiale se déplacerait vers l’aire Asie-Pacifique. L’Union Européenne passant de 23% de la production mondiale en 2000 à 12% en 2050 ! Soit une division par deux de notre puissance économique et commerciale en un demi-siècle ! l’Amérique maintenant sa place .En conséquence, L’Union pèserait de moins en moins sur le cours de la mondialisation et une « une lente mais inexorable  sortie de l’Histoire » serait envisageable. Les raisons? Une démographie et une productivité du travail défaillantes. Deux moteurs qui bénéficient d’abord aux Etats-Unis, qui parviennent à maintenir leur hégémonie, même si la Chine rattrape à grands pas son retard de productivité et l’Europe en engrange d’importants par son élargissement à l’Est.

 

A partir de ce scénario de référence deux variantes plus positives sont envisagées pour l’Europe. Mais qui, toutes les deux, passent par la création d’une vaste zone comprenant la Russie et les pays du Sud de la Méditerranée. Seule solution imaginée pour résister. Et à la condition de jouer sur deux leviers fondamentaux.

 

La démographie, en premier lieu, qui requiert un « policy mix » d’un genre nouveau : politique de l’enfance et politique d’immigration. Une question de l’immigration d’ores et déjà sur l’agenda politique des Etats membres et du Conseil des ministres européen, mais sans qu’aucune politique d’immigration à la hauteur des enjeux n’ait été ,pour le moment, définie. Les auteurs de l’étude concluant que «  La régulation des flux migratoires et l’intégration des immigrés tant sur le plan économique que socioculturel constituera l’une des questions majeures du 21ème siècle. »

 

Quant au deuxième levier, l’innovation,il suppose, comme le premier, des investissements considérables. Et donc des arbitrages budgétaires douloureux «  alors que de nouvelles sources de dépenses vont se faire jour : les budgets des Etats membres devront endosser la charge financière résultant du vieillissement de la population européenne ; les transferts sociaux (retraite) et de santé devraient peser de plus en plus sur les finances publiques des Etats ; quant au budget européen, il devra financer l’élargissement et la remise à niveau des pays de l’Est. »

 

Ce qui nous ramène en France, en plein conflit idéologique et social sur le financement des retraites. Et qui nous permet, grâce à cet éclairage de long terme, de mesurer des enjeux dont la portée dépasse largement celui de savoir s’il convient de partir à 62 ou 65 ans.

 

En 2050, nos lycéens auront 55 ans.Et plutôt que de se laisser instrumentaliser par leurs aînés qui, à cette date, n’auront d’autres soucis que « la paix de leurs âmes », ils feraient mieux de réfléchir sérieusement à ces grandes tendances géopolitiques aux retombées économiques, sociales et politiques considérables pour leur avenir. Sauf à s’enivrer de slogans inspirés des anciens et s’enfoncer tête baissée dans une histoire qui se fera sans eux.Sur d’autres continents!

 

Question d’identité, suite.

 

 

 

J’avais promis à mon ami blogueur P-H Thoreux de poursuivre notre discussion sur l’identité française ( voir billet en lien ). Voici ma lecture de l’article de Finkielkraut à l’origine de cet échange :

En conclusion de son texte : « Etre français par la littérature. », Alain Finkielkraut (A.F) nous dit : « Je ne veux pas me détourner des urgences du présent, mais je ne vois pas comment une politique digne de ce nom, c’est-à-dire une politique qui soit souci du monde, pourrait faire l’économie de la culture et s’affranchir du passé. » 

Loin donc de tout repli frileux et nostalgique sur une France et des français du passé mythifiés dans leur amour et leur fierté qui ne seraient plus, A.F nous invite au contraire à penser un présent où la culture et l’histoire de ce pays font l’objet d’un déni systématique  d’existence, quand elles ne sont pas étroitement bornées au seul horizon historique de 1789.

Trop lourdes, trop difficiles et demandant trop de temps, la culture et sa langue, comme l’histoire, sont devenues, en effet, des obstacles, dans l’esprit de nos élites modernes, à l’intégration (ne parlons pas d’assimilation, terme devenu infâme) de populations venues d’autres horizons culturels comme de celles résidant en France depuis quelques générations, d’ailleurs…

Etre français, se résument donc, pour ces esprits, à la possession d’un « titre » garantissant l’accès à des droits juridiques, politiques et sociaux. Et sans aucune autre « contrepartie » que la participation aux dépenses communes par l’impôt (exonérée ou pas). Une conception essentiellement juridico-politique qui, à la limite, place tout individu habitant notre planète, et pour peu qu’il adhère, ne serait ce que formellement, à nos valeurs constitutionnelles, en situation de se revendiquer « français ».

Une « francité » qui, de fait, promeut un « être » a-historique et a-culturel, délesté de toute référence à cette dimension spirituelle (conceptuellement difficile à cerner, j’en conviens) dans laquelle se trouve fondue une histoire et sa projection dans l’avenir, une langue et sa capacité d’énonciation, une culture et sa faculté d’adaptation. Et qui, comme le note Koz, dans un de ses billets, « ramène l’identité nationale à quelques grands principes, certes louables, mais si généraux et communément partagés qu’ils sont évidemment impuissants à caractériser une quelconque identité française  ». Avec, conséquemment, comme seul statut d’appartenance celui de client, de consommateur et de créancier d’un Etat-Providence désincarné.

Un Etat-Providence désincarné ne disposant cependant plus, en outre, des ressources économique, financières et militaires qui lui permettraient de peser dans les débats internationaux et de mobiliser ses ressortissants  autour de  ses seuls attributs de la puissance .

Dans ce contexte, comme les autres nations européennes, la France et les français n’ont d’autres choix, s’ils veulent survivre dans le monde à venir, que de transcender leur vieille identité pour la fondre dans ce qui fait l’identité européenne. Et, au-delà, « d’être fier de ce qui fait l’essence de la civilisation occidentale. »

 Les derniers débats sur « la charte européenne des droits fondamentaux » ne me rendant pas, hélas, très optimiste…

C’est vendeur!

 

 

La guerre des chiffres entre syndicats et Ministère de l’Intérieur aura eu le mérité d’envoyer sur le terrain quelques journalistes soucieux de vérifier par eux-mêmes la réalité des « masses » en jeu. Mediapart, l’AFP et France Bleu à Marseille, France Soir, etc ont donc organisé, chacun de son côté, le comptage des manifestants du 12 octobre. Ainsi à Paris, où les syndicats annonçaient à coup de trompe 330.000 et la police mezza voce 89.000, ils ont compté… 73.000 manifestants ! Et à Marseille : 230.000 selon les syndicats, 24.000 selon la police, la vérité se situant entre… 17.000 et 21.000 ! Conclusion : même Hortefeux se trompe en exagérant leur nombre. C’est donc par 6 ou 10 qu’il faut diviser et non par 2 comme je le faisais jusqu’à présent. Ce que les grands médias seraient bien inspirés de faire afin de relativiser l’importance de la « mobilisation de la rue ». Mais qui serait contraire à la course à l’audience fondée, elle, sur la mobilisation des peurs et des angoisses. En ce sens, on peut dire que syndicats et partis contestataires ont un « intérêt objectif » à en rajouter sur le nombre et la radicalisation des manifestants. C’est vendeur !

 

 

Question d’identité.

 

 

 

 

 

Pierre-Henry Thoreux, dans son blog « Les amoureux de la liberté », revient sur un texte d’Alain d’Alain Finkielkraut que j’ai publié il y a quelques jours: (Etre français par la littérature). Son point de vue est très pertinent. Et je ne pense pas que nous différions beaucoup. En attendant de m’expliquer plus avant, je livre ici son analyse…

 

« Très émoustillante réflexion que celle proposée par le blog ami de Michel Santo, au sujet de l’épineux problème de l’identité nationale. Le sujet a certes été rebattu ces derniers temps, et il a donné lieu à toutes sortes d’excès et de galvaudages. Pourtant lorsqu’il est sous tendu par un texte d’Alain Finkielkraut, il ne laisse pas d’interpeller.

 

Pour faire simple, l’idée est que le sentiment national reposerait principalement sur les caractéristiques historiques du pays et plus particulièrement sur sa littérature : « Être français, c’est d’abord consentir à un héritage, être le légataire d’une histoire. « 

 

A dire vrai, au terme d’une introspection, et malgré tout l’amour que je porte à l’Histoire et aux beaux textes, je suis conduit à émettre quelques réserves quant à cette vision qui me paraît un peu restrictive voire un brin passéiste.

 

Même si la langue est un élément fédérateur indiscutable, je ne saurais personnellement faire de la littérature, ni même de l’histoire, le fondement exclusif de l’identité nationale.

Sinon, pourquoi donc devrait-on voir survenir une telle crise identitaire en France, qui possède une histoire si riche et une littérature si puissante ? Certes la société moderne et ses illusoires et vaines sollicitations a tendance à nous détourner de nos racines culturelles, mais est-ce une explication suffisante ?

 

Je prends à l’inverse, l’exemple du peuple américain qui vibre si fort du sentiment national, et cela bien avant d’avoir une histoire, et a fortiori une littérature. Qu’est-ce donc qui le soude de manière si solide en dépit de la mosaïque incroyable de populations et de cultures qui le compose ?

 

Sans doute avant toute chose, une aspiration, un grand dessein commun, la fierté de représenter quelque chose d’unique, le sentiment de constituer en définitive une grande communauté, dotée d’une vraie personnalité. E pluribus unum…

 

De ce point de vue, si je me sens personnellement français de culture et de fibres, je ne ressens pas du tout cette aspiration, cette communauté spirituelle, qui me donnerait envie d’être fier de mon pays.

 

Est-ce parce que la France a subi trop de déchirements et qu’elle semble se plaire à en rouvrir sans cesse les plaies avec une délectation morbide ? Est-ce parce qu’elle n’a pas ou plus de vraie ambition, pas de grand dessein, autre qu’un égocentrisme trop souvent méprisant ?

S’agissant de sa littérature, elle ne constitue pas davantage un ancrage culturel exclusif ou radical.

 

De ce point de vue j’ai du mal à comprendre Alain Finkielkraut lorsqu’il s’avoue déprimé en évoquant l’aveu d’une personne d’origine polonaise, qui revendique d’être français bien qu’elle ne connaisse ni Proust, ni madame de La Fayette… Qu’y a-t-il de si choquant ?

 

J’aime pour ma part la littérature de mon pays, mais hormis la langue qui me permet de l’apprécier immédiatement, je ne la distingue pas vraiment de celle des autres nations, au moins de celles qui ont des racines culturelles proches. J’adore Chénier, Musset ou Verlaine mais j’ai la même fascination pour Keats, Shelley, Dante ou Novalis. Je voue un culte à Montaigne, à Montesquieu ou à Voltaire mais j’éprouve la même chose pour Kant, pour Hume ou pour Locke. J’admire Hugo et Molière mais ils font partie de la même famille que Shakespeare, Goethe ou Cervantès. Il en est de même pour d’autres formes d’expression artistique, la Peinture ou la Musique…

 

En définitive, le poids de l’histoire, ou la force de la littérature contribuent sans doute assez peu au sentiment d’être français. C’est ce qui fait la civilisation bien davantage que la nation. D’ailleurs réduite à celle d’un seul pays, la culture expose au chauvinisme.

 

Le coq gaulois est une forme d’expression peu ragoûtante de cette arrogance étriquée, assez éloignée à mon sens de l’idée de culture et d’intelligence.

 

En France je veux être Français, mais en Amérique j’aimerais être Américain, en Allemagne Allemand, en Espagne Espagnol…

 

A la fin de son propos Finkielkraut ne peut s’empêcher de revenir à sa douce attirance pour le passé. Il assure que « la culture a la vertu de nous vieillir », mais est-il vraiment opportun de pouvoir « s’émanciper du présent » comme il le recommande, ou « de pouvoir habiter d’autres siècles » comme il en rêve ?

 

Ce n’est pas nécessairement en étant obsédé par le passé qu’on peut imaginer l’avenir. Encore une fois l’Histoire américaine est édifiante. Sans renier  leurs racines, mais en regardant droit devant eux, les Emigrants vers le Nouveau Monde ont relevé un formidable défi.

 

Les Européens de leur côté, ont manifesté beaucoup de mépris pour cette expérience et pour cette nouvelle nation « sans culture ni histoire ». Ils auraient pu à l’inverse, en tirer des leçons pour transcender les leurs et régénérer leur vieux continent.

 

Car il est à craindre que les nations qui constituent ce conglomérat fatigué n’aient d’autre choix, si elles veulent survivre et renaitre des cendres dans lesquelles l’auteur de la Défaite de la Pensée les voit avec raison se consumer. Mais pour cela, il faudrait ressentir ce qui fait en somme l’identité européenne, et au delà, être fier de ce qui fait l’essence de la civilisation occidentale… »

 

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