2. J’allais donc sur une plage de sable fin dont je tairai ici le nom, pour encore tenter de vivre, dans ce moment d’écriture, l’illusoire après midi d’un monde rythmé par des images et des bruits advenant à ma conscience, sans le filtre intellectuel ou moral des jours ordinaires et des convenances sociales, au seul rythme d’une marche que justifiait le plaisir physique d’en inscrire les traces sur cette limite mouvante entre mer et terre ; là où les vagues finissent leur vie dans un lent et profond mouvement d’aller-retour, ne laissant à contempler au promeneur solitaire sans identité et destination que j’étais alors, un mince filet d’écume, de sable et d’eaux mêlées aux bordures bouillonnantes qu’irisait un soleil généreux jouant de l’ombre et de la lum!ère avec de rares nuages égarés dans un ciel uniformément bleu. L’espace et le temps se fondaient en un au-delà du langage où nulle raison, nulle pensée, nulle contradiction, nul sentiment ne s’imposaient à l’intuition de vivre une harmonie aussi parfaite qu’instable, aussi fugitive que mystérieuse — Dans la joie comme dans le tragique. Une poupée de chiffon gisait là, soudain ; nue, sans visage. À quoi bon inventer des histoires : les mots n’y suffiront jamais.
C’était en ce début d’après-midi de la semaine dernière où régnait encore ce lourd silence si caractéristique d’une petite ville du midi, à cette heure et en plein été, au moment précis où j’actionnais la poignée de la porte d’entrée du parking souterrain « Les Halles », située sur la rive droite du canal de la Robine, à quelques pas seulement du restaurant « Le Figuier » — dont la patronne régale ses clients d’excellents tajines, notamment — que j’ai reçu, dans l’instant même où la porte cédait à ma pression, la puissante houle sonore d’une troupe de tambours brésiliens à laquelle se mêlait le profond mouvement vocal d’une foule à l’unisson de cette orchestrale ouverture, que j’aperçus, levant les yeux en direction de cette impérieuse source de décibels, de l’autre côté du canal, me faisant face, deux motocyclettes de la police municipale roulant à petite allure, signalant, comme de coutume, l’amorce d’une manifestation dont le gros des troupes, massé sur la place de l’Hôtel de Ville, s’impatientait de faire entendre aux autorités et badauds, les raisons de leur défilé en rangs serrés. Le climat, me dis-je. Ciel ! le climat… Vingt minutes plus tard, cependant, l’esprit léger malgré le sentiment d’avoir failli à mon devoir de « citoyen écolo-responsable », je marchais aussi, mais à bonne allure, le long d’une plage enfin rendue à la nature, détendu et ouvert à toutes sortes de pensées et d’impressions suscitées par la circonstance et la beauté d’un paysage baigné par une douce lumière. La mer était calme, le ciel dégagé ; et un faible vent d’Espagne couvrait les Pyrénées de fins nuages blancs. Marchant, je constatais, alors que j’écrivais mentalement ces lignes, sans être toutefois certain de les reproduire ici dans leur état du moment, que mes phrases avançaient du même pas que les miens : l’une après l’autre, tout en se frayant un chemin dans le flux continu d’idées et d’images venues de toutes parts dans le plus grand désordre apparent. Le genre d’expérience, me disais-je, qui rend vain le désir de vouloir saisir la totalité du réel par la seule écriture. Et j’allais ainsi sur une plage de sable, à l’écoute du vent et des vagues, sous un beau ciel bleu, avec pour horizon les Pyrénées sous de fins nuages blancs…
Léon Diaz-Ronda, né à Madrid en 1936, vit et travaille à Narbonne depuis 2013. Peintre nomade, il a éclairé de son talent de nombreuses galeries. Aujourd’hui, c’est dans la prestigieuse salle des Consuls du Palais-Musée des Archevêques que son travail est mis à l’honneur. Une rétrospective qui rassemble une sélection d’oeuvres très différentes entre elles, correspondant aux trois grandes évolutions de sa recherche personnelle et de sa traduction dans son art.
Sitôt franchit le seuil de cette splendide salle des Consuls, on est tout de suite saisi, en effet, par des « pièces » où l’influence des grands expressionnistes est singulièrement manifeste. Une période tourmentée de la vie de Léon Diaz-Ronda où, à travers, sa peinture, il tentait, selon son expression, d’exorciser « une partie de ses démons. »
Le « carré » suivant, lui, est consacré à la gravure, dont on voit qu’elle prend le pas sur la peinture, jusqu’à ce que les deux se confondent. La couleur disparaît, les formes se géométrisent. Le noir et le gris, sur des supports « métalliques », suggérent le caractère objectif du cours des choses. Finie l’expression d’une subjectivité en proie aux passions de l’existence…
Puis avec l’abandon de la gravure, depuis 20 ans, remplacée par la photographie, cet équilibre enfin trouvé, d’une subtilité telle que le réel désormais figuré dans les images de Léon Diaz-Ronda en absorbe les formes et les tons. Une figuration d’un réel qui s’échappe et s’enfuit jusqu’au bord du cadre. Comme ses personnages aux contours flous, nimbés d’une lumière ocre, cuivrée, qui semblent pris dans les tenailles d’un temps lourd et évanescent. Où vont ces silhouettes sans épaisseur, aux contours flous et sans distinctions ? Que font ces personnages isolés dans des rues sombres et vides, qu’attendent-ils, lourds d’un passé perdu, sous le voile d’une lumière crépusculaire ? Ou d’autres,assemblés, formant une masse compacte, dont on devine l’extrême et pesante attention ; celle de corps tout entiers usés par les ans et les épreuves de la vie.
Dans la plénitude de son art, le silence se fait entendre sous les doigts de Léon Diaz-Ronda. Un silence aux reflets brumeux dans lequel circulent les fantômes du temps. Avec pour horizon le temps de l’origine, sans autre espoir que d’en conjurer la peur…
(Le titre de cette rétrospective ? « ST » : Sans titre, précisément)
Quelques jours après que j’eus appris le décès de Gérard Calvet, m’étonnant de ne pas trouver trace dans la presse régionale d’un hommage à son oeuvre et à sa personne, j’écrivis, ceci (le 3 avril 2017) : « Gérard Calvet, un peintre de mes amis — malgré notre grande différence d’âge — est mort. Son sourire, son regard malicieux vont nous manquer ! Il était né en 1926 à Conilhac-Corbières dans l’Aude ; et après des études secondaires au Lycée de Carcassonne, il est « monté » à Paris, en 1945, pour entrer à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, dans l’atelier de Eugène Narbonne où il fut particulièrement impressionné par l’art vigoureux et incisif de Bernard Buffet.
Station 1 : le matin à 10h 30, place de l’Hôtel de Ville — encore vide ou presque : quelques touristes seulement — , café à la terrasse du Petit Moka. En retrait, elle offre un beau (façon de parler) point de vue qui permet d’évaluer les mouvements de foule . Donc, à cette heure, calme quasiment plat. Comme un cachet d’aspirine !
Station 2 : Plus tard, — 11h 30 — revisite de la magnifique rétrospective d’André ElBaz. Un long moment toujours devant les mêmes toiles.
Station 3 : 12h 15, salle du Pilier, passage de l’Ancre, « Flaneries » de Roland Rebuffy et Georges Martinez. Quelques jours avant, avec André Elbaz et Georges, longue conversation autour de Nicolas de Staël …
Station 4 : Déjeuner sur le pouce et départ pour la plage : 14 heures — à cette heure, personne ou presque. Ciel bleu, sable chaud, eau verte — presque, l’eau ! Volupté…
Station 5 : 18 h, apéritif, toujours au Petit MoKa. Mouvements de rues, le son monte, la foule s’avance, lourde. À ma gauche, une dame en robe moulante, très courte et sans manches. Les jambes croisées haut étalent une peau blanchâtre piquée de rose. Posée sur un corps vieilli, aux chairs lâchées, une tête couverte de poils épars et mâchés rouge. De profil on dirait celui d’une gargouille. Elle mâche des cacahouètes. La bouche grande ouverte, elle fait un étrange bruit de sucion. Quand elle lève son verre de bière, un dauphin tatoué s’enfonce dans les plis et le gras de son bras…
Station 6 : 18h 30. Un vol de cigogne au dessus de la tour Aycelin… Indifférent !
Station 7 : 19 h ou 20 heures, je ne sais, un monstre de fer ailé gigantesque apparaît sur la place — Pégase — Comme un emblème du temps qui vient ! Il avance dans un vacarme d’usine en fusion, crache par ses naseaux des nuages de fumées. La foule de plus en compacte applaudit. Des bras s’élèvent, armés de smarphone… Pas un Gilet Jaune !
Station 8 : 21 heures. Plongée dans la masse humaine, sur la promenade des Barques. Du corps à corps. Les Dj poussent à fond leurs sonos. Celle de la grande scène couvre l’ensemble. Dantesque ! Une percée en direction de la bodega de l’Amicale des Pompiers, je pousse et squatte deux petites places. À l’intérieur, des jeunes et des moins jeunes s’affairent. J’en connais plusieurs. Jean Marie me sert un rosé : » Monsieur Santo, quel monde allons nous laisser à nos enfants ?! « …
Station 9 : 22 heures. Retour au Petit Moka : café. La place de l’Hôtel de Ville est bourrée. Des petits groupes de très jeunes filles, toutes en short, se distinguent. Elles marchent très vite, s’éloignent de la foule. Pour aller où ? Qui les appellent ?
Station 10 : Gims sur la Grande Scène, cours Mirabeau. Un délire ! Sur l’écran géant de la place, je vois une multitude de bâtons lumineux, multicolores, soudainement se lever. Il y a quelque chose d’irréel et d’inquiétant dans ce bloc humain qui tangue et crie au rythme souhaité par le célébrissime rappeur. Quel professionnalisme tout de même, quelle énergie, quelle force… Il aura réussi la performance de remplir cette ville comme jamais dans son passé festif et estival. Pleine comme oeuf, à la limite de la surdose. Je me demande encore par quel miracle elle n’a pas explosé…
Station 11 : 24 heures… Chez moi ! Au calme… Lecture des dernière pages de « L’impossible amour » d’Emmanuel Bove…
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]