Il faut si peu de mots…

Chaque soir, je lis trois ou quatre pages du journal tenu par une jeune femme juive de 27 ans, Etty Hillesum, de 1941 à 1943, à Amsterdam.Comme l’écrit Yann Moix,  » On dirait de la lumière qui parle « . Qui illumine vos nuits aussi. Comme ce texte lu, hier, pendant que tout autour de moi dormait:  » Vendredi soir, 7 heures et demie: Cet après-midi, regardé des estampes japonaises avec Glassner. Frappée d’une évidence soudaine: c’est ainsi que je veux écrire. avec autant d’espace autour de peu de mots. Je hais l’excès de mots. Je voudrais n’écrire que des mots insérés organiquement dans un grand silence, et non des mots qui ne sont là que pour dominer et déchiffrer ce silence… comme cette estampe avec une branche fleurie dans un angle inférieur… Il faut si peu de mots pour dire les quelques grandes choses qui comptent dans la vie… Ainsi les mots ne devraient servir qu’à donner au silence sa forme et ses limites. Chaque mot serait comme une pierre milliaire ou un petit tertre au long de chemin infiniment plats et étendus, de plaines infiniment vastes…  » ( pages 121 et 122 dans la collection Points-Seuil )  Et le 3 septembre 1943, quatre jours avant de partir pour Auschwitz, où elle meurt le 30 novembre:  » Ce matin une de mes collègues m’a dit faisant allusion aux situations dramatiques qu’on voit ici:   » Tout instant de la vie où on manque de courage est un instant perdu . » Bon, je vais chez le coiffeur.  » (page 344). Elle avait 27 ans!

Le leurre du métissage culturel.

 
 
 
 
 
 
 
 
« Le modèle français d’intégration ne fonctionne plus, il aggrave inégalités et discriminations plus qu’il ne les combat. Et le décalage entre le métissage de la société française et l’étroite homogénéité de ses élites est plus flagrant et choquant que jamais. » Métissage! voilà un mot, généralement suivi du qualificatif culturel, abondamment cité dans la presse au nom d’un anti-racisme de bon aloi, dont nul esprit égalitariste ne saurait s’offusquer, mais qui a le redoutable inconvénient d’oublier la réalité qu’il désigne. Car si les mots ont encore un sens, il nous est demandé, aux fins d’insertion dans un moule étroit,de devenir les otages du principe de standardisation et du rabotage des aspérités culturelles. Alors même que, comme le dit si justement le poèteécrivain  Gil Jouanard « Nul véritable citoyen du monde ne fondera jamais son cosmopolitisme sur d’autres motifs que ceux suscités par le primat viscéral et intellectuel de la diversité. » ( Le jour et l’heure. Editions Verdier. 1998.Page 31 ). J’avoue moi aussi que je recherche chez autrui ce qui m’en différencie : « la différence entre lui et moi est grande, plus son identité requiert mon attention. » Tournant ainsi le dos au métissage culturel,  » …j’offre mon attention passionnée aux quatuors de Haydn, aux chants des Pygmées, aux joueurs de murali du rajasthan, au peintre en bâtiment siffleur, à l’individu qui ne ressemble à personne. »

Valet de nuit…

J’ai pris l’habitude de ne jamais lire un ouvrage l’année de sa parution. Une façon comme une autre d’échapper au temps des médias. Celui de l’actualité fabriquée à la va-vite par des petits-pères-la vertu à la fatuité sans limites. Celui aussi de la critique de bazar et de ses connivences douteuses. Ainsi, qui se souvient de Michel Host et de son roman, Valet de nuit, publié chez Grasset, qui lui valu pourtant le prix Goncourt en 1986, et dont j’ai entrepris la lecture hier ? Pour tomber sur ceci, page 79 : « Maman ne rit plus, et je ne sais ce qu’elle lit, ni même si elle lit. Nous recevons le Monde et le Figaro chaque matin. Il arrive que je trouve sur la console de l’entrée plusieurs exemplaires encore revêtus de leur bande de livraison. Ils iront directement à la poubelle. Pourquoi n’avons-nous pas résilié nos abonnements ? Négligence, sans doute. Ou désir inconscient de nous relier au monde extérieur par de fragiles signes de papier. S’il est quelque chose que maman et moi partageons vraiment, c’est l’opinion que nous nous faisons des nouvelles. Le terme désigne avec une impropriété absolue la répétition lassante et prévisible de faits ignobles dont les auteurs, authentiques crapules ou paranoïaques solennels portés au pouvoir par l’imbécillité des peuples, ne s’y maintiennent que par le concours naturel de l’intérêt et de la lâcheté. » Cet après-midi, le ciel est lumineux et le temps est à la plage. Je m’y rendrai vers les 17 heures. Le soleil aura perdu de son intensité et les « vacanciers » auront pliés leurs parasols. Seul, ou presque, en attendant d’être rejoint par mon habituelle et silencieuse mouette.En compagnie de laquelle, jusqu’à la tombée du jour, je poursuivrai ma lecture…

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