Conversation avec Laly autour de Pâques et de Pâquettep

                 

Di.9.4.1947

Moments de vie.

Je n’ai pas reçu le baptême. La mémoire familiale concernant ma naissance, du moins celle qui me fut transmise oralement à un âge adulte, fait seulement état d’un ondoiement pratiqué dans la petite chapelle de l’Hôtel Dieu de Narbonne. Comme cela se faisait, paraît-il, systématiquement, dans cet établissement hospitalier où les infirmières portaient encore – en 1947 – des cornettes blanches. J’imagine mal en effet mes parents, et mon père surtout, athée et de tradition communiste, solliciter ce rite pour ma naissance, le 9 avril de cette année-là. Ma mère non plus, d’ailleurs, qui néanmoins se disait vaguement croyante, mais sans église, et qui, pendant longtemps, paradoxalement, m’a reproché, en silence, de n’avoir pas fait baptiser mon fils. On l’aura compris, c’est d’abord dans l’ignorance totale de l’apport « civilisationnel » du christianisme, enfant, et son déni ensuite, adolescent et jeune adulte, que s’est déroulée une grande partie de ma vie. De ma vie disons imaginaire et intellectuelle. Et ce jusqu’à ce que je finisse par comprendre que je ne pouvais pas regarder le monde autour de moi, le monde dans toutes ses dimensions politiques et esthétiques notamment, autrement qu’avec des « lunettes » chrétiennes. Les livres, la musique, les arts en général, l’architecture de nos villes, l’ordonnancement de nos paysages, certaines traditions que j’aimais en témoignaient. Dès lors, la voie s’ouvrait, sans fin, qui m’amène encore aujourd’hui, à toujours vouloir approfondir des connaissances patiemment acquises au fil des ans. Ce désir longtemps refoulé, je le confessais, hier soir à Laly assise à mes côtés, lors du dîner familial, en présence de nos petits et arrières petits enfants. Laly qui, à 17 ans, s’est lancée dans la lecture de la Bible et m’a confié vouloir aller à la cathédrale Saint Just-Saint Pasteur demain matin pour assister à la messe de Pâques. Elle me disait aimer son décorum, les chants, la musique. À ses questions, je répondais en insistant un peu pour lui donner quelques bribes de culture sur cette semaine sainte : son déroulement, son histoire, ses acteurs ; la signification de certaines « images ». Que ce samedi était un jour de grand silence, de recueillement, et pourquoi ; que l’on n’était pas obligé d’avoir la foi ou de faire semblant pour goûter les rites et les symboles chrétiens, notamment ; et que les comprendre donnait de la profondeur et augmentait les plaisirs et les émotions ressentis sous un chef-d’œuvre de l’art gothique comme celui de la cathédrale Saint-Just dans laquelle elle assisterait demain dimanche à la messe. Je n’ai pas revu Laly depuis. Mais je sais qu’avec ses parents, sa sœur et des amis, ils « feront pâquette » lundi autour de « ma cabane » en bord de mer. Avec les miens, c’était dans le massif de la Clape que nous nous installions sous les pins pour y manger la traditionnelle omelette pascale. Une tradition durablement inscrite dans nos mœurs et nos usages. Un jour prochain, je dirai à Laly que c’est à cela, à ces traces aussi, que l’on reconnait ce qui fait et fait vivre une civilisation.

Illustration : Le Greco, Marie-Madeleine pénitente.

       

Un dimanche des Rameaux à Narbonne et… Cox !

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Di.2.3.2023
 
Dimanche des Rameaux.
 
Moments de vie.
 
10 heures 30. Les cloches de Saint-Just appellent les fidèles à se rassembler sur l’esplanade située à l’arrière de la cathédrale. C’est l’heure du rituel de la bénédiction des rameaux d’olivier et de laurier. Elles sonnent haut et fort. Et le vent porte loin dans les airs des vibrations d’allégresse. Le curé et ses servants sont en place. Autour d’eux, une petite foule se presse. Elle attend, impatiente, que la cérémonie commence. Leurs feuilles de laurier ou d’olivier bénies, de nombreux participants fuiront la messe et quitteront vite les lieux. Les rameaux orneront leurs maisons et les protégeront des malheurs du monde ! Ceux-là m’ont toujours fait penser à des adeptes clandestins d’une sorte de rite magique. Plus tard, en remontant le Cours Mirabeau, j’ai croisé une famille d’Espagnol. L’homme, jeune, tenait à la main une longue branche de palmier séchée, tandis que sa femme et ses enfants arboraient des assemblages de palmes tressées. Comme à Elche, pendant la procession des palmes blanches, ou à Cox. Cox, le village de mon grand-père, où j’ai pu discuter, en 2013, je crois, de cet art du tressage des feuilles de palmier avec deux dames le pratiquant, ce jour-là et selon la coutume, devant l’église. Un art délicat qui se pratique et se transmet encore dans quelques rares familles. Depuis cette étonnante rencontre, je ne cesse de m’interroger. Pour quelles raisons ce jeune couple et leurs enfants se promenaient-ils ainsi dans les rues de Narbonne avec, dans leurs mains, les emblèmes d’une tradition qui, le même jour, réunissait une multitude de personnes dans les rues d’Elche, d’Orihuela ou de Cox ? Depuis, j’ai le regret de ne pas leur avoir adressé la parole. Ils ne pouvaient venir en effet que de terres paternelles. Nous aurions pu alors communier, peut-être, sur de mêmes histoires familiales. Que d’occasions de partage d’idées ou de sentiments sottement perdues dans une vie d’homme, songeai-je.
 
Illustration : photos prises lors de mon dernier séjour à Cox.
 
 
 
 
 

C’était dimanche matin, sur le cours Mirabeau.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Lu.6.3.2023
 
Moments de vie.
 

– Tu vas bien Michel. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Je viens rarement en ville, il est vrai. Je te lis tous les jours, cependant. J’aime ton regard sur les choses et les gens, mais je te trouve bien mélancolique ces derniers temps. Pessimiste plutôt. Ton style reste, mais je regrette tes « vignettes » teintées d’ironie. Toujours bienveillantes d’ailleurs. Tu as des soucis ?

– Non, Alain, je n’en ai pas. Ni mes proches d’ailleurs. Que je sache en tout cas. Mais tu as raison, mes petits textes ne donnent pas de la « vie » une image riante. L’âge ou, plus sûrement, un trait de caractère, ou les deux à la fois, sans doute les orientent, les colorent. Le désir aussi de m’extraire d’un récit quotidien où abondent mièvreries, engagements et injonctions de toutes sortes. Cela dit, Alain, tu as raison. Je vais essayer de forcer ma nature…

– Promis !

– Oui !

C’était dimanche matin, sur le cours Mirabeau. Il était 11 heures environ. Il faisait un grand soleil. Les terrasses étaient animées malgré un vent du Nord faible, mais froid. Les halles l’étaient aussi – animées –, où se pressaient et se bousculaient les mêmes clients devant les mêmes étals exposant les mêmes marchandises. On pouvait y voir et entendre également de petites troupes de touristes espagnols traîner un vague ennui dans les allées ; tandis qu’aux pieds des bars, des habitués, serrés comme des harengs en caque, indifférents aux mouvements de la foule, prenaient bruyamment leur apéritif dominical. Un monde bien loin de celui anxiogène et violent présenté par nos journaux, télés et réseaux sociaux, songeai-je. Là, en effet, l’ordinaire de la vie s’y déploie à l’abri des images de guerres, des polémiques intérieures et des drames planétaires. Une oasis temporelle en quelque sorte. Banale, pleine et vide à la fois dans laquelle j’aime déambuler. Sans buts ni raisons. Surtout les dimanches.

 
 

J’ai toujours trouvé les fins et les débuts d’année un peu tristes.

       
 
Me.4.1.2023
 
Moments de vie.
 
J’ai toujours trouvé les fins et les débuts d’année un peu tristes. On sait ce qu’on quitte, à jamais perdu, et ce qui nous attend, souvent imprévisible. Imprévisible et gros de tous les possibles. En bien et en mal ; en joies et en peines. Fort heureusement d’ailleurs. Imagine-t-on un monde programmé et attendu, à ses effets sur chacun d’entre nous ? Un monde sans incertitude, sans tourments, sans angoisses. Je pensais à cela dans la salle d’attente du centre de biologie dans lequel j’étais ce matin. À l’exception du personnel, il n’y avait que des personnes âgées. Grises et mal vêtues, assises, elles regardaient leurs souliers. La fatigue ou la maladie marquait leurs visages. J’avais l’âge de certaines et pourtant j’étais beaucoup plus jeune en pensée. Et je restais debout. Et il faisait très beau, et je savais que j’irais marcher le long de la plage cet après-midi. Ainsi, je symbolisais ce moment et réduisais l’incertitude de mes analyses. Chacun d’entre nous vit ce genre d’expérience, me disais-je. La raison y a sa part, certes. Mais celle du caractère, du sentiment ou une certaine manière d’appréhender, de voir et de sentir le « monde », souvent la précède, l’enveloppe, la drape. Je me disais aussi, que cette dernière part, qui fonde la culture, ne me semble plus le souci du monde qui vient. Son type d’humain serait plutôt du genre programmé et prévisible.
Le vent du Nord s’est levé cette nuit. Avec lui, l’épaisse couche de nuages gris qui jusqu’ici couvrait nos têtes s’est dissipée. Il faisait plein soleil sur la plage. J’ai marché sans tourments ni angoisses. Le corps léger. Tout avait du sens autour de moi !
 
 
 
 

Moment de télévision : « L’Espagnol », de Jean Prat (11 et 18 avril 1967)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Lu.26.12.2022
 
Moment de télévision : « L’Espagnol », de Jean Prat (11 et 18 avril 1967)
 
Les archives de l’INA sont un gisement de trésors audiovisuels facilement accessibles. Un abonnement mensuel de 2€ à l’application Madelen suffit pour y avoir accès. Hier soir, j’ai choisi et regardé « L’Espagnol », une dramatique en deux épisodes réalisée par Jean Prat d’aprés le roman de Bernard Clavel, diffusé sur les antennes de la télévision nationale les 11 et 18 avril 1967. Un chef-d’œuvre !
L’histoire qui nous est racontée est celle de deux Espagnols républicains réfugiés en France en 1939. Ils ont connu les camps d’internement du sud de la France et sont embauchés pour faire les vendanges d’un domaine viticole du Jura produisant du vin jaune. L’un d’eux, Pablo, ancien architecte barcelonais, est un homme brisé par la guerre. Depuis la perte de sa femme, il n’aspire qu’à une vie tranquille, loin de tous combats. Son compagnon de camp, Enrique, est très différent : pour lui, la lutte continue. Il quitte rapidement la ferme tandis que Pablo, s’attache à cette terre qui lui a redonné le goût de la vie. Au milieu d’une guerre qui ne le concerne pas, il découvre et apprend à aimer le travail de la vigne. Lorsque le patron du domaine est pris d’une attaque, Pablo prend la relève, épaulé par un ancien du village, Clopineau. En 1944, Pablo est appelé par Enrique à rejoindre le maquis le plus proche. Après deux jours sur le camp et une action victorieuse, il tombe malade. Il finit la guerre à l’hôpital. Quand il en sort, le domaine viticole a été vendu et ceux qui l’habitaient, qui étaient devenus sa famille d’adoption, dispersés : Germaine, sa propriétaire – et amante –, partie avec son fils à la ville, sa fille Jeannette, « simple d’esprit », placée dans une institution religieuse et Clopineau, l’ouvrier « gionesque » qui lui a appris à travailler la terre, lié à une autre ferme. Germaine lui laisse cependant une maison en ruines, une jument et les vignes qu’il avait plantées. Une offre qu’il finit par accepter. Et les dernières vendanges sur lesquelles se terminent ce film, qui seront les premières d’une nouvelle vie, verront Pablo, Clopineau et Jeannette retrouvés et enfin réunis au milieu de « leur » vigne.
Tout dans ce téléfilm est stupéfiant de justesse, de pudeur et de beauté. Jean Prat nous montre des moments de grâce, de poésie et de liberté comme rarement on en imprime sur une pellicule. Et l’interprétation de Pablo, d’Enrique, de Clopineau et de Jeannette resteront comme autant de visages inoubliables. Le dernier gros plan sur Pablo (joué par Jean Claude Rolland), notamment, avec toute la bonté et la tristesse du monde au fond des yeux, est bouleversant de confiance, de tendresse et d’amour. Un chef-d’œuvre, vous dis-je.
Un chef-d’œuvre marqué aussi par les fins tragiques de Jean-Claude Rolland et de Jean Prat. Le premier ne verra pas la diffusion de « L’Espagnol » sur les antennes de la télévision. Il se sera pendu peu avant dans la cellule de la prison de la Santé où il était incarcéré pour un délit mineur. Quant à Jean Prat, il se suicidera de la même façon, le 27 mars 1991. Yvan Audouard disait qu’il était mort « de voir agoniser sous son regard impuissant une télévision atteinte de la plus longue, de la plus cruelle des maladies : la médiocrité ».
 
Illustration : Jean Claude Rolland dans le rôle de Pablo.
 
 
 
 

Articles récents